Le (pas) fabuleux destin d'A.P.

Date 16-04-2013 23:26:05 | Catégorie : Nouvelles


Je me rappelle parfois avec nostalgie de l’époque où j’avais encore quelques délires toxicomaniaques légers concernant les seules questions existentielles qui m’importaient alors, à savoir comment Spielberg avait pu avoir l’idée farfelue de faire cette gueule à E.T. ou, plus important, qu’était devenue A.P.. Pour le premier, on était arrivés, avec mon partenaire de maroco, à la conclusion que tout cela ne pouvait être que l’issu d’un raid aviné dans le désert par une nuit pluvieuse, où le fameux réalisateur assoiffé avait croisé un nain vêtu d’un imper vert qui avait partagé sa bière devant les feux de la Cadillac en répétant toutes les trente secondes, à en devenir casse-couilles, qu’il voulait téléphoner pour rentrer chez lui. L’incompréhension des deux protagonistes dégueulant chacun sur leur propre planète se termina par la course vaudevillesque d’une Cadillac poursuivie en plein désert par un nain cycliste qui avait un pneu crevé.

La deuxième énigme fut beaucoup plus ardue à résoudre et, comme bien souvent, cette grande interrogation philosophique a trouvé sa résolution dans mes chiottes. Pas qu’une potiche ringarde se soit retrouvée au fond de ma cuvette, ma mère n’a pas mauvais goût à ce point, mais à la dernière page d’un des magazines néo-machistes-unisexes de mon frère. L’exaltation, doublée d’un fort soulagement, que j’ai ressentie, entre autre, à la lecture de cette révélation, m’a presque déclenché un orgasme. J’ai immédiatement appelé mon compagnon d’investigation (eh oui, comme toute bonne citadine qui se respecte, je vais toujours aux toilettes entièrement équipée) pour lui annoncer la bonne nouvelle. J’avais enfin résolu le mystère : les potiches démodées se donnaient rendez-vous dans les pages oubliées des bimensuels pour célibataires. Et la question n’est pas de savoir comment je me suis retrouvée à lire ça ! « Faites-vous des amis avec A.P. ». Fous rires, vannes à deux balles, on a finalement décidé d’aller fêter ma découverte le soir même, autour d’un verre et du fameux trophée. S’en ai suivie une grande discussion sur la reconversion professionnelle. Que pouvait-on bien faire après avoir été retourneuse de lettres à la roue de la fortune ? Dans quelle foutue case de l’ANPE cela pouvait-il bien rentrer ? « Faites-vous des amis avec A.P. ». Etait-ce une pub porno déguisée pour timides maladifs ? Ou des gens croient-ils vraiment qu’être capable de retourner des lettres qui clignotent vous donne le pouvoir mystique de trouver des potes à des personnes qui les cherchent dans les petites annonces ? Re-fous rires, re-vannes à deux balles. On rigolera moins quand on sera vieux, mais on s’en fout, on est jeunes. Tout de même, que de bruit pour un pot de fleurs en mini-jupe !
Froncement de sourcils et soupir de désespoir chaque fois que je dois me souvenir de dates historiques, des auteurs de romans que j’ai pourtant aimés, sans parler des histoires qui se résument souvent à trois phrases entrecoupées de machins et trucs. C’est un problème ; je ne me souviens pas de mon enfance. Tout ce que j’en ai retenu, c’est que personne ne gagne jamais à la tyrolienne du Juste Prix. Il semblerait que mon disque dur soit encombré de tout l’art déco des jeux télé et dessins animés de mon enfance. Mémoire pleine, veuillez faire de l’espace. J’ai essayé, « delete » impossible, ça fait partie du système. Un bidule célèbre a écrit qu’ « aux Etats-Unis la vie ressemble à un film », il s’est juste trompé d’échelle. Dis-moi ce que tu regardes, je te dirai qui tu es. Les vrais héros d’aujourd’hui sont des meubles parlants made in Ikea que l’on décline selon le panel visé. Il se fait des potiches pour tous les goûts, de toutes les couleurs. On en a même sorti des modèles masculins qui ont fleuri après l’arrivée du premier modèle gay avec mascotte animalière intégrée.

En exclusivité : recette de fabrication d’une potiche réussie. Prenez un décérébré excentrique (ou une girafe en écharpe), mettez-le sur le feu des projecteurs quelques semaines, assaisonnez d’ « infos » trashs bidons, laissez prendre et mettez dans une émission à succès. Vous obtenez un élément décoratif tout à fait inutile (avec la technologie actuelle, vous n’allez tout de même pas nous faire croire que les lettres ne peuvent pas se retourner toutes seules) mais autonettoyant, qui a le seul avantage de faire en sorte que monsieur ou madame ne râle pas trop lorsque vous voulez regarder le foot ou Ruquier.

Vous trouvez ça pathétique ? Balayez devant votre porte. Que veulent devenir vos gamins ? Pompiers ? Avocat ? Médecin ? Ouvrez les yeux, ils rêvent sûrement d’aller à la Star Ac’, de devenir le prochain M. Pokora ou le futur président ; d’animer une émission à 4h00 du mat’ sur la TNT plutôt que d’avoir un vrai travail ! L’immortalité à la portée de tous. Ça devrait être le slogan des nouvelles démocraties. Pas plus démago que ceux qu’on fait maintenant.
Les potiches et les stars de pacotille ne meurent pas ils continuent de ne servir à rien, c’est leur fonction. Seul le support change. La même chose ? Si vous mettiez une annonce dans le journal, est-ce qu’il y aurait quelqu’un pour le remarquer




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