Vous avez dit ' galère ? '

Date 04-04-2013 01:08:52 | Catégorie : Nouvelles confirmées



La galère.

Que de fois j'ai entendu l'expression : " Ah ! j'en ai bouffé, de la vache enragée ! ". Pour la plupart de ceux que je connaissais bien, leur vache enragée était plutôt du bifteck de 2ème choix que du filet, mais c'était cela, leur vache enragée.
Et puis il y a une autre expression qui fait bien dans la conversation : " j'ai connu la galère ! " Si la galère, c'était de manger des sandwiches au pâté chaque jour, j'ai ramé dur sans m'en être aperçu Mais galérer sans même un morceau de vache enragé, ça oui, j'ai connu !
Je regarde parfois mon petit bedon, qui a tendance à s'arrondir, avec beaucoup de tendresse et je lui parle avec douceur : " Hein ! avoue que tu as connu une pèriode pendant laquelle tu ne te serais pas attendu à une telle prospèrité ." Et il en gargouille de plaisir.
Voyons. Comment un garçon, dans la force de l'âge, en bonne santé,pendant une pèriode où le travail ne manquait pas a t'il bien pu mourir, véritablement, de faim, dans une grande ville comme Marseille ?
Quand j'y pense, maintenant, je me dis que j'étais bien bête , avec mes principes et ma morale qui faisaient que l'idée même de sortir de ce que je considérais comme le droit chemin n'était pas envisageable . Mais j'avais comme excuse le fait que, justement, j'avais été élevé au milieu des arnaques, de la fauche, des combines et de la truande, en gardant le nez propre.La tolérance rigolarde, mais l'honnèteté chevillée à l'âme.
C'est uniquement le chemin de la légalité qui m'a mené à la panade.
Marseille est une ville cruelle, si on ne la connait pas.J'arrivais de ma Normandie, après la Marine, et je m'étais mis au boulot allègrement. Je m'étais fait une vie peinarde dans laquelle le labeur alternait avec les foiridons, dans de bonnes proportions.
Le soleil, braves gens....Je m'étais habitué au soleil du sud, pendant cinq ans. Un hiver particulièrement froid m'a fait prendre une décision ultra rapide : " Mais qu'est-ce qui m'oblige à me cailler les meules sur ce morceau de glace ? Hé, Bacchus ! retourne dans le midi ! "
Le temps de préparer mon départ ' proprement ', c'est à dire prévenir employeurs, amis et amie ( ce n'était pas le plus facile ! ), et j'étais dans le train, en route vers Marseille. Pourquoi Marseille ? parce que j'en avais gardé des souvenirs de rigolade et de joie de vivre qui me faisaient entrevoir l'existence sous le meilleur des angles.Naïf que j'étais.
Le travail ne manquait pas, je l'ai dit. J'ai donc repris mon boulot d'ascensoriste et, effectivement, j'ai coulé des jours plutôt heureux. Jusqu'au jour où j'ai fait une chute de 18m dans la trémie où je travaillais. Mais mon ange gardien avait commencé à m'avoir à l'oeil. Le pauvre...Je lui ai fait faire du surmenage, à celui-là.
A la fin de ma convalescence, plus question de jouer de nouveau à spiderman. . J'ai trouvé, sur le même chantier, un autre emploi à ras des pâquerettes Electricien .
Peinard, non ? Bien sur, je ne me doutais pas que j'allais frôler la mort Quatre fois en moins d'une heure..Mais ce pourrait être une autre histoire.
Après ce chantier, ma boite m'a envoyé en déplacement dans une station de ski, près de Barcelonnette. Oh la chouette petite vie ! puis à Orcières-Merlette. Oh les jolies skieuses.
Et les ennuis commencèrent...
En retournant à Orcières, après un week-end à Marseille, je suis passé par le bureau de ma boite, à Aix en Provence, pour y prendre du matèriel, mais surtout de l'argent. Pour la pension et mes soirées.
Attroupement devant les bureaux ?
J'appris alors que la direction s'étai volatisée, avec la caisse, bien entendu. Sale coup, mais je n'en mesurais pas encore l'ampleur.Aprés de longs palabres inutiles je décidais de revenir le lendemain. Beaucoup se sont installés pour attendre un déblocage de la situation.
Je retournais à Marseille sans me faire trop de bile : Bof..du boulot, c'était pas un problème.

Les jours passaient sans qu'il ne se produise quoi que ce soit..Les maigres réserves d'argent que j'avais avaient fondu, et je me retrouvais en train d'aller, chaque jour, à Aix en auto-stop . Il y a même eu un jour où je me suis fait toute la route à pieds, à l'aller ! je suis arrivé dans l'après-midi ! et il n'y avait toujours rien de nouveau..
Je me suis résigné à l'idée que je ne retournerai pas à Merlette. Où j'avais laissé pas mal d'affaires.
Et me voici, de bon matin, en train de commencer à chercher un emploi. Oh, ce n'était pas difficile, j'avais l'impression qu'on m'attendait. Arrangements sur le travail, les conditions et une demande toute simple de celui qui me recevait : "- votre certificat de travail de votre dernier employeur, svp ?"
"- Ben ? je viens de vous expliquer que la direction est partie sans prévenir ! je n'ai aucun certificat ! "
"- Ah, désolé, mais dans ce cas, je ne peux pas vous embaucher..Revenez avec votre certificat ."

