Les mémoires d'un chien. (4)

Date 03-02-2013 19:00:00 | Catégorie : Textes Illustrés


Bribes du quotidien (suite)


J'attendis la fin du cours et l'abordai sans hésiter.
J'ai beau paraître indécis, je me montre résolu et déterminé quand il s'agit d'entreprendre une tâche de laquelle pourrait dépendre mon avenir même; comme c'était le cas.
Donc, prétextant une assistance dont il avait sûrement besoin, étant en retard; et m'ayant paru quelque peu patauger, je me proposai afin de mettre à sa disposition et mes documents et mon, hum…. Savoir!
Il me considéra d'abord d'un air curieux, comme s'il sondait mon âme et mes intentions, puis, au bout d'un moment son visage s'alluma d'un sourire sublime!
Oh! Ce sourire! Quel beau cadeau pour le chien que j'étais (et que je suis toujours!)
La rue me parut plus belle, plus accueillante; les gens plus souriants, moins étranges et étrangers, lorsque pour la première fois dans cette ville j'avançais en compagnie de quelqu'un. Je n'étais plus ce chien errant!
Non, je n'étais plus ce chiot abandonné qui fouillait le regard de passants anonymes dans l'espoir d'y découvrir un signe d'amitié. Que de fois avais-je en vain désiré cet os à moelle! Et du coup, tous les regards furent sympathiques et généreux!
Nous passâmes d'abord à ma mansarde.
Il faut vous dire que si j'apprécie la compagnie, les pensionnats me rebutent et me font peur.
Et en ce qui concerne cette période de ma vie du moins, je pense que je n'avais pas tort. Imaginez un peu ce que mon existence aurait été avec des êtres qui m'abhorrent (ou font semblant de le faire dans le seul but de me narguer et qui s'en délectent) si j'avais opté pour le pensionnat, car l'établissement où je poursuivais mes études en était pourvu.
- C'est exigu et triste! Me dit S… lorsque nous fûmes chez moi.
J'appréciai beaucoup cette franchise. Cela dénotait un caractère qui me tient à cœur; celui des bêtes. Un autre m'aurait félicité de la beauté de ma niche, tout en refoulant une pensée contraire qu'il aurait volontiers confessée au premier venu. Ce nouveau camarade n'était pas trop infecté par l'hypocrisie des hommes, et cela me plaisait.
- Je ne viens là généralement que pour dormir; répondis-je sans être alors froissé.
- Et que fais-tu du reste?
Comme j'avais l'air de ne pas bien saisir sa question, il expliqua:
- Du temps qui te reste, je veux dire.
- Oh! J'erre beaucoup! J'aime errer!
- Excellente occupation, fit-il avec un petit rire goguenard.
Après avoir cherché dans mes documents ce qui pourrait lui être utile, nous nous en allâmes. Il voulait rentrer afin de déposer ses affaires et de me montrer là où il habite.
- Tu n'as donc pas de copine?
Je ne comprenais pas à quoi rimait son "donc", et répondis non, tout simplement.
Alors il fit cette remarque qui me sembla absconse à force d'être équivoque.
- Encore faudra-t-il que les erratiques se plaisent avec des femmes!
Pourquoi "erratique" au lieu d'errants?
Et pourquoi n'a-t-il pas filé sa métaphore en disant "femelles" au lieu de "femmes"?
A-t-il compris que je suis un animal perdu au milieu des hommes?
Attendons voir!
S… logeait avec ses parents dans la banlieue. Son père, un militaire à la retraite avait un air de dictateur avec ses moustaches à la Staline et des yeux à iris bleus et froids d'une rigidité détestable.
Mais c'est surtout sa mère qui m'impressionna tant par ses allures que par ses manières.
Grande et forte sans être grosse, elle avait un visage à la fois grave et doux. Elle paraissait bien plus jeune que le papa; on aurait dit la copine de S et non sa mère. Son sourire, sa voix, et sa façon d'écouter et de hocher la tête; tout en elle exprimait une grâce qui n'allait pas avec le cadre dans lequel elle vivait; car c'était une famille de condition modeste. Cette grâce méritait mieux que le vieux con au regard de marbre, dont la compagnie était une insulte à cette princesse déracinée, à ce Cendrillon de banlieue!
Si je n'avais pas été d'apparence humaine, je crois que j'aurais adoré une maîtresse pareille!
S… me présenta sommairement, s'entretint un brin avec sa mère, puis dit qu'il ne serait pas là pour le dîner…
Aussitôt il m'invita à le suivre, et nous fûmes de nouveau dehors.
Avant de sortir, je saluai ses parents. La mère me sourit, pendant que le sergent à la retraite me fixait toujours de ses yeux au regard dur!
Nous empruntâmes le tramway à destination du centre ville, mais à mi-chemin S… se mit lestement debout et me dit de le suivre.
Nous marchions en silence sous un ciel gris soutenu par les bras vigoureux des platanes, dégarnis par l'automne, et alignés en garde à vous de part et d'autre de la grande avenue.
Après être descendu le long d'un escalier en vieilles pierres qu'une mousse marquait par endroit du sceau des âges, nous suivîmes une ruelle qui déboucha non loin sur une grande place avec une imposante bâtisse.
- Voilà le lycée dans lequel j'ai coulé des jours heureux, dit S… et il s'y engagea en conquérant.




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