Déclin estival

Date 27-09-2014 19:00:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Pardon, pas le temps de faire du neuf alors voici du " réchauffé "


Elle a déserté la maison.
Sur la table de bois sont entassés les habituels formulaires d'inscription demandés par les enseignants, les attestations pour l'assurance scolaire, pour les activités sportives de chaque enfants .... Les photos d'identité sont prêtes, découpées et agrafées sur les documents remplis. Elle a abandonné le casse-tête du planning des grands et petits, des horaires pour la musique, la natation, l'équitation, le tennis, le judo ...elle reverra plus tard cette organisation de début d'année, cet emploi du temps de chacun lui semble, pour l' heure aussi réalisable que la quadrature du cercle.
Sur le canapé, éparpillés en un joli désordre, sont étalés les livres neufs dans lesquels elle a, comme à l' accoutumé, mis longuement son nez et avec, depuis toujours, cette même délectation, respiré l'odeur de l'encre et du papier, pour avec gourmandise, déguster l'odeur des livres.
Sur l'immense tapis, en vrac, attendent en désordre les longs rouleaux de papiers de couleurs, les ciseaux et le rouleau de Scotch qui serviront à recouvrir les manuels scolaires des enfants. 
Après l' harassante épreuve qu'est la bousculade bruyante des achats de fournitures dans les rayons du super marché, transformés pour l'occasion en foire d'empoigne, et envahit par une meute de parents exaspérés, au temps qu'exaspérants, après cette agitation, elle appréciait cette calme activité rituelle et incontournable de chaque rentrée scolaire.
Elle faisait ce travail manuel avec soin, avec application, sans déplaisir, à quatre pattes sur le sol en s'étalant sans retenue dans toute la pièce
Sur la crédence face à la fenêtre, une cruche de pierre dans laquelle elle à disposé les branches de feuillages d'automne cueillis la veille. Dans une soupière ancienne, en gros bouquet, les asters du jardin, soleils de l'automne, éclairent la pièce de leur camaïeu de roses, violet et mauve.
Sur le fauteuil, abandonnées, elle a posé les grosses têtes fanées de l'hortensia, qu'elle a taillé hier devant la maison. Avec soin, elle a choisi les plus rondes d'entre elles, les plus colorées.
Avec précision et délicatesse elle les a ornées en piquant dedans des rangées de petites perles et des petits noeuds de ruban d'un rose tendre, puis elle les suspendra au lustre, au long d'une tresse de satin. Peut-être, aussi changera -t-elle les rideaux, et achètera-t-elle de nouvelles couvertures de couette de jolies couleurs, ou quelques douces serviettes de toilettes neuves.
En parfait mammifère, dès les beaux jours de l'été finis, elle s'affaire à la confection du nid de la famille, soucieuse de faire de ce refuge un havre de beauté et de doux confort pour les heures de repli et de froid à venir.
Elle a retrouvé les gestes séculaires que font les femmes, les mères, quand la vie, après le temps d'un été nomade, redevient sédentaire. Quand le ciel revient au froid et que le gris revient perler dans les nues, alors elle refait en chantonnant le nid de sa nichée.
Elle n'a pas éteint la radio, et pourtant elle ne la tolère que pour la présence qu'elle apporte, mais la reprise des discours politiciens menaçants ou moralisateurs, les inévitables prochaines grèves qui font parler, ainsi que les incessantes querelles intestines des partis politiques l'assomment ou plus exactement l'indiffèrent, seule l'annonce des prix littéraires de la rentrée ont mobilisés son écoute autant que les dates des manifestations, expositions, ou concerts à venir. Elle garde le cap aux réjouissances sereines.
De la cuisine vient l'odeur de pâtisserie du gâteau de pain perdu, agrémenté de doux beurre, de vanille, des fruits d'automne délices qu'elle a confectionnés en digne gourmande..
Puis, elle a soudainement abandonné son activité, elle a mis sa vieille robe de laine violine, qui est encore imprégnée de l'odeur de «  magie noire », son parfum, celui auquel elle est fidèle depuis toujours et qu'elle affectionne tant. Elle retrouve, avec plaisir, cette eau de toilette proscrite pendant les mois d'été parce que trop puissante dans la moiteur des lourdes chaleurs de la belle saison
Mais elle l'a si souvent portée et depuis si longtemps, qu'aucun lavage ne peut plus en chasser tout à fait les délicieuses effluves qui émanent maintenant de tous ses vêtements ou de ses sacs. 
Ses doigts de pieds nus tout l'été, sont retournés dans leur prison de chaussettes et elle les a enfermés dans des chaussures confortables, son pull à capuche sur le dos, elle est partie les mains dans les poches, goûter l'air frais de Septembre.
Sur l'écran de la télé restée allumée le présentateur de la météo refait l'historique des inondations et des violents orages des deux nuits précédentes. 
Ces déluges d'eau et de foudre ont irrémédiablement baissé le rideau sur le théâtre des vacances et ont annoncé le début d'un nouvel acte.
L'été qui se termine, se conclut par une habituelle transhumance humaine, un grand désordre annuel, le rituel « chassé- croisé » des départs et des retours de vacanciers et de touristes étrangers, sujet de prédilection des médias qui en font leur nourriture quotidienne avec d'autres futilités, durant juillet et août.
Nous mettons donc le mot "fin" sur les routes encombrées et les files de véhicules bloqués, à l'arrêt, sur les voitures paralysées, comme par un accès de fièvre néfaste, c'est désormais le grand chambardement, un grand glissement de population; les campagnes se vident brusquement, pendant que les villes retrouvent leur abondante population. 
Le pays entier est en déménagement durant quelque jours,
Les plages sont déshabillées en peu de jours de leurs encombrantes constructions de plastique ou de bois peints, des nombreuses buvettes ou paillotes et plages privées. 
Le sable rendra sous la pluie qui ravine les milliers de gadgets ou détritus semés, perdus, abandonnés par les vacanciers, et libre enfin, il rendra en vomissement libératoire ces infections.
Il retrouvera pour quelques mois seulement sa vérité originelle.
Enfin revient le quotidien, l'habituel. Nous revenons à la tâche.
Nous retrouvons sans déplaisir ou avec spleen, c'est selon, le cycle de nos vies: travail, les cours, la fac, semaine, week-end.