Combien de fois je l'ai entendu, cette phrase ...

Alors, j'ai commencé a VRAIMENT me serrer la ceinture. Après avoir compté les quelques pièces qui me restaient, je me suis résigné à ne manger qu'une demie baguette et un demi-litre de lait par jour, le soir, en rentrant dans ma chambre d'hotel.
J'ai alors pensé à aller me faire inscrire au chômage. Je n'aurais jamais imaginé que cela m'arriverait un jour...

Dès le lendemain, je me retrouvais dans une queue étonnante, faite de gens n'ayant pas l'air du tout conditionnés pour trouver un emploi. L'époque ne connaissait que les chômeurs organisés, le travail ne manquant pas. J'avais l'impression de faire tache, dans la file..
-" Votre dernier certificat de travail, svp ? "
Je venais enfin de commencer à bien comprendre.......

Demie baguette et lait tous les deux jours, mais de l'eau, beaucoup d'eau, à m'en dilater la panse.
Honteusement, je me décidais alors à aller dans le quartier arabe , pour vendre , un à un, le peu de vêtements qui me restaient. Je me suis aperçu que ceux qui m'achetaient avaient capté ma détresse, car il ne me marchandaient à peine ce que je demandais.Certains m'ont offert un verre.

Et puis je n'ai plus rien possédé.

J'allais cacher ma faim dans les jardins publics.
Un après-midi, une colonie de gamins s'est installée autour de moi et leurs moniteurs se sont mis à leur distribuer des casse-crôutes ! J'ai subit une véritable torture et je me demandais s'ils entendaient mon ventre faire glouglouter toute l'eau que j'avais bu. Ils se sont égayés brusquement, abandonnant dans les paniers poubelles des quantités de morceaux de sandwiches !
Je me suis assuré que plus personne n'était dans les environs et je me suis approché des poubelles. J'ai tenu dans mes mains de la bonne nourriture encore fraiche, propre, sentant bon le jambon et le pain. Ah, l'odeur du pain.
Imbécile ..J'étais un imbécile. Je ne vous répèterai pas tout le laïus que je me suis servi , in petto.En gros, je me suis dit que je ne franchirai pas la dernière barrière de ma dignité. Ah, elle était chouette, ma dignité..
J'ai redéposé la nourriture dans la poubelle et je suis rentrer me gorger d'eau, une fois encore.

Je crois bien que cela faisait trois jours que je déambulais en ville, le ventre creux, quand, sur un banc, un autre gueux à qui je racontais ma malchance m'a dit, l'air étonné :
- " T'as essayé le travail temporaire ? "
Travail temporaire? Kékçekça ? je n'avais jamais encore entendu parler de ce genre de travail. ( je l'ai pratiquer ensuite avec beaucoup de succés pendant trois ans car cela payait nettement mieux )
. Le gars m'a expliqué, il m'a même donné l'adresse de bis-industrie.
J'y ai foncé illico, tout en ne me faisant pas trop d'illusions sur la phrase qui m'attendait :
- " Vous avez votre dernier certificat de travail ? "
Et bien non! cela s'est passé autrement.
Je revois parfaitement le monsieur qui m'a accueilli avec beaucoup de sollicitude. Il a écouter mon histoire, a réfléchi un moment en me regardant et m' a dit:
-" Vous avez vos outils ?"
Je lui ai expliqué que tout était resté à Orcières.
Il s'est levé, a été chercher un petit coffre avec quelques outils et à rempli un petit formulaire qu'il m'a tendu en me disant:
-" Rendez vous sur ce chantier, voyez le contremaitre de Ferrer-Auran ( l'enttreprise a maintenant disparu )., Ce soir, faites-vous signer votre feuille de pointage et venez me la porter. Je vous donnerai de l'argent. "
Cela a été le dernier jour de galère de ma vie....
Bien plus tard, alors que j'étais plutôt bien considéré à Ferrer-auran, des ouvriers qui étaient là, ce fameux jours ,m'ont raconté qu'ils n'avaient jamais vu un dingue comme moi, en train d'ouvrir une saignée dans le béton comme si j'avais un compte à régler avec lui.
J'avais un boulot ! j'étais de nouveau comme tout le monde !
Le soir, je me suis présenté au brave homme qui ne savait pas ce que sa compréhension représentait pour moi . Ou peut-être le savait-il ?
J'ai refermé mes doigts sur un merveilleux billet de cinquante francs. Ce que reprèsente le bleu, pour moi? J'aurai pu faire un poème sur ce billet : des quantités de baguettes, des litres de lait, mais , surtout, surtout, le premier d'une série qui ne s'est jamais tarie, en tous cas, jamais plus à ce point..

La vache enragée, disent beaucoup. La galère ? ça fait presque chic. C'est drôle; moi qui suis plutôt bavard, c'est bien là le sujet dont j'ai parlé le moins dans ma vie .
Maintenant, je crois que je peux.











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