Peur

Date 23-02-2013 12:00:00 | Catégorie : Nouvelles


Mars 1991

Elle est née en même temps que moi, et c'est à cause d'elle que je poussais mes premiers cris; et ces cons de médecins qui croient que c'est une vague question d'air qui entre dans les poumons!

Non c'est elle, et jamais elle ne me quitta; Dans cette course effrénée que je mène contre elle, il m'arrive de prendre quelque avance, mais la garce me reprend comme en se jouant;

Elle a été de tous mes grands et mes petits moments; certains l'ont utilisé pour me dresser; ils préfèrent dire éduquer.

J'ai appris sans le savoir à lui obéir au doigt et à l'œil. Elle m'a accompagnée dans une enfance où tout était classé entre péchés et bonnes actions. Elle servait à punir des premiers, et disparaissait un moment lorsque par un heureux hasard, mes actions avaient eu la bonne idée d'être ce qu'on leur demandait.

Son rire grinçant est aujourd'hui de tous mes instants, et si elle me laisse quelque répit, ce n'est que pour mieux se délecter de ma prochaine chute, de ma prochaine défaite.

Elle a fait de l'inconnu son allié, et du temps son arme infaillible. On craint le premier et l'on redoute le second.

Et de la connaître ne me facilite pas la tâche, car la salope a eu tout le temps de m'imprégner dans un viol permanent de plus de trente ans. Elle est dans mes fibres, elle est dans mes os, elle est dans mon sexe et mon cerveau. Elle a tout investi, et se délecte quand sous son action l'adrénaline enjoint au cœur de pomper, le pauvre vieux au risque de le faire craquer.

Elle est maître dans l'art de se dissimuler; elle prend les traits d'inconnus, d'un homme, d'une femme, de Dieu; comble de la duplicité, elle prend parfois mes propres traits, et je peux alors la voir au fond de mes yeux; elle en bouffe les étincelles, elle les décore de cernes profonds, elle les noie de détresse.

Elle se fait parfois si petite que je la crois disparue à jamais, mais c'est mal la connaître, et elle jubile déjà de la surprise qui me coupera les jambes lorsqu'elle réapparaîtra.

Ne pas la quitter des yeux, reste ma seule chance, mais c'est admettre son emprise jusque dans mes amours sous lesquels elle ouvre au moment suprême un abîme sans fond, sur les parois duquel je laisse mes griffes et mes larmes.

Lorsque je pense aux amours qu'elle m'a fait rater, j'enrage, et je suis prête à la pourfendre, mais elle ricane sachant qu'elle m'a sucé toute la moelle épinière, et que mon squelette s'en va déjà pourrissant.

Elle a pris le meilleur de moi-même, me donnant l'illusion qu'ainsi je parvenais à accomplir des choses remarquables.

Elle est sans foi ni loi, elle capture l'inconnu et le pare d'inquiétantes couleurs, pour que je trébuche à peine je fais un pas hors du chemin qu'elle m'a tracé. Si je ne trébuche pas assez à son goût, elle place sur ma route un amour, dont la perte me devient insupportable.

Elle mène ma vie, me laissant croire par instant à une liberté enfin trouvée. Ses prises s'appellent, demain, amour, et la meilleure est sans aucun doute la mort. Elle l'a tellement dénigrée, nous en cachant la vraie nature, que nous craignons cet instant plus que tout.

Elle est omniprésente dans tous les yeux, si bien que toute rencontre devient un incroyable exercice d'apprivoisement.

Elle mène le jeu, et pauvres humains que nous sommes, nous croyons élever des remparts imprenables, et construire des armes redoutables alors que l'ennemi, le seul vrai, a vampirisé nos neurones.

J'aimerais que ces mots soient une déclaration de guerre, dont l'enjeu est ma vie, ma liberté, mais la garce veille et je n'entends que des bredouillements dont elle se moque.

Dieu, qui que vous soyez, "délivrez-moi de la peur"!



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