Adieux

Date 26-05-2013 00:00:00 | Catégorie : Nouvelles


Ce soir là, comme souvent depuis de longs mois, David s'ennuyait profondément dans son lit d'hôpital. Il était allongé, ou plutôt il gisait dedans, occupé à regarder par la fenêtre le magnifique coucher de soleil. Le docteur Tanger, la chirurgienne qui s'occupait de son cas, entra alors discrètement dans sa chambre. Une expression qui devait ressembler à de l'étonnement se peignit sur le visage de David, mais la douleur était telle qu'on eût plutôt dit une grimace. Il n'avait pas le souvenir qu'une énième opération était prévue ce soir, or, il ne rencontrait ce médecin qu'en ces circonstances. Elle s'approcha de lui.
- Bonjour David, fit-elle. J'ai une mauvaise nouvelle à t'annoncer... À partir de demain, tu seras transféré dans l'unité de l'hôpital que l'on appelle... Les soins palliatifs. Ce qui signifie que...
- Je vais mourir...
Le médecin écarquilla les yeux, surprise par la façon crue dont le jeune de dix-sept ans exprimait ce qu'elle avait peur d'énoncer clairement.
- Je m'en doutais un peu, il n'y qu'à voir le visage des infirmiers quand elles me regardent... Enfin bon au point où j'en suis... Il me reste du temps ou bien... ? l'interrogea-t-il.
- Je ne peux pas être très précise, avoua-t-elle. J'espère qu'on pourra te faire tenir jusqu'à la fin de semaine... On a déjà prévenu ta famille par téléphone, ils ne devraient pas tarder à te rendre visite, je suppose.
David se contenta de hocher la tête.
- Je suis désolée, David. J'aurais tant aimé que tu te rétablisses... Je sais bien que ce n'est pas grand-chose, mais je te promets que je ferais tout ce que je pourrais pour que tu sois dans les meilleures conditions aux soins palliatifs.
Sans rien ajouter, elle se leva, sincèrement peinée. Dès qu'elle fut partie, David éclata en sanglots.
* * *
Ce même soir, quelques kilomètres plus loin, la sonnerie du téléphone fixe retentissait dans la maison de ses parents. Sa mère, Catherine, s'empara du téléphone aussi vite qu'elle le put. François et Sébastien, respectivement père et frère de David, guettaient le moindre de ses gestes afin de deviner ce qu'il se disait.
- Allô ? Oui, bonjour, comment va-t-il ? Ah... Oui, oui... Bien sûr, je comprends... Merci d'avoir appelé, au... Au revoir.
La discussion avait été courte, et le visage de Catherine s'était progressivement assombri jusqu'au moment où elle avait raccroché, carrément abattue.
François et Sébastien l'interrogèrent alors du regard.
- Il est fichu, se contenta-t-elle d'annoncer. C'est fini. Il n'y a plus d'espoir !
Elle se jeta alors dans les bras de son mari, pleurant à chaudes larmes, tandis que Sébastien monta dans sa chambre, une atroce douleur au ventre.