Elle quitte la maison sort du jardin, et s'éloigne vers les champs, le bois. En marchant, elle respire l'onde de l'air irisé et l'opale délicate du ciel.
Le rideau d'eau à démaquillé l' azur et le soleil s'est défait de l 'outrance de ses lumières crues et brutales..
Il brille maintenant avec sagesse et s'est couvert d'un voile virginal de douceur. Il semble que la nature fatiguée de ses outrances brûlantes de l'été est entré dans un tendre état de nonchalance sur le mode pastel.
A l'entrée du bois comme un cadeau, une broderie de perles d'eau se balance entre deux branches.
L'ouvrage de l'araignée, dentelle arachnéenne, la toile fragile et précieuse fait exploser ses brillants de diamants précieux sous les éclats du soleil complice.
La promeneuse s'est arrêtée pour le bonheur de ses sens, les yeux fixés sur l'extraordinaire bijou, explorant la terre souple et humide sous ses pieds, elle se glisse avec volupté entre les grands arbres qui pleurent déjà quelques feuilles. Les ronces sont chargées de baies qu'elle cueille au passage, les mures, sur le sol les myrtilles brillent entre les feuilles, et une odeur charmante de menthe écrasée fait frémir son nez.
Elle ressent une jubilation simple, pour être là, dans cet univers de vie sereine, tendre et odorante.
Dans la température douce et confortable, idéale, ni froide, ni chaude, vivre lui est paisible, dans ces lieux accueillants et sans danger.
En avançant sur l'étroit sentier, en haut de la montée, sur le surplomb, la forêt à ouvert le rideau vert et mordoré des charmes, des hêtres et des acacias, pour offrir aux yeux heureux son spectacle: l 'espace s'ouvre largement sur un paysage de lointaines collines boisées. Après les genêts et les mûriers brillent les houx vernissés puis de loin en loin, les verts sombres des sapins et autres résineux donnent la réplique et enchantent les premiers feuillages qui tournent l'or. Les érables roux et rouges complètent cette symphonie de couleurs sublimes : chantent les ors, les bruns mordorés, les rouges rayés des verts persistants;
le pas toujours alerte elle s'arrête pourtant et lentement s'assied, doucement pour ne rien déranger, elle contemple, regarde avec concentration, attentive, le regard dense, elle regarde comme d'autres prient.
Elle veut peindre, elle veut dire la majesté de cette perfection.
Entre ses pieds une colonne de fourmis s'affairent vivement et transportent en longue route leur provision de récolte nourricière.
Un acrobate écureuil roux, téméraire, l'ignore et grimpe sur les troncs avec vivacité, il transporte sa provision de glands ou de graines qu'il entrepose dans son refuge .
Chacun dans la nature, fébrile, usine laborieusement à l 'approche des froids à venir et chaque nourriture est l'objet des soins des êtres vivants.
Plus loin d'autres fourmis sur leurs deux jambes s'agitent avec les mêmes obligations vivrières.
La nature toute entière, les bois, les champs résonnent des agissements humains qui sont occupés à la récolte.
Les bruits portent loin dans l'air devenu plus froid. Les tronçonneuses bourdonnent au fond de la forêt, on entend les sons sourds des cognées sur le bois que l'on fend. Les bûcherons, à l'oeuvre ouvrent de nouvelles clairières, et se faisant ils découvrent de grands pans de ciel clair et frais. 
Les troncs et les branches tombent et sont débités par des hommes robustes.
Les stères de bois, réserves de l'hiver montent et s'allongent sur les bords de chemin.
Plus loin dans les champs commencent les premiers labours qui ouvrent la lourde terre brune. 
Dans les vergers les pommes, les poires, les coings sont récoltés et le jus de pomme est proposé à la vente dans chaque ferme.
