
Ode à la mer…
Date 10-03-2023 18:09:46 | Catégorie : Annonce
| Ode à la mer…
(Laissons nos poumons de la mer respirer dedans la tempête…)
A Christiane Courvoisier
La musique ça me prend parfois comme la mer en furie… Tout commence par une météo détestable une désagrégation du soleil en milieu littoral Tout commence par un dimanche gris de septembre, noyé dans les gouttes d’eau de ses pleurs Tout commence par des flots démontés qui iront bouffer une part de ciel que l’on cherchera en vain sur la carte Tout commence par un soleil que l’on croira enseveli à jamais par les eaux tombantes et les paquets d’eaux déplacés horizontalement Tout commence par une respiration difficile par une sifflante de la langue retentie à l’instant même où l’on prononcera le mot poumon Tout commence par un second souffle retrouvé par des accordéons en mer d’automne Oui ce morceau-là commencera désormais souvent par une intro à l’accordéon au bandonéon au poumon. Ces instruments-là déplieront lentement leurs soufflets libérant un ample flux musical tout autour de l’oreille Comme pour mieux dessiner la base mélodique le chemin le rail pour le gros des flux marins multiples Comme pour mieux soutenir viscéralement parentalement amplement musicalement le clapotis en surface et ses multiples teintes résiduelles Comme pour mieux soutenir les empâtements saillants les sur- couches peintes à la brosse avec du blanc de titane pour suggérer l’écume de mer et ses ornements baroques ses fioritures ses braises gelées et toutes blanches de cigarettes libératrices Ainsi vient déferler une vague une armée de notes de bleu de gris de vert vêtues Toutes les nuances de la plus belle des couleurs sont là pour ce bouquet final ce feu d’artifice aquatique en apothéose Et puis et puis ça y est on y est on appartient aux flots à leurs indicibles réseaux Nos humeurs en phase s’ajoutent les jours de marées hautes les nuitées de marées basses Oui c’est cela on suit les deux pôles de la mer on traverse ses humeurs tout en influant sur sa voix On met notre grain de sel pour les amplitudes et aussi pour le timbre
On est à la mer on est la mer Désormais nos poumons sont les siens… 1- Lame de fond
La vague vient du fond de nos entrailles Depuis les cavités alvéolaires les plus reculées Le bruit est sourd avec de lourds échos Tout le corps est en proie à un séisme terrible Il y a erreur. Et aussi tapage viscéral nocturne On entre dans la nuit On se réveille pourtant… Le cœur s’agite d’un coup à la vue de cette énorme vague pulmonaire Un gouffre dans la poitrine… puis plus rien ! C’est rien ! Rien qu’un mirage sur le désert océan rien qu’un petit écueil de mousse brune rien qu’un petit tas de tabac brun… J’inspire les mots du poème de la mer : Vibration sourde au fond de mes entrailles ondulation subtile qui me frise la peau s’insinue dans mes os et me renverse l’âme et me gonfle les voiles de ce fringant esquif qui bande ses amarres lorsque l’appel du large se fait irrésistible
J’expire en crachant enfin de la mer : Glaviot bleu turquoise bleu lagon bleu naufrage bleu Gitanes…
2- Ras de marée
Ô Tsunami ! Que je Vous aime éperdument ! Courons ! Le temps est à l’orage, ma belle Japonaise ! Courons sur la jetée ! La mer sera bientôt assez vaste pour qu’on puisse étancher pleinement notre soif au goulot vaseux de ses plages disparues… Courons nous noyer et nous laver ! Mais d’abord, écoutez donc Votre petit cœur battre la chamade ! Taisez- Vous et écoutez ! Nous nous écoutons depuis déjà deux minutes tandis que des cris se mettent à retentir soudain tout autour. On entend une femme hurler à la mort : « L’EAU ARRIVE ! L’EAU ARRIVE ! L’EAU ARR… ! » Un gouffre dans la poitrine… puis plus rien ! C’est rien ! Rien qu’un mirage sur le désert océan rien qu’un petit écueil de mousse brune rien qu’un petit tas de tabac brun…
J’inspire l’odeur déplacée du poème de la mer : Le temps que je crois arrêter me renvoie mon image d’écume gifle marine où se noie ma lucidité mes doigts un à un se détachent je glisse dans le Tout de cri étranglé qui monte de mon sexe grand ouvert sur le large que je voudrais tempête
J’expire une masse chronique de boue marron échappée teintée d’une écume de mer qui a tourné sort enfin hélas de moi : Du bleu du bleu de partout du bleu !!! « Pardon monsieur, vous n’auriez pas du feu ¿ »
3- Tempête
Laissez-moi enfin dormir en paix dans la tempête comme dirait Pouchkine…
La paix du temps est sérieusement entamée Pour l’instant on fait des châteaux forts avec le sable blond On se met à table on accueille les convives pour le banquet Véronèse a oublié son vert à l’atelier L’heure est aux funérailles de Cana On ira plus tard chercher les mouvements divers et épars de la vie dans l’œil du Cyclone On n’oubliera pas d’offrir à l’eau tourmentée aux manèges aquatiques nos poumons enténébrés Voila l’œil furieux l’impatience et la déraison On se laisse regarder tourner encore et encore On se laisse aller en fermant les poings sans mollir Un gouffre dans la poitrine… puis plus rien ! C’est rien ! Rien qu’un mirage sur le désert océan rien qu’un petit écueil de mousse brune rien qu’un petit tas de tabac brun…
J’inspire la marée noire en baissant le regard devant l’Œil furieux du colosse aux écailles de fer aiguisées : Elle a plus d’un tour dans son sac et ses ressacs elle se joue de tes filets de tes voiles, de tes rames et tu peux toujours t’accrocher à sa crinière d’écume elle t’entraîne dans ses rouleaux où elle veut quand elle veut et comme elle le veut tu n’as qu’à lâcher prise…
J’expire des exhalaisons de maladie embaument la ligne de partage nette des éléments apaisés: Je sais à présent porter l’eau à incandescence et faire rouler sur les flots toute une ambulance…
4- Grand large
Il faut aller loin le plus loin possible Il faut aller là où personne ne va Il faut aller là où l’eau est la plus liquide Il faut aller là où la surface est la plus profonde Il faut aller dans les soutes les plus lointaines de la mer Il faut aller la chercher là où l’Abandon se fait le plus total le plus précieux Il faut aller la chercher entre les reins de la mer Il faut aller la chercher bien au dessous du nombril Il faut aller chercher la symbiose Il faut aller chercher l’eau dans de l’eau Il faut s’y taire… Soudain une vague La Vague ! Un gouffre dans la poitrine… puis plus rien ! C’est rien ! Rien qu’un mirage sur le désert océan rien qu’un petit écueil de mousse brune rien qu’un petit tas de tabac brun…
J’inspire les senteurs profondes par le Filtre des eaux : Comme un relent de port qui me tenait debout, les naseaux en arrêt, et tout mon corps en manque, ta mouvance insatiable me labourait le ventre
J’expire un bout solide du vieux Filtre des eaux : Ni côte ni hymne ô nicotine Je meurs fumeur anonyme… Brignais, 18-19/09/2011.
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