Le bas du panier

Date 21-03-2013 12:40:00 | Catégorie : Nouvelles


Je n'ai jamais rien compris aux anciennes générations qui s’acharnaient dans ce métier. J’ai connu toutes sortes d’hommes qui portaient des assiettes et dont la vie était totalement brisée par ce boulot : des divorces à répétitions, des pensions à rallonges, pas le temps de voir les enfants, des dettes de jeu, la drogue, l’alcool, les infarctus, j’sais faire que ça ma chérie ! Désolé, j’ai pas le choix. Certains étaient guères plus vieux que moi et s’enfermaient, eux aussi, dans cette vie qui ne mène qu’au désespoir. Le taureau qui court vers l’abattoir. La restauration, je vous le dit ! Est la seule corporation qui ne propose rien de positif à ceux qui l’envisagent. Un fonctionnaire pense à la sécurité de l’emploi, un maçons peux bâtir sa propre maisons, bâtir, bâtir, CONSTRUIRE ! Les commerciaux pensent à leurs commissions et à la marque de leurs voitures, la pute rêve de ne pas faire trop de clients et guette l’arrivée des macros au coin de la rue, et les serveurs alors ??? Les serveurs sont comme des putes, toujours à guetter la porte d’entrée à minuit, au-delà, rien, des clous, une cravate sale et des regrets.

J’ai jamais rien compris à ceux qui acceptaient de subir. La société te formate pour te persuader que tu n’as pas le choix que l’argent est la seule religion, ici, là, dans ce bas monde freiné au pied du mur de l’humanité. La bête crache son venin qui se distille à travers toutes les fissures pour te faire oublier l’esprit, le vôtre, le mien, pas celui qui est commun à tous et qui te fait t’arrêter au feu rouge alors que les flics s’en foutent royalement du feu rouge et tout le monde le sait mais personne ne dit rien. Mais ça changerait quoi ? Les lumières, l’abolition des privilèges, Voltaire, Diderot, Rousseau, tu parles ! On a essayé d’apprivoiser la bête en oubliant que ceux qui lui tenait les reines étaient aussi ceux qui lui donnait à manger. Les animaux n’obéissent qu’à leurs maîtres. Et si on l’avait changé la bête ? Imaginez ! Aucun homme au- dessus d’un autre, du pain pour tous sans exception, un pape noir, de quelle couleur est dieu ? Des femmes aussi puissantes que des hommes, est- ce vraiment anormal ? On connait tous la vérité mais tout le monde se tait. Chut, silence, on parle derrière les portes. Il faut donner du temps aux idées pour qu’elles se fassent, c’est ça la grande synthèse de l’évolution de notre société. Sornettes! Couleuvres à couillon ! Réponse d’opportuniste, de bien loti, bien gras du bide et sans soucis. L’évolution de l’homme ne fonctionne que si quelqu’un est là pour payer, personne n’ose s’opposer à celui qui tient la clef du coffre. Louis 16 avec sa tête dans les mains doit bien se marrer … les lumières tu penses !!! L’histoire de l’homme lui a toujours couté bien cher. Le courage d’avoir conscience de ce que l’on est vraiment, nous rend capable de prendre les vraies décisions. Sarah Bernard à 50 ans jouait mieux Juliette que les petites arrivistes : peau lisse, parfumée, bien coiffées et jamais le trac avant de monter sur scène. Le truand sait que ça se terminera mal un jour et alors ? On s’enracine dans une normalité par confort, par peur, c’est plus rassurant de rester comme on est, cette vie on l’aime pas mais c’est pas grave, on ne veut surtout pas avoir peur. La peur c’est la mort, c’est elle qui la fait tourner la planète, qui inspire les plus belles choses comme les pires erreurs. Peur ! Peur ! De tout, de tout le monde, la vie est étouffée par la peur, corps vident qui reculent sur le cours du temps, au bout du fil : la mort !... Peur ! Peur ! La mort, non pas pour moi, le plus tard possible, pourquoi ? J’en sais rien, ma vie n’est pas la vie, tant pis, tant pis, Peur ! Peur ! La mort c’est horrible, l’inconnu c’est la mort, tout mais pas la mort, Argent ! Oui ! OH OUI ! Argent, beaucoup d’argent, encore, encore, ENCORE !!!!!! Alors la mort loin et la peur aussi. Quelques fois, il y a les êtres-anges, certains les appellent aussi bizarres, ils illuminent notre passage, on ne sait pas vraiment de quoi ils sont faits, mais ils n’ont peur de rien, ils rassurent en étant simplement là, présence bénie, parce qu’ils sont là pour eux, pour nous, mais surtout pour l’espoir, parce l’espoir qu’on soit bon ou mauvais est la seule chose qui fait avancer un homme.

