La lettre

Date 19-02-2013 11:20:00 | Catégorie : Nouvelles




La Lettre

Elle est arrivée vendredi soir, je ne l'ai pas ouverte car je voulais être seule pour le faire.
Nous partions le soir même pour Ottawa et je décidai de ne pas l'emporter pour ne pas être tenté de l'ouvrir sans en avoir vraiment le temps.
Elle était là, tant attendue, c'était l'essentiel, je pouvais attendre encore un peu d'en connaître le contenu. Je pouvais passer deux jours à déguster cette certitude, la lettre était arrivée; elle traînait sur mon bureau, pas un seul instant oubliée.
Au cours de ces deux jours pleins de rires, de jeux, d'activités de toutes sortes elle ne quitta pas mon esprit un seul moment, prenant même parfois toute la place; je répondais aux plaisanteries, aux questions avec une partie de moi-même, le reste savourait, pensait aux gestes qui allaient me permettre d'en découvrir le contenu. Découper l'enveloppe, en retirer les feuillets, retarder encore la lecture comme on retarde la jouissance. Je fais l'amour avec toi depuis trois jours, au vu et au su de tout le monde qui ne voit rien, qui ne sait rien.
Ce plaisir du secret chaleureux, ce plaisir de ta présence invisible et même inconnue pour la plupart.
Hier nous avons visité des maisons, te souviens-tu de toutes celles que nous avons vues ensemble ? Tu étais là à chaque marche d'escalier, à chaque porte poussée pour découvrir une superbe chambre à coucher; je vis par moment ta moue peu enthousiaste devant une salle de bain ratée.
Je passai ensuite le reste de mon temps à lire Sacré Manège de P Djian. Tu y étais à chaque page, faisant des remarques, des commentaires entre les phrases.
Sur le chemin du retour je laissais mes mains et mes pieds mener la voiture à un train d'enfer. Te souviens-tu de notre ballade à Honfleur, juste deux heures comme hier?
Mon esprit vagabondait, le paysage canadien était remplacé par la Normandie qui défilait à toute vitesse le long de ma portière. Tu étais là à côté, silencieux.
Aujourd'hui j'ai peint le salon, repoussant un peu plus ce moment où toutes les conditions seront réunies pour ouvrir cette lettre que je savoure depuis trois jours. Par moment je flanche en voyant tous ces coups de pinceau qui m'en séparent. Je pense à tes commentaires sur ce blanc pas vraiment blanc que j'étale et qui n'en finit plus de couvrir ces murs.
Un moment de paix; je viens d'écrire ces lignes, elle est là devant moi; je me suis assise devant la maison, au soleil, mes mains tremblent un peu.
Les mots sont là, pleins d'émotion et de retenue; c'est comme d'être dans tes bras après avoir fait l'amour; c'est la douceur des certitudes; tu me parles de ton amour pour moi, de ce que tu partages avec ta compagne, de ta fille amoureuse de son musicien, de ton fils qui me rappelle quelqu'un il n'y a pas si longtemps.
Tu me dis peu de ton existence, mais je devine les mots, les serrements de cœur, les larmes de tendresse aux coins des paupières.
C'est tout toi qu'il y a entre ces lignes. Maintenant je vais flotter, ivre d'inexplicable, de mots non dits, te parler pendant des jours, t'aimer encore et encore.




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