Jambe en l'air : Mercredi 14 mai : L'hôpital en délire

Date 11-04-2013 06:50:00 | Catégorie : Nouvelles


Pour une bonne compréhension, veuillez lire les chapitres précédents à partir du prologue.

Mercredi 14 Mai : L’hôpital en délire

Après le petit déjeuner, j’ai droit à la séance de soin des plaies. A la vue du chariot portant tout le matériel, j’appuie de suite sur mon bouton magique. J’aimerais que ça ouvre une trappe sous les pieds de l’infirmière et qu’elle disparaisse. Je sors rapidement de mon délire quand on descend ma jambe d’un étage. Les pansements retirés, je peux contempler le travail du chirurgien. Il a apparemment réouvert du même côté car il n’y a pas de points de suture supplémentaires. Un fin tuyau sort de ma jambe au niveau de l’extrémité supérieure de la plaie.
Je ne reconnais plus ma jambe. Elle m’est devenue étrangère depuis l’accident. Autrefois, elle m’aurait emmenée jusqu’au bout du monde, elle me procurait du plaisir en me permettant de faire du sport. Aujourd’hui, elle reste immobile, comme morte et ne peut même plus me porter au bout de la chambre. En crise, elle me ferait presque préférer la mort à la vie.
L’infirmière la plus jeune arbore un badge avec son prénom et le nom d’une prestigieuse école. L’autre lui donne les directives et les conseils pour les soins. L’étudiante s’applique consciencieusement. Vers la fin de l’opération, elle me questionne :
« Qu’est-ce qui vous est arrivé ?
- Un accident de J.G.V.
- Eclairez-moi.
- Jogging à Grande Vitesse. Vous voyez … dans les films, une voiture passe de justesse devant un train. Eh bien, j’ai voulu essayer en courant pour éviter une voiture mais j’ai raté mon coup !
- C’est vrai ? Vous avez vraiment fait cela ? C’est du suicide.
- Non. Je voulais juste me vanter un peu. C’est un accident classique : voiture contre piéton. Et qui est toujours perdant ?
- Le piéton ! »
Après un repas de type cantine scolaire, je m’endors comme un bébé après son biberon. Je n’entends même pas l’infirmière venir chercher le plateau. Je suis tirée de mon sommeil vers 16 h 30 par un toc toc à la porte auquel je réponds par un oui un peu mou. Les gonds grincent et Didier apparaît avec une boîte de pralines à la main.
« Tiens, ça te remontera le moral.
- Il est vrai qu’il est plus bas que ma jambe en ce moment ! Qu’est-ce qu’il a dit pour dimanche soir, le gros ?
- Il était plutôt étonné de revoir Corinne. Il m’a juste dit que tu étais une petite nature.
- Il exagère. En quatre ans que je bosse pour lui, je n’ai pas été une seule fois absente. Enfin, je suis tranquille jusque vendredi.
- Malheureusement, il te faudrait lever le pied plus longtemps.
- Le droit est suffisamment haut pour l’instant.
- Ta sœur m’a dit que c’est à cause du boulot qu’ils ont dû te charcuter une deuxième fois. Je m’en veux. Quand je t’ai trouvée par terre dans les toilettes, j’aurais dû appeler une ambulance. »
Encore un qui culpabilise !
« On ne peut pas revenir en arrière. Mais je vais bien tu sais. Dans deux jours, ils m’enlèvent ce tuyau et on se revoit au turbin.
- Est-ce que c’est bien raisonnable ? Il faudrait que tu trouves un autre job …assis.
- Oui, comme ça je pourrais tout de suite demander un congé maladie. Quel patron accepterait tu crois ?
- C’est l’impasse. J’ai donné ton numéro de chambre au gros.
- Ce n’était pas nécessaire. Je me sens mieux sans le voir.
- Bon, je te laisse reprendre des forces. »
Didier m’ébouriffe les cheveux et s’en va un sourire aux lèvres.
