L'arrivant XXXVIII

Date 01-10-2012 19:00:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Le charme de la voix haute et colorée de Vaiatea et les basses émouvantes de Aroarii me restèrent en oreille et m'accompagnèrent dans ma courte nuit. Dans la maison encore endormie, en me douchant je fredonnai la jolie mélodie qui se promenait depuis dans ma tête.
Réveiller les enfants ne fut guère facile, il y eut beaucoup de grognements, et Rodolphe ne cessa de grogner et de pleurnicher sans s'arrêter.
"Mais qu'est-ce qu'il a à pleurer comme ça ce pauvre enfant, il doit être malade ?"
" Mais non, il est juste fatigué, ça passera"
"Mon pauvre petit chat, ta maman n'est pas gentille, tu pleures et elle s'en moque, tu vois elle ne fera rien "
Marthe m'agaçait prodigieusement avec ce genre de commentaire qui sème la discorde, je ne lui répondis pas et m'éloignai d'elle et de Marie-Claire qui allait, c'est sûr, y ajouter son grain de sel.
Le bateau était à quai, la nuit était claire, la lune ronde et pleine, nous offrait son éclairage tendre de veilleuse céleste, vigilante et douce, elle avait quitté le nadir et maintenant accrochée comme un lustre d'opale au zénith, elle apportait les pleine-eaux, et luisait de toute sa pâleur sans éclats inutiles pour guider nos pas.
L'activité était laborieuse et pourtant calme. Je souris en voyant la ronde incessante des petits chariots élévateurs qui transportaient des palettes couvertes de fruits et de légumes, ils avançaient vivement leur mains de métal levées haut se précipitant de droite, de gauche, ils semblaient courir du grand hangar jusqu'au bateau, leur charge à bout de bras, ils vaquaient comme des serveurs pressés sur une terrasse de café.
L'air de la nuit portait les seuls bruits des chocs métalliques que ses petits ouvriers jaunes très affairés, faisaient entendre en se heurtant au quai ou en installant la passerelle.
Ils étaient partout à la fois, il y avait une sorte de plaisir, de jubilation dans cette vivacité. Je les regardai occuper au maximum le terrain, dans cette appropriation du quai, je croyais voir des petits personnages, exubérants et joueurs, qui se réjouissaient de courir partout en toute liberté, et qui se montraient soucieux de profiter de l'aubaine d'être seuls en piste, satisfaits, réjouis de tout cet espace rien qu'à eux comme le sont les enfants lorsqu'à la fin du cours, on les lâche dans la cour de récréation.
Les humains qui semblaient leur avoir abandonné la place commencèrent de réapparaître avec la mise en place de la passerelle.
Des femmes tahitiennes obèses, dans leurs robes à fleurs, descendaient du bateau, puis d'autres attendaient pour monter, les chinois eux ne connaissaient que très rarement l'excès de poids ils étaient presque toujours d'une grande minceur. Embarqués et débarqués se succédaient sans pouvoir se croiser en raison de l'étroitesse de la montée.
Les régimes de bananes, les sacs de cocos, étaient portés à dos d'hommes sur le pont.
Vaiatea, Aroarii et les enfants nous souhaitèrent bon voyage, nous réitérant comme toujours leurs invitations au retour. Je reçus un nouveau sac de vanille, de nouveaux coquillages, un petit tifaifai, des petits cadeaux que j'appréciais toujours beaucoup.
Rodolphe pleurnichait encore et refusa tout net de dire au revoir, de faire la bise à quiconque. Accroché à mes bras il nous faisait supporter son manque de sommeil.
Après les embrassades, les chaleureux au-revoirs, nous montâmes sur le bateau, et je trouvai immédiatement un petit espace disponible à l'arrière du pont, l'endroit n'était pas abrité mais le ciel était clément et le jour serait là dans trois heures. Les enfants silencieux, s'installèrent sur le peue, Nicolas le pouce dans la bouche s'allongea et se rendormit immédiatement, suivit des autres enfants. Clotilde avait pris Rodolphe dans ses bras et lui parlait doucement, elle le berçait, elle essayait de le calmer, de le consoler.
Une ou deux minutes plus tard; avant que le bateau ne soit parti, tous dormaient, serrés les uns contre les autres et enlacés pour Cléo et son petit frère qu'elle tenait, maternelle et tendre.
Je me sentais tout à fait réveillée; je regardais JF à côté des petits, il dormait comme un enfant lui aussi.
Je restai assise à les regarder, émue, heureuse de leur présence, j'étais appuyée à la roue du gros camion qui occupait une partie de l'arrière, je le sentis bouger dans mon dos, le mouvement du bateau avait entamé une douce valse, les moteurs ronronnaient.
J'habitais longtemps ma rêverie, je naviguais dans mes chimères, le bruit de l'eau contre la coque résonnait et j'imaginais le langage du bateau.
Je ne m'endormis à aucun moment mais je m'absentais quelques heures. Le ciel sur la tête j'observais avec acuité les changements autour de moi, je les attendais, je surveillais les prémices de l'arrivée du jour.
Cela commença par le pâlissement des étoiles, elles s'effaçaient de façon insensible, si finement que je ne pouvais absenter mon regard par crainte de perdre l'évolution de ce combat entre ténèbres et clarté.
Je vivais l'âge de la création, les angoisses ataviques de mon espèce naissante, je sentais les terreurs nées de l'ignorance, mon esprit papillonnait se nourrissant des mystères anciens, mon imagination déferrée, galopait en cavale dans l'exploration exaltée par mes perceptions mystiques.
