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Nouvelles : Opposition
Publié par Aodren le 29-12-2017 15:10:00 ( 1006 lectures ) Articles du même auteur



Le 20 avril 2068 à 06 h 01


Aussi loin que je me rappelle, j'ai toujours dit la vérité, ce que je pense. C'est une question de dignité. Ce principe, bien qu'il m'en coûte, je l'applique encore aujourd'hui, mais après bien des péripéties, je me rends compte que la vérité est un concept à double facette.
Vrai, quand je me regarde dans mon miroir, je n'ai rien à me reprocher. Aucun regret ne vient troubler ma conscience.
Faux, quand j'observe mon reflet, je vois les dégâts de cette notion et j'en pèse le poids écrasant chaque jour, chaque seconde.
Le silence et l'ombre, atmosphère étouffée, presque suffocante, compose la toile de fond de mon univers quotidien.
Ma solitude est quasi totale. Ma famille m'a renié. Mes amis ne me connaissent plus. Quant au reste du genre humain, mis à part quelques inconscients comme moi, il est libre et esclave à la fois. Vivre à tout prix, quel qu’en soit le coût, fermer les yeux sur l'évidence et se trouver mille bonnes raisons pour justifier ses choix, c'est supportable et pas si mal que ça. L'instinct de survie peut être bien plus fort que la raison et légitimer des comportements inacceptables. La conscience s’accommode aisément de ces petits écarts. C’est ce que la majorité a choisi.
Pour ma part, je n'ai plus confiance en personne. Ma haine du système est totale.
Je me suis élevé contre des projets de lois constitutionnelles prévoyant les nouveaux devoirs de l'État en matière d'éducation des mineurs ainsi que certaines modifications corrélatives des codes existants. Une réforme profonde, destinée à agir sur tout le corps social, sans exception.
Ces textes, tout récemment adoptés par l'assemblée constituante, affirment la primauté de l'état sur l'autorité parentale en instaurant notamment une forme de tutelle immédiate dès la naissance. Je sais que d'autres projets sont en gestation, la création de centres d'éducation fermés, le développement de filières et de politiques de recrutement basées exclusivement sur les capacités intellectuelles des personnes, un renforcement des pouvoirs de police et bien d'autres choses encore.
J'ai manifesté publiquement, rédigé des pétitions, créé un parti vite dissous. J'ai pris, avec un petit groupe de militants, une radio d'assaut pour diffuser un message sur les ondes, appelant au réveil de la population.
J'ai été condamné à plusieurs reprises, après avoir subi des interrogatoires musclés, mais cette fois, avec la dernière loi voté sur la récidive, les choses se sont sérieusement dégradées.
Une espèce de prédestination insidieuse se met en place, dès le premier jour d’existence, un étaux, piloté au plus haut niveau, se resserre lentement sur chaque nouveau-né. Je ne peux pas l'accepter. C'est au-dessus de mes forces. Mon combat est légitime et j'irai jusqu'au bout. Le symbole finira bien par marquer l'histoire et un jour, on me rétablira dans mes droits, ma dignité.
Je lève la tête vers la petite lucarne carrée, découpée très haut dans le mur. Une lumière rougeoyante rase le plafond. Le feu du soleil joue avec les nuages et scintille comme une braise. L'aube est là. Celle-ci est magnifique, la plus belle de toute.
Un bruit métallique perturbe ma réflexion. Un léger courant d'air, sentant l'humidité et le moisi, amène un peu de fraîcheur dans l'air vicié et puant que je respire à longueur de journée. La porte claque en touchant le mur. Une vibration parcourt les parois et se répand en résonnant dans mon espace impersonnel.
Ce genre d'entrée théâtrale, ça ne peut être que lui, le meilleur gardien de mes jours et de mes nuits, Fulbert. Une victime comme tant d'autres, mais il a été tellement bien formé, qu'il excelle dans sa fonction en y ajoutant un zeste de cruauté. Fulbert. Un homme à l'image de cette société. Dois-je lui en vouloir ?
Il apparaît dans l'encadrement de la porte, l'air toujours aussi sûr de lui, les lèvres fines et pincées par ce sourire inimitable. Ce type, c'est la suffisance incarnée, générée par l'ignorance et amplifiée par une dose de bêtise anormalement élevée. Le tout, modelé dans les meilleures écoles de formation de l'administration. En gros, la connerie exploitée et placée aux commandes de votre vie.