Les mirabelles et les quetsches font ployés les branches, les premières châtaignes bombardent le sol de leur menaçantes bogues de pointes qui s'enfoncent dans le tapis de feuilles rousses avant d'offrir leurs fruits nourrissants.
Dans les vignes les vendanges battent leur plein, le vin nouveau sera bientôt tiré.
Les humains sont aux champs et préparent les jours froids, ils engrangent, ils réparent, se préparent.
Les chasseurs reviendront nous inquiéter pendant les promenades, leurs fusils fièrement portés sur le bras. Les lapins n'auront nul besoin de tirer sur les chasseurs, puisque chaque année, ceux-ci ont pour habitude de faire cela eux-mêmes, entre eux, tout seuls !
La vie fourmille, elle est partout, mais bientôt tous les êtres vivants vont déserter, et ils se replieront dans leurs refuges pour « hiberner »
Insensiblement, elle sent son pas ralentir, l'ombre s'annonce déjà, pendant que s'élèvent les premières écharpes de brume légère, le soleil bas filtre doucement derrière les cimes et va finir sur l'horizon. Derrière elle la lune est bientôt levée.
Les jours raccourcissent déjà, pense-t-elle, nous allons allumer la lumière plus tôt, se lever chaque matin sera plus difficile, nous allons encore tomber amoureux de la couette.
Et nous ferons bientôt du feu dans la cheminée, Oh, non ! Pas par nécessité, non pas encore ! mais pour le plaisir de retrouver cette sensation de s'adonner au cocooning, tous unis autour de la flamme à lire, bavarder, écouter de la musique ou rêver.
Elle sait en singe nu qu'elle est un animal frileux, un animal fragile, elle sait le prix, la valeur de son foyer.
Levé tard, un long bâillement, un câlin, une jolie robe, un musée, le gros pull tout doux, les bottes, un repas roboratif, allez ! on retrouve la choucroute la tarte flambée, la tarte aux myrtilles, le pot au feu comme autrefois, avec une bouteille de bon vin, le tout sur une jolie nappe. On retrouve le chemin des Damarts et ce sera à coup sur, le retour des poux dans les écoles, le changement d'horaire et les devoirs du soir avec un enfant qui baille.
En passant devant les meubles de jardins salis par l'orage, elle sait qu'ils ont peu de chance de resservir, manger dehors n'est plus d'actualité, car couper sa viande avec des gants aux mains est mal commode. Donc demain elle les lavera et les rentrera au garage, avec la table de ping-pong, les pots de fleurs,eux, attendront encore un peu. 
Sur la pelouse redevenue verte, les nombreux dahlias nourris de froide rosée matinale jouent leurs couleurs variées en étoiles et fixent les regards par leurs attraits.
Demain, elle fera des confitures, la grande bassine est prête, les seaux remplis de fruits, prunes, pêches, framboises...sont dans la cuisine. Les verrines propres attendent d'être remplies.
Ce sera jour de fête pour les enfants, ce sera le festival des odeurs de fruits cuits, de sucre, de cannelle, de citron...
Le soir, les copains viendront montrer leurs photos de vacances, ils nous feront leur cinéma, nous préparerons Noël , nous rêverons de ski et avant la fin de l'année nous croiserons nos voisins en grande plainte qui nous répéterons à satiété : «  il fait froid, vivement les vacances ».
Maintenant, lasse et heureuse elle rentre dans la maison tiède et sombre, comme on rentre dans sa niche ou son terrier, avec ce même sentiment de refuge.
Je n'ai plus envie de passer la nuit dehors remarqua-t-elle en ouvrant la porte, c'est si bon d'être chez soi, de retrouver l'odeur de son logis, oui, c'est bon de rentrer.
C'est la rentrée.

Lydia Maleville




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