Un peu avant 18 heures, une infirmière entre et me tend un combiné de téléphone.
« C’est pour vous.
- Merci. Allô ?
- Del, c’est moi.
- Ah, Val. Quelles nouvelles ?
- C’est à toi que je renvoie la question.
- Rien de neuf.
- Bon, je te passe Maman. »
Aurait-elle vendu la mèche ?
« Valérie me dit que tu as bien avancé dans tes travaux de tapisserie.
- Oui, je compte même refaire tout le rez-de-chaussée.
- Tu feras bien une pause pour venir me voir ?
- Quand je suis lancée, on ne peut plus m’arrêter.
- Fais bien attention de ne pas tomber de l’échelle. Tu pourrais te casser quelque chose. Bon, je te repasse ta sœur. Bisous. A bientôt.
- Oui, je t’embrasse aussi.
- (Val) C’est vrai que ce serait bête de te casser une jambe en tapissant.
- C’est marrant. (J’entends une porte claquer)
- Elle est sortie. Comment va ta jambe ?
- Comme un chien enragé à qui on aurait mis une laisse et une muselière, elle se tient tranquille. Elle obéit à la sonnette mais je ne crois pas que ce soit un réflexe de Pavlov.
- Qu’est-ce que tu vas chercher comme réponse alambiquée ?
- Tu sais que Paul te trouve poilante. Mais c’est moi qu’il préfère bien sûr. Il est là justement, je te laisse.
- Oui, embrasse-le pour moi.
- Et où ? !
- Où tu veux. Salut. »
Paul s’approche du lit et se penche pour déposer un baiser sur mes lèvres. J’anticipe son geste en agrippant le triangle pour me relever. Le bisou claque mais je regrette cet empressement qui provoque une sorte de décharge électrique dans ma jambe, me faisant afficher une vilaine grimace. Paul a le réflexe de presser sur le bouton de la pompe à morphine.
« Qu’est-ce que tu fais ?
- J’ai vu que tu avais mal alors, comme je sais comment te soulager, j’ai appuyé instinctivement.
- Tu es fou. Je viens d’avoir une dose il y a cinq minutes. Je risque de … »
Je simule alors une crise d’asthme sévère avec des bruits de suffocation et en me tenant la gorge. Je peux lire la panique dans les yeux de Paul qui se précipite vers le couloir.
« STOOP ! Attends, pas besoin de l’infirmière, c’était une blague. Il y a un système de sécurité pour éviter la surdose. Ca t’apprendra à vouloir jouer les apprentis infirmiers !
- Tu veux dire que j’ai failli avoir une attaque cardiaque pour un canular !
- Ils t’auraient vite réanimé !
- Il n’y a que toi qui trouve ça drôle ! Tu mériterais … une bonne fessée !
- Oh oui ! Vas-y. Donne-moi une raclée. Mais pas à droite, vise la fesse gauche !
- Tu m’as l’air bien énervée aujourd’hui.
- Ce sont les pralines de Didier. Le chocolat me met dans tous mes états !
- Ah, il est passé … »
C’est à ce moment-là que Lesage entre sans frapper.
« Alors ! On se sent mieux aujourd’hui ? Vous m’avez donné du fil à retordre hier. Un abcès coincé entre les os, une artère amochée et une hémorragie par dessus ! J’ai fait ma part de travail. A vous de jouer maintenant : REPOS COMPLET.
- (moi) De toute façon, je n’ai pas beaucoup le choix pour l’instant. Je suis très attachée à votre instrument de torture (en pointant du doigt la poulie).
- (Lesage) Faites la maligne ! Vous revenez de loin. (en s’adressant à Paul ) Vous devriez mieux veiller sur votre femme !
- Ce n’est pas mon épouse.
- Oh, pardon.
- (moi) Je ne suis que sa victime, sa chose. Sauvez-moi de ses griffes !
- (Paul) Elle est assez énervée. La morphine est euphorisante ?
- (Lesage) Non. Mais l’oxygène peut l’être.
- (Paul) Tu as reçu de l’oxygène ?
