Le Manoir des Ombres, Dixième Partie

Date 12-12-2012 18:40:05 | Catégorie : Nouvelles


C’est là que je me promène quand je veux m’évader de mon travail quotidien. Evidemment, parfois, je ne fais que flâner à proximité de la partie de la Bibliothèque qui se situe au rez-de-chaussée de la salle. Mais je répugne à l’approcher trop souvent, de peur de trébucher. Je n’y vais que lorsque je n’ai pas le choix. Je n’y accède que quand j’ai besoin de récupérer un ouvrage qui m’est indispensable dans la poursuite de mes investigations.
La plupart du temps, je préfère en effet errer parmi les coursives qui dominent les lieux. Je singe Ycäel en faisant lentement glisser mes doigts le long de rainures des titres qui les constituent. Ici, je reconnais une édition limitée des œuvres d’Agatha Christie. Un peu plus loin, je discerne plusieurs romans de Christian Jacq ; Chÿlderic en est très friand. Lui qui, normalement, ne lis que très peu, les a tous dévoré avec avidité. Ailleurs, je constate que « l’Etranger » d’Albert Camus est toujours en place. Il a une fâcheuse tendance à disparaître. Je n’ai pas encore découvert qui me l’emprunte aussi souvent, mais je commence à être irrité par ces emprunts répétitifs. D’autant que cet ouvrage est désormais écorné, deux ou trois pages sont presque arrachées. Et s’il y a une chose dont j’ai horreur, c’est qu’on ne prenne pas soin de ce que l’on me dépossède sans mon autorisation.
Je progresse le long du corridor et je contemple la tranche d’un livre auquel j’attache une grande importance, parce qu’il a bercé un moment de mon existence en ces lieux où je suis resté cloué au lit pour cause de maladie : « le Petit Prince », de Saint-Exupéry. C’est Vÿvien qui me l’a procuré. Un jour où je me trouvais dans un demi-sommeil, elle est entrée discrètement dans ma chambre, a avancé jusqu’au pied de ma couche, l’a déposé sur ma table de chevet déjà encombrée de brochures. Puis, elle est ressortie aussi silencieusement qu’elle était venue. Ce n’est que plusieurs heures plus tard, que je me suis rendu compte qu’un nouveau texte trônait au sommet de la pile. Et ce n’est que le soir, lorsqu’elle est officiellement venue me rendre visite pour prendre de mes nouvelles et s’enquérir de ma santé, qu’elle m’a demandé si son cadeau m’avait été agréable.
« Evidemment, lui ais-je répondu ». Quel présent de sa part ne me serait pas plaisant ? Toujours discrète, mais administrant le Manoir d’une main de fer, elle est toujours disponible. Elle prend le temps d’écouter. Quand elle répond à mes interrogations, c’est toujours gentiment. Lorsque je l’interroge sur des sujets qu’elle ne souhaite pas aborder – ou qu’Anthëus lui a interdit de me dévoiler -, elle à l’art de dévier la conversation sur d’autres thèmes sans que je ne m’en aperçoive. Comme je l’ai appris dès les premières années après mon « Réveil », ça fait parti de son Don ; de la même manière que d’être apprécié par tous ceux et toutes celles qui sont amenés à souvent la fréquenter. On a beau s’en méfier ou être réticent à lui confier ses Secrets, ses pensées les plus intimes, ses désirs et ses rêves les plus fous, elle réussit à les percer à jour de toute façon. Que nos desseins soient avouables ou non, que nos projets soient magnifiques ou terrifiants, que nos réflexions soient enchanteresses ou immondes, elle sait comment nous les faire avouer. Par contre, elle ne les révélera à personne. Elle les garde pour elle envers et contre tout. Mon Père a essayé à de multiples reprises à lui arracher les confidences que mes Frères, mes Sœurs, moi, ou d’autres encore, lui ont confié, elle est toujours resté muette. Comme elle aime à le répéter : « Ce que l’on me révèle restera enfermé au fond de mon cœur jusqu'à ce mes Ancêtres ne me rappellent à eux ; et même au-delà. ».