« Salut HoDeP ! Toujours sur la même ligne ? Y’a pas d'regrets ? » Me demande t-il avec sa voix aigre.
HoDeP, un acronyme moqueur pour « homme de parole ». Un diminutif qui me colle à la peau depuis mon arrivée dans ces lieux, employé pour me réduire et déshumaniser au maximum nos rapports. La contrainte est plus efficace si elle est accompagnée d'une dose de psychologie destructrice. Avec ses neurones atrophiés, en bon animal pensant qu'il est, Fulbert le comprend inconsciemment et s'en sert, pour sa plus grande jouissance. Je n'ai aucune raison de lui répondre.
« Alors ? Toujours aussi avare de parole ? On ne va qu'à l'essentiel, hein ? » Me demande t-il.
Rétorquer de façon intelligible à ce demeuré ne sert strictement à rien. Il y a des moments où déployer des trésors d'énergie et de pédagogie n'a aucun intérêt car, au bout du fil, l'autre ne travaille pas sur la même fréquence que vous, ou avec le même code. Une sorte de dialogue de sourd inutile pourrait s'installer. Pas la peine de perdre un temps précieux en explications puisque la cible est incapable de les comprendre. Je reste laconique.
« Encore faudrait-il que mes arguments soient entendus ! »
« T'as raison HodeP ! Ici, développer une plaidoirie ou hurler son innocence est sans effet et tu sais pourquoi ! »
Toujours ce timbre méprisant. Cette confiance absolu dans le système. Une machine estampillée démocratie. Fulbert est la parfaite émanation du pouvoir. Un gardien zélé, un lymphocyte parfaitement programmé.
« Hé ! HoDeP ! On est quel jour ? »
Je garde le silence.
Debout, les jambes légèrement écartées, il ressemble à une caricature. J'ai presque pitié de lui. Il ricane. Je me lève, lui tourne le dos et regarde le lucarne. D’un ton calme, presque désabusé, je lâche quelques mots.
« Je suis prêt ! On y va quand vous voulez ! »
À l'extérieur, trois gardiens m'attendent. Je sors de ma geôle. Je suis Fulbert. Les autres m'emboîtent le pas.
Je traverse des couloirs, franchis des portes blindées sous escorte permanente.
Nous arrivons enfin dans une espèce de vestibule. Le directeur, accompagné du médecin de la prison, m'y attend avec une personne en costume sombre et cravate noire que je ne connais pas. Il se contente du minimum.
« Bonjour monsieur Kemps ! »
Ce bonjour n'a plus aucun sens. Pourtant, sans comprendre pourquoi, alors que le simple mépris aurait suffi, je reste poli.
« Bonjour ! »
Il se tourne vers une porte blindée, l'ouvre et me jette un bref regard.
« Si vous voulez bien me suivre ! »
Nous entrons dans une grande pièce, entièrement blanche et carrelée, sans fenêtre. Un éclairage puissant inonde l’espace de lumière et lui donne l'aspect d'une antichambre du paradis.
Au milieu, il y a un lit monté sur des pieds en inox scellés dans le sol. Le matelas, assez fin, recouvert d'une alèse jaune pâle, est traversé par des sangles larges en cuir blanc. Juste à côté, sur une tablette, un coffret en aluminium est posé, fermé. Je frémis.
Les choses vont très vite. Les gardiens défont les attaches pour préparer le lit. Chacun d'entre eux sait ce qu'il doit faire. Leurs gestes ressemblent à des automatismes. Je les regarde, tétanisé.
Une voix grave et posée me sort de ma torpeur. C’est celle de l'inconnu qui se trouve sur ma gauche. Le ton est monocorde, dénué d'expression.
« Monsieur Kemps, j'ai deux nouvelles pour vous. Une mauvaise et une bonne. »
Mes yeux restent fixés vers le lit et ne voient plus que lui, en gros plan. Un froid sinistre m'envahit jusqu'aux os. Je tremble de la tête aux pieds, incapable de répondre.
L'homme continue.
« La première c'est que votre recours en grâce officiel est rejeté. »
Un onde glaciale, partant de la base de ma nuque, en passant par ma colonne vertébrale, traverse mon squelette et se diffuse jusqu'aux moindres extrémités de mon corps.
« La seconde, c'est qu'il n'est pas encore rendu public. »
Sur le moment, je ne comprends rien. Il s'en aperçoit et précise sa pensée.
« Si vous faites acte de repentance active devant les médias et devenez un chantre de l'action du gouvernement, je peux tout arrêter ! »
Je tourne lentement la tête vers lui. Nous nous regardons. Les traits de son visage demeurent figés. Il répète avec calme, sans haine ni passion.
« Je peux tout arrêter ! »
Mes lèvres se mettent à trembler. J'articule quelques mots avec peine.
« Pour l'honneur et les convictions ! »
…..........