Trois heures plus tard, François vint toquer doucement à la porte de son fils cadet.
- Séb, dit-il. Ta mère veut que tu descendes. Elle aimerait te parler quelques instants.
Sans broncher, le jeune homme sortit de sa chambre en rejoignant sa mère, qui était attablée à la cuisine, bien qu'aucun repas n'était préparé. François lui emboîta le pas.
D'une voix chevrotante, Catherine prit la parole.
- Sébastien, tu l'as sûrement déjà deviné, mais il faut que tu saches... Non seulement les chirurgiens ne peuvent plus rien faire pour améliorer l'état de ton frère... Mais ils ne pensent pas non plus qu'il lui reste beaucoup de temps à vivre...
L'adolescent de dix-neuf ans hocha la tête, regrettant déjà d'être descendu pour qu'on lui remue le couteau dans la plaie.
- Il ne reviendra pas à la maison, les médecins estiment qu'il vaut mieux qu'il reste à l'hôpital... Tout ça pour te dire que, ton père et moi, nous avons décidé de lui rendre visite demain. Sans doute pour la dernière fois. Autrement dit, il faudra que nous lui fassions nos adieux.
Des perles salées roulèrent sur les joues de Sébastien.
- C'est d'accord, fit-il. J'irai avec vous.
* * *
Catherine, François et Sébastien se levèrent de bonne heure le matin, puisqu' aucun d'entre eux n'était parvenu à trouver réellement le sommeil. Aussi furent-ils rapidement à l'hôpital, en n'avalant presque rien, leur estomacs trop noués pour qu'ils puissent se sustenter.
Alors qu'ils se dirigeaient vers l'entrée de l'hôpital, François objecta :
- Je ne sais pas si vous êtes d'accord, mais moi, je pense qu'il vaut mieux qu'on n'y aille pas tous ensemble... Pour plus d'intimité, vous voyez ?
Catherine frissonna légèrement.
- Oui, c'est vrai, de façon à ce que chacun passe un moment exclusif avec David, pourquoi pas, approuva Sébastien.
- Bon bon, si vous le souhaitez..., concéda sa mère, peu motivée.

Quelques minutes plus tard, ils se trouvaient devant la porte de la chambre de David. La tension était palpable.
- Vas-y, ma chérie, commence, l'exhorta François.
Catherine s'exécuta, en refermant la porte derrière elle.

Elle trouva son fils encore plus pâle qu'il ne l'était lors de sa dernière visite. Elle tremblait de tous ses membres quand elle s'approcha de lui.
- Mon pauvre David... Je ne sais pas ce que je vais faire sans toi...
Son fils ne répondit pas mais la fixa d'un air plaintif.
- Cela fait longtemps que tu es dans cet état, beaucoup trop longtemps... Mais j'ai toujours gardé espoir ! J'ai toujours pensé qu'on allait te sortir de là... Qu'est-ce que j'étais naïve !
Ses yeux commençaient alors à se rougir. David, trop ému pour émettre le moindre son, continuait de se taire.
- Tu es si jeune, tu ne mérites pas ça... Notre famille ne sera jamais plus la même, on n'arrivera pas à être heureux sans toi ! ,s'écria-t-elle.
Elle s'effondra sur le lit de son fils, bouleversée. David pleura avec elle, toujours muet. Ils restèrent ainsi, dans le silence, pendant quelques minutes qui leur parurent durer des heures.
Puis, lentement, Catherine se dégagea de l'étreinte de son fils et quitta sa chambre pas à pas, le cœur en lambeaux.
- Maman, l'interpella David avant qu'elle s'en aille. Promets moi au moins que tu essayeras... Je ne veux pas que tu souffres éternellement.
- Tu vas tellement me manquer..., dit-elle en franchissant le seuil de la porte, en guise de réponse.
* * *
Quelques instants plus tard, David vit son père entrer dans la pièce.
- Bonjour, David, le salua-t-il.
- Bonjour, p'pa.
Un sourire triste se dessinait sur le visage du paternel.
- Comme tu as dû le voir, on a décidé de te rendre visite... Sans doute pour la dernière fois... On a préféré le faire un par un, j'espère que ça ne te dérange pas...
- Non, non, ça va.
- Tu vas bien ici ? Les infirmières s'occupent bien de toi ?
- Oui, oui, tout va pour le mieux.