Et l’argent dans tout ça ? La nourriture de la bête infernale, la plus grande contre nature que l’homme à crée pour l’homme. C’est comme fumer et se battre contre le cancer. Les papous, eux, savent et depuis 2 000 ans que tout se résume à être tout nu avec des arcs et des flèches, et on dit qu’ils n’ont pas évolué. Pourtant, on n’a jamais entendu parler de dictateurs ou de génocides en Papouasie, de misère, de délocalisations qui décimes des familles entières, alors vous pensez, l’homme occidental, le plus avancé, l’accélérateur de l’espèce, le plus con qu’on est jamais vu. Toujours autant de clodos dans nos rues, de putes, de voleurs, de crimes, de guerres qu’il y a 2 mille ans. La roue tourne et deux mille ans plus tard, les chrétiens et les arabes se tapent toujours sur la figure, maintenant même les juifs s’en mêle ; la femme espère encore être un jour l’égale de l’homme ; des enfants crèvent de faim un peu partout, encore, encore ! D’accord ! On va sur la lune, mais bon sang ! Est ce que ça améliore le quotidien de mon voisin qui descend sa poubelle en voiture au bout du chemin, parce qu’il a le vertige dès qu’il se tient debout ? Alors, serveur ou pas, est ce que ça vaut vraiment le coup dans toute cette mélasse généralisée ? Travailler le jour et la nuit dans une même journée qui sera unique à jamais et perdue pour toujours. J’ai répondu à la question en terminant mon troisième godet avec Justin, pendant la coupure.

- J’vais plaquer.
- Mon cul, dans 1 an t’es encore là à me raconter tes conneries.
- Non tu te goures, fin décembre, j’me tire.
- T’as un point de chute.
- Pas vraiment…. Les camions du marché- gare peut-être…. C’est pas loin.
- Tu déconnes ça paie pas.
- Ouai, mais je verrai le soleil se coucher, la lumière du jour, les gens qui vivent. Depuis que je fais ce métier, je regarde même plus la météo, qu’est- ce que ça change. La plupart du temps, on est enfermé entre une choucroute et une vieille peau qui demande du pain.
- T’as les idées noires.
- J’ai tiré la chasse sur la mauvaise musique. C’est derrière moi maintenant. Je suis là mais il y a longtemps que j’n’y suis plus.
- J’ai une idée : les toutes petites mélodies de la chasse d’eau, ça sonne bien pour une chanson ou un bouquin, non ! UN BOUQUIN. Tu devrais t’y mettre. Un bouquin, qu’est ce t’en penses. T’en a des conneries à raconter, des bien salées et puis jamais personne a écrit sur nous. Même en littérature on les intéresse pas. Putain quand t’y penses.
- T’as les idées noires.
- Je t’emmerde.

On a fini nos verres et on s’est lentement dirigés vers la PAUL. Pour nous, la brasserie Paul était une femme et une bien salope avec ça. Sur les trottoirs, on croisait tous ces gens qui avaient terminé leur journée et qui rentraient chez eux vivre leur vie. Novembre se terminait et emportait avec lui les dernières nuées de l’automne, certaines belles couleurs ; pendant que décembre s’installait doucement comme un dictateur avec sa folie, celle des fêtes qui donne à la vie un aspect magique aux yeux de tous les enfants et permet à tous les autres, tous ceux qui ont oublié qu’il y a de la magie, de tirer un trait sur toutes les défaites de l’année. Pour nous, décembre, ça voulait dire 300 heures à abattre. C’était pas la fête pour tout le monde.





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