Le 20 avril 2068 à 08 h 03



« Radio libre Info ! Flash spécial sur l'exécution de l'opposant politique Marc Kemps. En direct, de notre envoyé actuellement sur les lieux. Brice ? Quelles sont les dernières nouvelles ? »
Le journaliste apparaît en gros plan dans l'écran de télévision, avec en arrière-plan, la porte monumentale de la prison et une nuée de coreligionnaires grouillant tout autour. Il commence son reportage.
« Et bien oui Richard, ce n'est pas une journée comme les autres, car aujourd'hui, le célèbre opposant politique Marc Kemps devrait, à l'heure ou je vous parle être exécuté. Nous attendons la déclaration du directeur de la prison qui devrait l'annoncer officiellement dans un instant. Ah ! Il semblerait que ça bouge ! Ça y est, la porte s'ouvre, deux gardiens en sortent... j'aperçois le directeur de la prison qui les suit... ! Monsieur le directeur ? Monsieur le directeur ? Radio libre Info. Quelques mots je vous prie ! »
Un peu bousculé par la forêt de micros tendus vers lui, le directeur sort un papier de sa poche. Il le déplie sans précipitation et lit le texte. Les deux gardiens font reculer les journalistes pour donner un peu d'espace à leur chef.
« Vu l'arrêt du tribunal spécial en date du cinq mars deux mille soixante huit condamnant monsieur Marc Kemps à la peine capitale, vu la demande de recours en grâce formulée par monsieur Marc Kemps le dix sept avril deux mille soixante huit. Vu la décision du président de la République fédérale en date du vingt avril deux mille soixante huit, monsieur Marc Kemps est gracié. Sa peine est commuée en détention criminelle à perpétuité. Je n'ai plus rien à ajouter ! »
La loi du plus fort est toujours la meilleure, au moins pendant un temps. Un jour ou l'autre, elle est bafouée à son tour par un meilleur que soi, mais avant cela, elle s'applique avec férocité. Attendre qu'elle se développe est une erreur toujours mortelle. En attendant, mon reflet me fait honte, mais je vis avec.

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Auteur Commentaire en débat
Aodren
Posté le: 30-12-2017 13:31  Mis à jour: 30-12-2017 13:42
Débutant
Inscrit le: 29-12-2017
De: Limoges
Contributions: 12
 Re: Opposition
Bonjour Istenozot,

Ce texte fait partie d'un recueil d'histoires courtes comme celle-ci. L'idée de base était la suivante : dans ce monde, il existe déjà des forces qui porteront un jour un tyran au pouvoir.
A partir de différentes histoires, toutes différentes (lieux, personnages, époques), je mettais en exergue les rouages, basées sur les défaillances des hommes, qui amènent lentement la sauvagerie au pouvoir. Pour l'instant, je n'en ai rien fait. Ca demeure un projet en soute. Sur la remarque narrateur/journaliste, c'est juste. A la fin, il s'agit bien d'un journaliste qui commente l'événement.
Des projets, je n'en manque pas. J'ai trois projets en cours :
- un recueil d'histoires courtes mettant en scène des animaux (humour, sous forme d'interviews, d'émissions de TV, etc., donc basé sur des dialogues). J'ai envoyé ce projet à des éditeurs. Je suis en attente des réponses ;
- un roman mettant en scène des personnes âgées et des Korrigans sur une île en Bretagne (humour. Ce projet est très avancé) ;
- roman policier (projet avancé, le scénario est en cours d'écriture).
Je suis en outre auteur d'un roman d'anticipation intitulé "Le monde après", paru à compte d'éditeur aux éditions oeil critik, en vente sur Amazon. C'était ma première expérience et aussi un énorme travail.
A côté de ça, je pilote un petit fanzine sans aucune prétention. Avec des ami(e)s, nous écrivons toutes sortes de textes que je compile pour envoyer le tout aux différents membres de la communauté. De temps en temps, nous nous retrouvons pour prendre un verre ou dîner et passer du bon temps. Ce qui compte pour moi, c'est la qualité des rapports humains.
Bonne journée et bon réveillon.
Aodren March'oc

Répons(s) Auteur Posté le
 Re: Opposition Istenozot 30-12-2017 18:22
    Re: Opposition Aodren 30-12-2017 19:06
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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