Circus Anima - Chapitre 1 Partie 1/2

Date 27-07-2013 22:40:00 | Catégorie : Nouvelles


À mon réveil, le soleil était déjà présent dans le ciel. Je tâtonnai l’autre côté du lit, à la recherche de Freesia. Sentant l’insupportable froideur des draps, j’en conclu qu’elle était debout depuis plusieurs heures. Je me redressais, respirant à pleins poumons l’air frais que m’offrait la rosée du matin. J’inspectais les alentours furtivement, la vision encore brouillée par ma sortie du monde des rêves. Quel spectacle déprimant. La chambre était vidée de tout meuble hormis une vieille armoire dont les planches en bois se fissuraient un peu plus chaque secondes ainsi que le lit dans lequel je me trouvais encore. J’entrepris enfin de me lever lorsque j’entendis quelque chose se briser sur le sol. Un verre ? Une assiette ? Peu importait. Me trainant jusqu’à la source du bruit, j’aperçu Freesia penchée sur les éclats de porcelaine, tremblante. Je ne cherchais pas à comprendre quoi que ce soit et m’avançais, agacé.

Sans me soucier de sa présence, j’écrasais les débris avec mes vieux chaussons usés, les éparpillant davantage. Je sortis de quoi déjeuner et m’installais nonchalamment sur une chaise, dévorant du vieux pain dur et veillant à faire le plus de bruit possible afin d’énerver ma fiancée. Ce qui ne manqua pas. Je l’entendis lâcher son balai et retenir sa colère d’exploser. Son visage pâle s’empourpra et ses sourcils froncés la rendaient ridiculement attirante. Ses cheveux d’ors minutieusement enroulés en deux nattes équivalentes lui donnaient un air de petite fille irrésistiblement attendrissant. Comment résister à une telle beauté ? Mais elle était telle que je voulais découvrir toutes les expressions que son visage d’ange pouvait arborer. Je la voulais pour moi tout seul.

Mon sourire s’effaça lorsqu’elle quitta la pièce d’un pas pressé. Agacé, je terminais mon repas en laissant le tout sur la table, elle viendrait ranger tout cela plus tard, ce n’était pas à moi de le faire. Je quittais la salle à mon tour, me dirigeant vers la porte d’entrée. Je sorti et m’aventurais dans la forêt de l’Oubli. Ce n’était pas son vrai nom, mais les habitants du village l’avaient surnommée ainsi car c’était sous ses immenses chênes qu’étaient cachés des centaines de cadavres en putréfactions, provenant tous du même endroit. Le Circus Anima. La plus grande prison qui n’ait jamais existée dans toute l’histoire d’Helyon. Une prison de laquelle on ne revient pas. Contrairement aux prisons ordinaires, ce n’était pas là-bas que l’on envoyait les criminels et les tueurs. Les gens qui étaient condamnés au Circus Anima étaient tous dévorés par la haine et la colère. Des gens qui, sans arracher des vies, détruisaient des cœurs ou des rêves. L’on est interné au Circus Anima après avoir été dénoncé par une autre personne. Un voisin. Un ennemi. Un proche. Chaque demande est couronnée par une arrestation quasi-immédiate de l’individu perturbateur et il se voit contraint à vivre ce que l’on appelle l’Enfer. Aucun n’est au courant de ce qui se passe à l’intérieur du Circus Anima, mais tout le monde sait qu’une fois entrer, on n’en ressort plus – vivant, du moins.

Je m’engageais sur le petit chemin de galets qui menait jusqu’à l’autre côté de la forêt, d’où l’on pouvait apercevoir la muraille qui cachait l’enceinte macabre du Circus Anima. Je m’attardais sur les racines d’un arbre, recouvertes par de la terre fraichement retournée. Un nouveau martyr venait d’être enterré ici. Sans vraiment m’y intéresser, je continuais ma promenade jusqu’à l’autre bout de la forêt. La barrière était presque aussi haute que les arbres et recouverte de suie et de poussière de charbon. L’odeur nauséabond qui émanait de la prison me brûlait les narines et me piquait les yeux. Je m’éloignais du mur, espérant recouvrer mes sens en mettant de la distance entre nous. J’avançai, sans savoir où mes jambes me guidaient, privé de ma vue. Je sentais quelques branches de fouetter le visage et lâchai un juron lorsque mon pied percuta une racine. Mon corps s’écrasa lourdement sur les feuilles mortes de la forêt, entraînant une nouvelle injure. Des oiseaux s’enfuirent, effrayé par le bruit que j’avais provoqué. Je crachai une dernière grossièreté avant de me redresser, las. Je restai assis pendant plusieurs minutes, scrutant les environs. Je m’aperçus que mes jambes m’avaient portée là où je ne m’étais jamais rendu. Au-delà de la muraille du Circus. Une abondante forêt se dressait face à moi. Sombre et terrifiante, elle paraissait pouvoir m’aspirer.