J'allais m'accouder au bastingage, la lune se regardait dans le flot, elle s'étalait en traînée longue jusqu'à l'horizon.
En considérant cette surface j'eus soudain la vision de la hauteur de la masse liquide sur laquelle nous naviguions, je regardai la profondeur sombre de l'océan sous nous, je descendais, les précipices s'ouvraient, je m'enfonçais dans les abysses glaciaux et sans lumière, et m'apparut notre microscopique présence sur l'immensité, cette vue fit basculer mon esprit et je ressentis un puissant vertige me secouer.
Je me calmai en regardant mes pieds sur les planches du pont. je les voulais fortes et résistantes, elles me protégeaient du gouffre monstrueux que mon esprit avait ouvert.
Notre précarité m'apparut puissamment, l'océan me ramenait à notre condition de fragile fétu, infimes présences négligeables devant la monstruosité de la masse inépuisable, colossale de l'univers liquide.
Comment les polynésiens avaient -il su pactiser avec l'implacable océan impénétrable, avec cet imperturbable monde qui nous chahute et nous parle de notre impuissance, de notre insignifiance ?
Cet affrontement qu'ils connurent sur la vague a-t-il formé et construit leur modestie et leur goût du bonheur.
Cet instant de panique que la conscience des profondeurs avait fait naître cessa en observant la magie de l'apparition d'une lueur claire. Le jour naissant venait à mon secours.
Le Taporo remontait au nord vers Bora-Bora, à l'est les couleurs naissaient encore pâles et fondues, je scrutais avec application l'horizon, je croyais distinguer une silhouette imprécise, tout d'abord le regard fixe, je devinai plus que je ne vis, puis derrière mon incertitude, vint l’évidence : l'île lointaine était là.
Je voulais crier "terre, terre" mais je savais que ma fantaisie enthousiaste risquait un accueil désapprobateur et froid alors sagement je laissai dormir mes chéris, les petits et le plus grand.
L'île fameuse grossissait sur l'horizon, les gris mangeaient le noir, le blanc vint, il donna rapidement vie aux couleurs, elles naquirent une à une, le décor attirait les lueurs du jour, les bleus jouaient maintenant avec les verts, les rayons allumaient l'horizon, la lune était sur la mer, elle allait s'y noyer, le cercle du soleil s'arrondissait au lointain, il sortit puis, tout à coup le prodige quotidien fut, il flamboyait, la mer étincelait, la vie brillait.
Bora-Bora dont le vrai nom tahitien est Pora Pora (première née) est le fruit des volcans du Pliocène. C'est donc une très vieille dame qui habite toujours son lagon de rêve, le plus beau de ceux qu'il m'a été permis de voir. Sa majesté nous éblouissait là, avec ses deux monts et ses trois baies, cernée de son collier de corail.
Etant plus âgée que Tahiti elle est donc moins élevée, le Otemanu, son plus haut mont ne culmine qu' à sept cent vingt sept mètres, alors que son voisin le Pahia ne monte qu'à six cent soixante et un mètres.
J'avais le visage fixé sur cette silhouette très typique, connue dans le monde entier et qui fut le paradis des américains qui au cours de la dernière guerre installèrent une base de cinq mille hommes sur l'île . Le fait est toujours visible de nos jours par la présence à Bora-Bora de nombreux tahitiens aux cheveux blonds ou rouges. Les belles vahinés furent le repos du guerrier avec une excellent bonne volonté.
Le jour éclairait le pont, les passagers s'étaient levés, réveillés par la lumière, les plus fatigués dont nos enfants s'étaient réfugiés sous le camion dont l'ombre leur permit de prolonger la nuit.
Nathalie était venue se coller à moi et somnolait debout se laissant porter par le mouvement du bateau, puis elle rejoignit ses frères et soeurs et se rendormit.
Le bateau avait changé de cap pour aller droit sur Bora, le vent se leva, il fit grossir la vague et l'écume vint arroser le pont.
Marthe et Marie-Claire ne remontait pas de leur cabine, cependant elles devaient maintenant sentir la chaleur envahir l'air.
Le récif de barrière de Bora, ne s'ouvre qu'à la passe de Te ava nui, c'est le seul passage où l'eau a une profondeur suffisante pour la navigation des cargos, et c'est ce chenal que bientôt le Taporo emprunta.
Nous entrâmes dans le lagon en laissant le motu Mute où se trouve l'aéroport de Bora.
Celui -ci se trouvait sur la barrière qui était le seul lieu plat de l'île. Le récif à cet endroit mesure plus de deux kilomètres de large.
De l'autre côté de la passe, sur la barrière, se trouve le motu privé de l'explorateur Paul-Emile Victor qui après avoir dégustait toute sa vie les joies de la banquise et des grandes froidures était venu ici, installer maison, femme et fils, fils baptisait du joli prénom tahitien, Teiva.
Un avion d'air polynésie survola le lagon il passa au dessus de nos têtes, ses bruits de moteurs et l'absence de mouvement du bateau réveillaient les dormeurs, nous étions dans le lagon.

Loriane lydia Maleville




Cet article provient de L'ORée des Rêves votre site pour lire écrire publier poèmes nouvelles en ligne
http://www.loree-des-reves.com

L'url pour cet article est :
http://www.loree-des-reves.com/modules/xnews/article.php?storyid=1212