Vous avez décidé d'en finir...

Date 25-04-2013 23:00:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


«Vous venez d'avoir 18 ans. Vous avez décidé d'en finir avec la vie. Votre décision semble irrévocable. Vous décidez dans un dernier élan de livrer les raisons de votre geste. En dressant votre autoportrait, vous décrivez tout le dégoût que vous avez de vous-même. Votre texte retracera quelques événements de votre vie à l'origine de ce sentiment».



Voilà selon la presse, le sujet de dissertation livré par un professeur à ses élèves de 13-14 ans en octobre 2012. Le professeur a été suspendu, puis réintégré sous surveillance…

Que peut-on penser de ce sujet de dissertation ?

Je me suis profondément posé la question.

Se peut-il que par le biais d’un sujet totalement fictif, le débat puisse naître autour de l’une des premières causes de mortalité en France chez les 15-24 ans ?

Ou alors, que le fait d’aller plonger dans cette noirceur fabriquée (ou pas), pourrait à ce point troubler des adolescents, qui peut-être endureraient réellement de tels sentiments, au point aussi de les inciter au suicide ?

Que peut-on éprouver en allant rôder dans les tréfonds de son imagination la plus intime et bouleversante, ou pire encore, au plus bas de sa profonde obscurité ?



N’ayant plus tout à fait 13 ou 14 ans, j’ai tout de même décidé de faire cette dissertation, en m’octroyant la plus grande liberté que permettent mon âge et l’absence d’un jugement scolaire à la fin, histoire de comprendre où cet écrit pourrait bien m’emmener...



"Chers amis, chers parents,

Je pressentais qu'à n'avoir pu décider d'un début, un jour, j'en commanderai la fin.

Depuis toujours j'envisage le suicide comme pouvant être une issue de secours, une chance ultime d'échapper à l'insupportable ou à la déchéance, à condition seulement, d'avoir gardé en soi la force d'un courage démesuré. Avec cette optique, je sais là encore depuis bien longtemps, comme on perçoit une évidence, que jamais je n'aurai pu laisser le sort affaibli décider de ma mort.

En aucun moment je n'ai pu me résoudre à l'idée de dépérir insidieusement, et pire encore, à l’idée d’accepter passivement ce sentiment d'impermanence qui m'obsède chaque jour. Rongé par ce temps qui passe inexorablement et donc par cette vie à rebours, je suis petit à petit devenu conscient de n'avoir profité de rien. Je n'ai jamais su parler de cette solitude inexplicable que je ressens depuis l'enfance. J'en connais l'origine et en reconnais aussi parfaitement sa légitimité. Néanmoins, la vie m'a appris que comprendre ne guéri de rien, mais aussi que ma pudeur trouvait merveilleusement écho dans ce monde où chacun semble ne se préoccuper que de soi.

Pendant un temps j'ai même fini par me résoudre à cette part d'ombre, à ce spleen incessant. Parfois, je l'ai même accepté, vivant avec tant bien que mal, en pardonnant au passé, sans jamais pour autant m'abandonner corps et âme à la vie. D'aussi loin que je me souvienne, je me suis toujours su partagé entre cet insoutenable sentiment d'être repus de tout, et cet insondable néant que rien ne semblait pouvoir combler. La conclusion est éloquente; rien n'a jamais semblé me constituer. Je n'ai vécu qu'avec cette béance, sans rien attraper du monde, comme si malgré tout j'étais resté inachevé, comme inabouti.

Toujours j'ai nourri ce sentiment insupportable d'être "Monsieur tout le monde" et au final, "Monsieur personne". Je n'ai jamais réellement pris le temps de savoir ce que j'aime, ou qui je suis vraiment. Ma vie est fade et insipide, au point qu'aujourd'hui je réalise pleinement que je suis une personne sans aucun intérêt. Ne croyant pas faire partie de ces gens qui hurlent à tout va leur propre désamour dans le seul espoir de récupérer quelques gratifications ou faveurs, je pense être de ceux dont l'enténèbrement de soi est aussi permanent qu'irrévocable, de ceux qui n'en disent rien, de ceux aussi, qu'on ne remarque pas.

Souvent, je crois souffrir de n'être que moi-même comme on pourrait avoir le mal de vivre. Assurément, j'ai découvert que cette noirceur était plus viscérale encore; j'ai tout simplement tant de mal à être... A mon égard j'ai si peu d'estime, qu'au fond, je me demande comment font ces autres gens qui me tolèrent encore, quand moi-même, je ne me supporte plus.

Que vais-je laisser de mon passage, moi, cet homme si ordinaire, si banal et inutile ? Je me sens tellement indigne de la vie, si insignifiant et mal à l'aise devant ces intelligences remarquables, ces fulgurantes consciences, ces grands hommes qui jamais ne semblent douter.

Ainsi, voilà ce qu'est le nerf de ma guerre; ma vie m'a toujours inlassablement séparée des autres gens.

A l'heure où vous lirez ces mots je m'en serai déjà pleinement remis à mon courage. Habituellement, les gens le trouvaient formidable; ce soir, il met des larmes plein mes yeux.

Indubitablement, c'est à Vous que je pense... Oui, à vous que j'ai tant aimé, et qui peut-être sans le savoir, avez porté ma vie. Je n'ai soudain plus aucun mot, je suis en larmes... Elles sont des expressions silencieuses qui me susurrent tout à coup que le courage est parfois si égoïste, si douloureux. Je pense à nos moments passés, à ces souvenirs que je n'emporterai pas.

Je n'ai pas la foi, nous ne nous reverrons pas et ne nous souviendrons pas de nous.

Je vous laisse alors mille raisons de m'en vouloir. Certains évoqueront mon courage tel une lâcheté condamnable. Pour d'autres, j'espère aussi vous laisser mille supplications afin que vous puissiez un jour peut-être me pardonner.

En écrivant c'est mots, je réalise comme il est impertinent et malvenu de dire aux gens à quel point on les aime à un moment où l'on s'apprête à leur faire autant de mal, à les quitter à tout jamais, délibérément. Je voulais vous épargner tant de maladresses. Je ne vous dirai presque rien ; tout juste que je vous aimais plus que moi-même... Je sais que cela n'est d'aucun réconfort, et plus encore, que cet état de fait reste le fondement de mon choix, le motif douloureux de mon renoncement.

Je souhaitais aussi vous dire de ne pas vous en vouloir de n'avoir rien vu venir. Je connais ce sentiment de culpabilité. Il n'a pourtant jamais lieu d'être dans ces situations là; l'homme est illisible à l'homme. C'est ainsi.

Je vous souhaite de m'oublier au plus vite.

Ma vie m'a donné la chance de faire de jolies rencontres.

Je vous en remercie."



De cette dissertation, expèrience ou introspection, je ne partagerai qu’un seul ressenti ; Je vais bien.



Je tiens tout juste à préciser que je ne fais pas ici l’apologie du suicide, et qu’il n’existe en moi aucune fascination morbide pour ce thème. Perdre un être cher de cette manière est sans doute la pire douleur qui puisse être.

Ce sujet ne devrait pas être aussi tabou. A mon sens, poser des mots sur la douleur n’est pas mortel ou contagieux.

Les parents sont sans doute les moins à même pour évoquer ce thème avec leurs adolescents ; n’est-on pas trop proche parfois pour prétendre s’écouter vraiment ou se voir réellement ?

De manière réfléchie et sereine, l’école ne pourrait-elle pas être un des lieux qui saurait accueillir la parole des adolescents en souffrance ?

Selon moi, rien ne doit jamais inciter la détresse à se taire, bien au contraire...




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