En tout cas, la lecture du « Petit Prince » m’a profondément marqué. C’est un de ces livres qui laissent une empreinte indélébile dans la mémoire de celui qui s’en délecte.
Je ne lasse pas non plus de « A la recherche du Temps perdu », de Proust, de « la Condition Humaine, ou dans un tout autre genre, du « Fléau » de Stephen King. Je relis volontiers « les Raisins de la Colère », le « Nom de la Rose », qui, pour moi, est un pur chef-d’œuvre. Je me replonge avec joie dans « le Meilleur des Mondes », ou « Conan ». Les récits horrifiques de H.P. Lovecraft me procurent un doux frisson de terreur à chaque fois que je parcours leurs lignes. « Le Chien des Baskerville », ainsi que les innombrables nouvelles dont Conan Doyle est l’auteur, me ravissent. Puis, comment ne pas nommer « Le Seigneur des Anneaux », de Tolkien, qui, pour moi, est une référence. Anne Rice, Stoker et autres consorts qui nous font partager les aventures exaltantes de leurs Créatures de la Nuit me transportent, bien entendu. Mais tous ces écrivains ne pourront jamais atteindre le summum de la félicité qu’a déclenché en moi les péripéties extraordinaires vécues par la « Communauté de l’Anneau. Bilbon et Frodon, Sam et Gandalf sont des héros dont j’ai presque ressenti la présence à mes cotés tandis que je tournais les pages de ce livre.
De fait, c’est en longeant les parois aux étagères croulant sous ces milliers de textes issus de tout horizons et de diverses époques que je réussis à me délasser quelques instants de mes travaux à la fois littéraires, historiques et mythiques. Je parcours une fois, deux fois, trois fois, ou davantage, les allées qui surplombent mon Bureau. Je m’arrête de temps en temps devant tel ou tel rayonnage. J’en extrais un titre, l’ouvre précautionneusement lorsque celui-ci est assez vieux pour avoir connu Flaubert ou Eugène Sue. Je le feuillette un instant en repensant aux nombreuses heures que j’ai consacré à m’en nourrir. Je le repose, puis, je continue ma route jusqu'à ce qu’un de ses semblables n’attire mon regard.
Parfois, je m’installe en un lieu où la lumière de la lampe à pétrole la plus proche est particulièrement vive. Je m’appuie contre la rambarde ouvrant sur le vide et la pénombre de mon espace de vie. Je m’empare d’un livre au hasard, sans savoir quel ouvrage va atterrir entre mes mains. Puis, je me mets à décrypter les textes qui s’y dissimulent. Des dizaines de minutes, des soirées entières parfois, peuvent s’écouler sans que je ne m’en détache. Je suis de temps en temps surpris lorsque je réalise que la nuit est tombée et que le moment de diner a passé. Je souris en songeant qu’Edgard est certainement venu pour me prévenir qu’il était l’heure de rejoindre le reste de ma Famille pour diner avec eux. Mes lèvres laissent échapper un léger esclaffement, en espérant que personne ne soit présent dans les environs pour l’entendre résonner. Et je me dépêche de descendre le colimaçon, de sortir de mes Appartements, de suivre les corridors du second étage, de dévaler les marches du grand escalier, et de les rejoindre ; tandis que j’imagine la tète d’Anthëus, tempêtant après moi auprès de mes Frères et de mes Sœurs qui n’osent le contredire, et de mon manque de ponctualité.
Heureusement, ces étourderies ne sont qu’exceptionnelles. Le plus souvent, mes absences ne durent que quelques minutes ; ou, quand elles sont plus longues, elles ne se produisent qu’en milieu de nuit. Car c’est à ce moment là que j’ai le plus besoin de fuir mes études pour une ou deux dizaines de minutes. C’est en effet tandis que tout le monde ou presque dort dans le Manoir que je peux décrypter mes manuscrits en latin ou en grec ancien avec le calme et la tranquillité qui me sont nécessaires à cela. Et bien sûr, l’Agamemnon d’Eschyle posé à coté de moi pendant que j’écris ces lignes ne fait pas exception à la règle.





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