La bonne éducation

Date 20-06-2013 21:00:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


"Attendez, attendez, on prend pas le métro ici, faudra changer, on va à pied à "Opéra""
Monique qui était déjà dans l'escalier descendant à la station chaussée d'Antin remonta en râlant.
"Vous êtes casse-pieds, vous pouviez pas le dire avant"
Chantal et Linda, ne répondirent pas, trop occupées à bavarder et rire. Elles s'étaient déjà engagées dans le passage piéton en zigzaguant entre les voitures qui encombraient le boulevard Haussmann. Les trois amies traversèrent, se dirigeant vers l'arrière du superbe bâtiment du Palais Garnier.
Elles marchaient toutes les trois, allant bon train et contournaient le monument entouré des Cariatides qui portaient des candélabres et formaient une merveilleuse ceinture autour de L'opéra.
Les trois copines coutumières de l'affluence des lieux, filaient sans peine, dans la foule. Les trottoirs, la rue, la place étaient comme toujours envahi de monde.
Devant le monument, face au majestueux escalier qui s'ouvrait sur la façade sculptée, un car de japonais stationnait, il offrait un spectacle assez surprenant car sa vue évoquait un véhicule de guerre, en effet, chaque fenêtre était hérissée de longs objectifs noirs à l'aspect invasifs, le spectacle de tous ces tubes de métal sombre, avait quelque chose d'inquiétant, l'ensemble du tableau était curieux.
Habituées à se frayer un chemin dans un attroupement compact les trois jeunes femmes, vives et alertes sautillaient sur les marches, et dévalaient rapidement l'escalier de la station, elles s'engouffrèrent dans le courant-d'air du métro, retrouvant son odeur qui leur était si familière, si bien connue.
Elles étaient arrivées sur le quai sans cesser de bavarder et rire.
"Wah ! j'ai encore faim" se plaignit Chantal
Linda la regarda en se frottant l'estomac.
"Moi aussi un seul hot-dog, ça me suffit pas"
"Vous pensez qu'à manger vous deux, mais on n'a pas le temps, on n'a plus que 15 mn, je ne veux pas pointer en retard"
Monique la raisonnable, les ramenait régulièrement à la raison, le travail les attendait, la pause de midi n'était pas faite pour courir les rayons des galeries Lafayette et elles se vengeront une fois de plus sur leurs paquets de gâteaux restés au bureau.
Le métro s'engageait dans le tunnel quand une main se posa sur l'épaule de Linda. celle-ci, surprise, sursauta et se retourna vivement.
"AH ! tiens Madame Carreux, vous êtes venue aux Galeries ?
" Oui, je viens d'acheter un cadeau pour ma belle mère, elle adore la belle dentelle et je lui ai trouvé une belle pochette en dentelle du Puy pour porter sur son tailleur..."
Ces dernières paroles furent aspirées par le bruit des portes du métro qui s'ouvraient.
La foule descendait, puis d'autres montaient, les jeunes femmes se précipitèrent sur les seules places libres. Deux banquettes se faisaient face à face, contre la vitre, dans un coin, un homme assez fort, dissimulé derrière son journal lisait.
Ce Monsieur avait le genre bien comme il faut, "cadre dynamique", plutôt rondouillard, dans son complet trois pièces, cravate et chemise immaculée, bien blanche.
Madame Carreux prit place en face du lecteur, et Linda et Chantal s'assirent à leur côté. Monique accrochée à la barre resta debout.
" Regardez, ce que j'ai acheté, c'est absolument superbe, c'est un travail si fin, ça devrait lui faire plaisir, je ne suis pas moqué d'elle, c'est un beau cadeau parce que c'est très cher, mais c'est de l'article de luxe."
Tout en parlant, elle dépliait un papier de soie beige et doux et en sortait un mouchoir brodé, dont tous les angles étaient faits d'une fort jolie dentelle.
Elle tenait la merveille entre les doigts quand le métro freina brutalement en entrant dans la station.
San préavis, léger et gracieux, le morceau de dentelle s'envola comme un papillon blanc et alla atterrir en douceur, doucettement, lentement, sans bruit, ... sur la braguette du lecteur.
Quatre bouches de femmes s'ouvrir en même temps, sur un cri muet, des exclamations retenues, des soupirs silencieux.
Ohhhhh !!
Les yeux se croisaient, s'arrondissaient, s'agrandissaient.
Que faire ?, mais que faire ?
Puis les rires gênés commençaient à fuser, Chantal et Linda ricanaient sans pouvoir se retenir.
Madame Carreux, décidée, se pencha en avant, ses yeux sur l'insolent carré blanc, elle leva la main, ébaucha un geste vers la braguette quand l'éclat de rire de Monique l'arrêta.
L'embarras, les fou-rires, les ricanements, finirent par alerter le voyageur à la braguette curieusement décorée, le journal se baissa un instant pour un rapide coup d'oeil panoramique, puis devant ces quatre femmes qui riaient sans raison, de façon incompréhensible, avec un air dédaigneux, il reprit sa lecture sérieuse.
Chantal, Linda, toutes riaient à en pleurer, embarrassées et incapables de trouver les mots pour réclamer à leur honorable voisin de leur rendre la dentelle impudique, placée en cet endroit incongru, et que leur bonne éducation rendait inaccessible. Comment dire la chose sans que le brave homme en soit profondément choqué.
Les fou-rires, les reniflements, peut-être aussi l'absence de paroles amenèrent le voisin à baisser une seconde fois son journal, alors que les quatre femmes avaient les yeux rivés sur sa braguette dont on voyait les boutons.
Suivant les regards, il baissa les yeux, vit ce tissu blanc dépasser.
Et là, soudain, rapide comme l'éclair, comme pris en flagrant délit, d'un mouvement rapide des doigts, il rentra tout le tissu entre les boutons dans sa braguette, on sentait une certaine nervosité, une fébrilité de l'homme surprit à s'être trop vite ou trop mal rhabillé, on sentait aussi une certaine habitude.
Et, voilà, tout disparu en une fraction de seconde, tout, et le problème enfin réglé, l'homme présentable et bien mis, reprit tranquillement sa lecture.
Adieu joli mouchoir, adieu jolie dentelle, adieu, adieu, la voici retenue soudain dans un endroit inadéquat et bien peu habituel, disons même mal fait pour héberger les tissus fins et soyeux de la gente féminine.
Les quatre femmes restèrent un long moment sur le quai, assises sur un banc, pliées en deux, les yeux pleins de larmes à force de s’étouffer de rire.
Parlant en petites phrases hachées, entrecoupées d'éclats de rire irrépressibles
"Comment il va .... comment il va dire .... sa femme ...."
" Sa femme .... elle ... elle ... elle le croira pas ..."
" Ce soir ... oh! non !... il aura .... il aura l'air con ...."
Elles étaient incapables de se calmer, de reprendre leur sérieux pour rentrer au bureau

Lydia Maleville





Cet article provient de L'ORée des Rêves votre site pour lire écrire publier poèmes nouvelles en ligne
http://www.loree-des-reves.com

L'url pour cet article est :
http://www.loree-des-reves.com/modules/xnews/article.php?storyid=2504