François n'avait jamais obtenu de licence en psychologie, mais il n'en avait pas besoin pour deviner que son fils adaptait ses réponses pour ne pas l'inquiéter. Cela lui ressemblait bien, lui qui voulait depuis toujours dissimuler sa douleur pour que ses proches ne s'en rendent pas compte. C'était un trait de caractère que François appréciait beaucoup chez son fils cadet, bien qu'il n'aimait pas que la vérité lui soit cachée.
- Bien, dit-il après quelques secondes de réflexion. Saches que tu resteras à jamais dans nos mémoires... Tu auras vraiment été un fils super. Dommage que tu n'aies pas eu le temps de grandir davantage, tu aurais fait un brave homme, je n'en doute pas.
- Merci, p'pa... Je suis si triste de tous vous quitter !
Il pleura en silence, tout en contemplant le visage de son père pour la dernière fois. François également était au bord des larmes, mais refusait de les laisser couler. Les hommes doivent se cacher pour pleurer, pensait-il. Il embrassa son fils sur le front, en se dirigeant vers la porte, tout en veillant à ne pas se retourner.
* * *
Sébastien était le dernier à faire ses adieux à son frère. À peine eut-il posé le pied dans sa chambre que son regard s'illumina.
- Hé, salut, David !
- Salut, Séb ! répondit David sur le même ton.
- Alors quoi de beau ? Ça doit pas être cool de passer toute sa journée ici, y a pas l'air d'avoir grand-chose à faire...
- Ben oui, bienvenue à l'hôpital, frérot, répliqua David, las.
- Ouais... Rassure-moi, y a quand même des filles ici ? s'enquit son frère, en lui adressant un clin d’œil complice.
David réfléchit un instant.
- Ouais, y en a quelques unes, c'est vrai... Mais tu sais entre celles qui sortent de chimio et celles qui sont anorexiques, y a pas beaucoup de choix !
Les deux frères éclatèrent de rire.
- Non, plus sérieusement, reprit David quand ils eurent fini de glousser, ça vaut vraiment pas la plage à côté de chez tonton Émile !
- Ah oui, tu m'étonnes ! C'est un truc de dingue les filles que tu trouves là-bas ! Je pourrais y passer ma vie !
Séb gloussa, puis son visage devint soudainement très grave.
- Et dire qu'on ne pourra jamais plus les mater, tous les deux, en bronzant sur le sable fin...
David hocha la tête.
- C'est vrai... Mais je compte sur toi pour continuer d'y aller malgré tout, et accorder à ces demoiselles le regard qu'on leur doit !
Les deux frères furent saisis d'un nouveau fou rire.

La visite de Sébastien fut la plus longue. Durant presque une heure, les deux adolescents discutèrent, s'échangeant plaisanteries, souvenirs et anecdotes, avec insouciance. Sébastien se décida à quitter son frère quand il se souvint que ses parents attendaient de l'autre côté de la porte, et qu'ils devaient sans doute s'embêter depuis un bon bout de temps.
* * *
François, Catherine et Sébastien ne s'attardèrent pas dans l'hôpital, bien que le fait de quitter sans doute pour la dernière fois David les remplissait d'une tristesse sans fond. Ils étaient tous silencieux, jusqu'à ce que Catherine se mette à sangloter bruyamment. François l'étreignit, et ils s'arrêtèrent juste après avoir franchi le seuil de la porte de sortie. Les deux époux restèrent de longues minutes à pleurer ainsi, tandis que Sébastien, assis sur un muret, les regardait avec compassion, mais ses yeux restaient secs. Son père ne tarda pas à lui faire la réflexion.
- Tu ne pleures pas, Séb ?!
L'intéressé se contenta de secouer la tête négativement.
- Cela ne te fait donc rien de perdre ton frère ? s'écria sa mère, déconcertée par le peu d'émotion que semblait éprouver son fils.
Sébastien se leva et se tourna vers ses parents.
- Cela n'a rien à voir. Bien sûr que je suis triste que David nous quitte si tôt, mais pour le moment, il est toujours parmi nous, non ? Et ce matin, j'ai passé du bon temps avec lui, oui, je n'ai pas honte de le dire, on s'est bien marrés . Pourquoi donc devrais-je me lamenter après avoir vécu ces bons moments ? J'en aurais tout le temps quand il ne sera plus qu'un cadavre.
Il se dirigea vers la voiture, et ses parents le suivirent, cois.




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