Je me levai et m’enfonçais un peu plus profondément dans les bois, retenant mon souffle à chaque nouveau pas. Les ombres des arbres semblaient engloutir le monde entier et cette obscurité devenait la seule horizon possible. Je déglutis lorsqu’une branche se brisa sous mon poids. J’étais terrifié. Mais cette crainte était devancée par un désir de découvrir ce qui pouvait se trouver derrière la prison. Peut-être quitterai-je l’empire si je continuai ? Peut-être arriverai-je dans un autre pays, où la terreur ne fait pas la loi, où la seule préoccupation n’est pas d’avoir peur ? Je l’ignorai. J’ignorai tout du monde. J’ignorai même tout de mon pays. Incapable de penser par soi-même, réduis à la soumission d’un gouvernement corrompu.

Je soupirai et entrepris de rentrer chez moi lorsque j’aperçu une ombre se dessiner entre les arbres. Une silhouette fine qui semblait fuir quelque chose. Elle se faufilait comme un animal derrière les troncs, veillant à ne pas être repérée par ses poursuivants. Des Fauves. On les entendrait à des kilomètres tellement ils sont bruyants.

Les Fauves sont les gardiens de la prison, il est dit qu’ils ne font que surveiller les détenus, mais je les soupçonne de les battre à mort afin de libérer des cellules.

Ce qui semblait être un prisonnier courrait dans ma direction, hors d’haleine. Je pouvais à peine percevoir son souffle pourtant. Il s’approcha de plus en plus de moi et je devinai qu’il s’agissait d’une femme. Une enfant d’environ 16 ans. Ses cheveux bruns en bataille accentuaient les traits tirés de son visage enfantin. Sa peau laiteuse faisait ressortir la noirceur de ses yeux, illuminés par une rage indescriptible. Elle me percuta et, sans se retourner, s’enfuit entre les arbres. Eberlué, je la regardais échapper aux Fauves. Comment une telle lueur pouvait-elle éclairer les yeux d’une gamine ? Je n’y prêtais pas plus d’attention et décidai de rentrer chez moi.

Sur le chemin du retour, je découvris la fille entre les griffes des Fauves. Elle s’était fait attraper finalement. Je la voyais se débattre et appeler au secours, mais je ne pouvais pas aller l’aider. S’en prendre aux Fauves c’était signer son admission au Circus Anima. Je restais debout, témoin de la scène la plus pitoyable de ma vie, sans même plaindre la détenue qui luttait inutilement. Je les fixais jusqu’à ce qu’ils disparaissent de mon champ de vision, jusqu’à ce qu’ils franchissent la muraille de la prison. Je haussais les épaules et continuais ma promenade. Alors que je m’approchais de l’orée de la forêt, je pouvais encore entendre les hurlements de l’adolescente. Elle aurait mieux fait de réserver ses forces si elle voulait pouvoir retenter une évasion, bien que celle-ci fût sans doute la dernière.

J’avais traversé le village à grands pas, pour pouvoir me réfugier chez moi et tenter d’oublier les péripéties de la matinée. Heurtant avec force les pierres qui se trouvaient sur mon passage, j’observais le village se réveiller lentement. Les vieux volets des maisons claquant contre les murs en s’ouvrant. Ces maisons grises qui se ressemblaient toutes appartenaient à des gens qui se ressemblaient tous. Personne dans cette pauvre ville ne paraissait différent. On nous apprenait dès notre plus jeune âge à respecter les lois dictées par le Circus, sous peine d’y être admis. Dans l’esprit de tous, mieux valait commettre un meurtre et être enfermé à vie dans une prison ordinaire plutôt que d’entrer au Circus Anima.

C’est en parti grâce à celui-ci que le pays d’Helyon est devenu le plus puissant de tout l’empire. Les autres provinces craignaient ce qui se trouvait à l’intérieur du pénitencier. Pourtant pauvre, Helyon était incontestablement le pays qui possédait la plus grande armée et inquiétait de plus en plus les autres nations de l’empire. Nous ne saurions échapper à la guerre encore longtemps. Des rumeurs annonçaient qu’Oblyon, l’état ouest, préparait ses troupes à une éventuelle attaque contre nous. Si la guerre venait à éclater entre nous, ils enverraient sans aucuns doutes les détenus du Circus en première ligne.

J’arrêtai mon avancée pour observer un vieux couple pleurer. Ce qui semblait être leur fils était en train d’être enlevé par les Fauves. Ce n’était visiblement pas eux qui l’avaient dénoncé. Tous le voisinage scrutait la scène jusqu’à ce que la camionnette noire, marquée du sceau du Circus, ne soit plus visible. Elle venait de s’effacer en direction de la forêt de l’Oubli. Les parents criaient, pleuraient et tapaient contre les murs de leur maison, impuissants et complètement abattus. Que pouvaient-ils faire ? Se dresser contre la loi, c’était prendre le risque de mourir. Certains villageois tentèrent de leur offrir de l’aide, de la compassion, mais j’imaginais que dans de tels moments, rien ne peut apaiser notre douleur.



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