- (moi) Mais non. Je te dis que ce sont les chocolats. D’ailleurs, allez-y docteur. Prenez une de ces pralines. Elles sont fourrées au gingembre. Votre femme ne vous reconnaîtra plus ce soir !
- Non, merci. Je suis allergique au chocolat.
- C’est bien que vous le sachiez. Moi, je n’étais pas au courant que j’étais allergique à l’iode. Je le sais depuis mon scanner d’hier dans lequel j’ai failli mourir d’étouffement.
- Mais vous êtes toujours vivante !
- Dites, je ne savais pas que vous étiez la coqueluche de ces dames. Vos patientes transpirent sous leurs plâtres en pensant à vous et les infirmières tombent en syncope dès que vous sortez de l’ascenseur. Mais, je vais vous décevoir car vous n’êtes pas mon type. Le mien est à côté de moi.
- (Paul) Vous voyez, elle est un peu délirante. Excusez-la, docteur.
- Je vais vous laisser pour allez rendre visite à mes patientes en transe. A demain. »
Il sort de la chambre.
« (Paul) Qu’est-ce que tu as ?
- Ce ne sont peut-être pas les chocolats qui me mettent dans cet état mais toi ! Où en étions-nous avant l’arrivée en scène du docteur Folamour ?
- Je parlais de te donner une fessée.
- C’est juste.
- J’ai réfléchi. Je ne veux plus te faire de mal …. Je préfère te faire du bien. »
J’ai alors droit au plus long baiser de toute mon existence.
« Attends, il m’en faut un second de la part de Valérie. »
Celui-là ne s’éternise pas car une question semble tarauder l’esprit de Paul :
« Depuis lundi, je dois te demander un éclaircissement : qui est Paulette ?
- Ta sœur jumelle !
- Euh … je suis enfant unique.
- C’est vrai que tu es unique ! Je t’explique. Comme je ne voulais pas que Val et Maman sachent pour l’accident et que j’étais censée venir chez elles ce lundi, il a fallu que je trouve une parade. J’ai inventé une nouvelle amie imaginaire qui devait venir m’aider à tapisser. Si j’avais cité un prénom masculin, j’aurais suscité un peu trop de curiosité. Donc, je t’ai travesti !
- C’est marrant parce que ma marraine s’appelle Paulette. C’est pour ça que mes parents ont choisi ce prénom ringard.
- Je ne le trouve pas ringard. C’est doux, simple et craquignon !
- Encore un mot de ton invention !
- Une contraction de craquant et mignon !
- Je préfère te voir ainsi que comme les trois jours précédents. C’est affreux de voir souffrir sans pouvoir soulager.
- En temps normal, je suis quelqu’un de très speed, je cherche à vivre à fond. Il faut que ça bouge, j’ai toujours de l’énergie à revendre. Au café, un habitué me surnomme « bip bip » comme l’autruche qui parvient toujours à déjouer les pièges du coyote et qui court toute la journée. Maintenant, il devra me rebaptiser « clopin clopan ». Mon énergie est en grande partie absorbée par la douleur. Mais, grâce à cette pompe miraculeuse, je ne ressens presque plus le mal. Sur mon échelle, je suis quasi au niveau 1. Ca t’éclaire ?
- Oui, j’aime bien te voir en battante, toujours à chercher à faire ton show ! »
Je soupe de quelques tartines au fromage. J’en propose gentiment une à Paul qui refuse avec une grimace.
« Je suis plutôt charcuterie.
- Alors, évite de te casser quelque chose si tu ne veux pas être obligé d’en avaler au moins un kilo par jour !
- Tu exagères !
- Non. Regarde ma perfusion. Tu ne trouves pas qu’elle a une drôle de couleur blanchâtre. Je parie que c’est à base de lait.
- Mais non. »
Paul est chassé par la petite voix du haut parleur. Un « A demain » résonne encore dans ma tête quand je sombre dans un profond sommeil.



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