Спасибо, Marie-Astrid (2)

Date 15-05-2013 16:10:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Origines obscures


Marie-Astrid ne pouvait réprimer un mouvement d’agacement chaque fois qu’on lui demandait d’épeler son nom de famille :

- B.E.C.H.T.O.L.D.
- Bechetolde ?
- Non, ça s’écrit Bechtold mais ça se prononce Bertold.
- C’est Alsacien, ou Allemand ?
- Non, Luxembourgeois.

Le plus souvent l’interlocuteur de Marie-Astrid concluait l’échange avec un petite grimace signifiant « Alsaco, Chleuh ou Lulu, quelle différence, on se demande ? En plus, t’en as vachement l’air…»

C’est de l’école maternelle que Marie-Astrid ramena des expressions qui jusqu’alors lui avaient été inconnues ou avaient eu un autre sens pour elle : « Mâtinée cochon d’Inde », « Négresse », « Café au lait ». Cette dernière lui était familière, car elle évoquait l’idée de petit-déjeuner. Mais associés à sa personne (Marie-Astrid n’avait pas compris tout de suite que c’était une allusion à sa peau), les mots « café au lait » sonnaient comme un vague compromis entre l’insulte et la menace. Marie-Astrid n’avait jamais vu de cochon d’Inde et ignorait ce qu’était une « négresse ». Elle avait quatre ans.

Il peut y avoir des avantages à ne pas savoir qui est son géniteur. On peut faire travailler son imagination. Spéculer sur des origines exotiques, s’inventer des filiations qui font rêver un peu, beaucoup, voire trop. Mais une fois que Marie-Astrid, plus âgée, eût été informée de la signification des mots entendus à la petite école, son imagination tomba en panne. A quoi bon rêver être l’enfant d’un révolutionnaire mexicain en exil ou d’un acteur de cinéma italien, si c’était pour découvrir qu’il s’agissait en réalité d’un éboueur malien ? Ou d’un Kabyle ouvrier à la chaîne à Billancourt (idée qui s’empara durablement de l’esprit de Marie-Astrid lorsqu’elle lut Elise ou la vraie vie à quatorze ans) ?

Sa mère avait promis de lui dire toute la vérité à sa majorité, mais après d’âpres négociations (et un peu de chantage à la fugue), Marie-Astrid obtint d’être dûment renseignée sur ses origines le jour de ses seize ans. Le 11 octobre 1980, Sabine Bechtold fit asseoir sa fille près d’elle, sortit une Royale Menthol de son paquet, hésita, haussa les épaules et en offrit une à Marie-Astrid. Leurs cigarettes allumées, elle croisa les jambes et dit :

« Il faisait son service militaire à Vincennes. Il venait de Guyane. Il est rentré dans son pays en janvier 64, je me suis aperçue que j’étais enceinte quelques jours après son départ. Il n’a jamais su, pour toi. Il m’avait laissé une adresse à Cayenne. J’ai écrit une lettre, une seule, un mois avant ta naissance. Elle m’est revenue non distribuée : n’habite pas à l’adresse indiquée. Voilà, c’est tout. Bon, je t’emmène au restaurant : couscous ou choucroute ? »




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