l'éloge du Vin Al-Khamriya, poème mystique arabe d’Omar Ibn Al-Fâridh

Date 13-06-2013 19:08:01 | Catégorie : Textes d'Auteurs


Al-Khamriya ou éloge du vin, poème mystique

« Nous avons bu au souvenir de notre bien-aimée un vin délicieux, dont nous fumes enivrés avant la création de la vigne.
Une coupe brillante comme l’astre de la nuit contient ce vin qui, soleil étincelant, est porté à la ronde par un jeune échanson beau comme un croissant. O combien d’étoiles resplendissantes s’offrent à nos regards quand il est mélangé avec l’eau !
Sans le doux parfum que cette liqueur exhale, nous n’aurions pas été attirés vers les lieux ou elle se trouve ; et si elle n’eut pas brillé d’un si vif éclat, jamais notre imagination n’aurait pu la concevoir.
Le siècle n’a laissé paraître au dehors qu’une goutte légère de cette liqueur : on dirait qu’inactive et sans effet, elle reste ensevelie et comme scellée au fond des cœurs.
S’il en est parlé dans la tribu, à son nom seul le peuple devient ivre au même instant, et il n’est point déshonoré, et il n’a point commis l’iniquité.
Du fond des vases qui la renferment, peu à peu cette liqueur s’est échappée, et il n’en est resté absolument que le nom.
Qu’elle se présente à l’esprit d’un malade, la joie pénètre aussitôt dans son cœur, et le chagrin s’évanouit.
Si les convives voyaient le cachet apposé sur les vases qui la contiennent, la vue de ce cachet serait capable de les faire tomber dans l’ivresse.
Que l’on arrose de cette liqueur la terre sous laquelle repose l’homme qui n’est plus, aussitôt il revient à la vie, et il se lève droit sur ses pieds.
Si l’on portait un homme que la mort est près de saisir, à l’ombre du mur servant d’enceinte à la plante que produit cette liqueur, nul doute que son mal ne l’abandonnât au même instant.
Si l’on approchait un boiteux du lieu ou elle se vend, il marcherait incontinent ; et le muet, au seul récit de son goût délicieux, retrouve la parole.
Que dans l’orient elle exhale son odeur embaumée, et qu’il se trouve dans l’Occident un être privé de l’odorat, alors celui-ci recouvre la faculté de sentir.
Qu’une goutte de cette liqueur colore la main de celui qui tient la coupe, non, il ne s’égarera pas au milieu des ténèbres : il est guidé par un astre éclatant.
La présente-t-on en secret à un aveugle-né, la vue lui est aussitôt rendue. La fait-on passer d’un vase dans un autre pour la clarifier, le sourd, à ce doux murmure, retrouve l’ouïe.
Si parmi des voyageurs qui se dirigent, montés sur leurs chameaux, vers le sol qui lui donne naissance, il se trouve quelqu’un de mordu par un scorpion, hé bien ! le venin de cet animal ne saurait lui nuire.
Si l’enchanteur traçait les lettres qui forment le nom de cette liqueur sur le front d’un homme frappé de démence, oui, ces caractères le guériraient.
Si son nom glorieux était écrit sur le drapeau de l’armée, cette marque sacrée enivrerait tout ceux qui se sont rangés sous ce drapeau.
Elle rend plus douces et plus aimables les mœurs des convives ; et par elle est guidé dans la voie de la raison celui à qui la raison n’est point donnée en partage.
Il devient généreux celui de qui la main ignorait la générosité ; il devient doux, au moment ou sa colère s’allume celui qui n’était point doué de douceur.
Si le plus stupide d’entre les hommes pouvait appliquer un baiser sur la partie scellée du vase ou cette liqueur est contenue ; ce baiser sans doute lui communiquerait la connaissance intime de ses sublimes perfections.
Décris-nous, me dit-on, cette liqueur, toi qui connais si bien ses attributs merveilleux. Oui, je vais la décrire, parce que ses qualités me sont dévoilés.
C’est ce qu’il y a de plus pur, et cependant ce n’est point de l’eau ; ce qu’il y a de plus léger, et pourtant l’air ne la compose point ; c’est une lumière que le feu n’engendre pas ; c’est une ame qui n’habite point de corps.
Sa mémoire a précédé anciennement tous les êtres créés, alors qu’il n’existait aucune forme visible, aucun corps apparent.
Par elle se sont établies toutes choses : ensuite par une sagesse qui lui est particulière, elle s’est dérobée aux regards de ceux qui n’ont pu la comprendre.
A sa vue mon âme égarée est tombée en extase ; et toutes deux se sont confondues tellement l’une dans l’autre, que l’on ne pourrait pas discerner si une substance a pénétré une autre substance.
Ce vin considéré seul représente mon âme que je tiens d’Adam ; la vigne, elle seule considérée, signifie mon corps qui comme elle a la terre pour mère.
La pureté des vases, je veux dire des corps, provient de la pureté des pensées qui s’étendent et se perfectionnent par cette ineffable liqueur.
On a voulu établir une différence entre ces choses, mais le tout est demeuré un et indivisible. Or, nos âmes sont le vin, et nos corps la vigne.
Avant cette liqueur il n’est rien, et après elle il n’est rien encore. Le temps ou a vécu le père commun des hommes, n’est venu qu’après elle, et elle a toujours existé par elle-même.
Avant les siècles les plus reculés elle était ; et l’origine des siècles n’a été que le sceau de son existence.
Telles sont les infinies perfections de cette liqueur, qui engagent à la décrire tous ceux qui sont épris de ses attraits. Que la prose ou les vers célèbrent ses louanges, n’importe, les louanges ont un mérite égal.
Celui qui en entend parler pour la première fois, tressaille d’allégresse comme l’amant passionné au seul nom de sa bien aimée.
Plusieurs m’ont dit : Tu as bu l’iniquité. Non, non, ai-je repris ; le vin que j’ai bu est un vin que je n’aurais pu refuser sans crime.
Qu’elle soit salutaire cette liqueur aux pieux anachorètes ! Combien de fois ils en ont été enivrés ! Et pourtant ils n’en ont point bu, ils n’ont fait que la désirer.
Mon esprit en a été troublé dès mon jeune âge ; et cette douce ivresse m’accompagnera sans cesse après même que mes os seront réduits en poudre.
Savoure-la dans toute sa pureté ; mais si tu veux la mélanger, songe bien alors que te détourner de l’haleine de ta bien-aimée, ce serait commettre un crime.
Cours la demander aux lieux ou elle se distribue ; qu’on vienne te l’offrir dans toute sa splendeur, parmi des chants mélodieux. Qu’il est grand l’avantage de savourer cette liqueur au doux bruit des concerts !
Jamais cette liqueur et les soucis n’habitèrent ensemble, et jamais le chagrin ne résida au milieu des concerts.
Si tu étais enivré de cette liqueur, ne fut-ce qu’un instant, tu verrais la fortune soumise à tes ordres, et la puissance te serait données sur toutes choses.
Il n’a point existé ici-bas l’homme qui a passé ses jours sans jamais la goûter ; et celui qui est mort sans être enivré, jamais la raison n’a été son partage.
Qu’il pleure donc sur lui-même l’infortuné qui n’ayant point pris sa part de cette merveilleuse liqueur, a traîné une vie inutile et déshonorée. »




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