Le lac des signes

Date 08-08-2013 20:00:14 | Catégorie : Nouvelles


Aujourd’hui, il fait chaud et un peu de fraîcheur serait la bienvenue. J’embarque mes trois enfants, un vélo et une trottinette dans le coffre (enfin … les enfants à l’arrière bien sûr). Direction un site avec un lac. A l’entrée du complexe, une guérite est installée. Une feuille griffonnée et collée de travers sur la fenêtre nous annonce le prix du parking à deux euros cinquante. Je m’approche. Une jeune fille me demande la somme en flamand. Mon fils Jolil, sur le siège passager, s’exclame : « Ah, on parle flamand ici ! ». Fouillant mes pièces, je pense intérieurement « Tais-toi. Si elle découvre que nous sommes francophones, elle va nous faire payer double tarif. »

Je sors la trottinette pour Amel et le vélo est à partager entre les garçons. C’est le seul qui entre dans le coffre. Gabriel s’en empare en premier. Il doit pédaler les jambes écartées afin que ses genoux ne cognent pas le guidon. Je me rappelle, quand il était petit, il adorait dévaler la rue et freiner à la dernière minute. Le pneu arrière est maintenant complètement lisse. Jolil fait une tentative. Ce vélo a vraiment l’air de sortir d’un lavage à nonante degrés alors que l’étiquette mentionnait « laine, fragile ».

Nous nous installons sur la petite plage réservée aux enfants jusque douze ans. Bon, j’ai bien un grand échalas de quatorze ans mais on ne va pas faire renaître l’apartheid pour si peu. Les enfants m’annoncent qu’ils n’ont pas besoin d’enfiler leur maillot car ils ne vont mettre que leurs pieds dans l’eau. Ils rembobinent leurs shorts le plus haut possible et partent en direction du bassin pendant que je m’installe sur le dernier banc libre.

Rapidement, un couple vient s’installer tout près de moi. Il a deux enfants dont un dans une poussette. Monsieur porte un parasol à l’effigie d’une marque de bière flamande qu’il plante dans le sable chaud. Sa femme commence à donner la becquetée à son marmot. Mais un coup de vent déracine le parasol qui vient s’abattre sur Madame qui manque de finir borgne. Son mari à la rescousse replante son poteau à l’aide de la pelle du plus grand. Quelques minutes plus tard, rebelote. Le parasol s’abat à quelques centimètres du petit posé sur une couverture. Il est vrai que le vent est assez présent cet après-midi. L’homme décide d’adopter la technique du lest. Il utilise la poussette comme renfort pour le maintien en position verticale du parasol rebelle. Sans plus grand succès, il finit par se résigner à le maintenir à la main pour éviter à son rejeton de prendre un coup de soleil et de parasol.

Mes enfants reviennent de leur rafraîchissement de pieds qui est devenu un pugilat. En effet, les deux petits sont trempés de la tête aux pieds. Je leur impose d’enfiler leur maillot de bain et faire sécher leurs vêtements au soleil qui joue à cache-cache avec les nuages. Mon grand décide de rester habillé. Ainsi, si on lui fait la remarque qu’il est trop vieux pour jouer ici, il pourra rétorquer qu’il ne se baigne pas mais surveille son frère et sa sœur.

J’observe un homme qui arrive avec son enfant. Pendant que ce dernier s’élance dans l’eau, il reste debout, planté dans le sable avec son sac sur le dos. Il tourne un peu en rond, semblant chercher une place comme un chien son os. Il ne semble pas apprécier devoir s’asseoir dans le sable. Un peu plus tard, son enfant revient et il lui donne un quatre heures. Mais une abeille passant par là décide que ce goûter semple bien appétissant et commence à tourner autour du père. Celui-ci mouline des bras dans tous les sens en s’enfuyant plus loin, laissant son pauvre petit en proie à l’insecte gourmand. Il pleure de peur mais son père, courageux mais pas téméraire, attend que la « bête » décide voler plus loin pour revenir consoler son enfant.

Juste devant moi, une femme rondouillette tente de se relever. Voyant sa chérie en grande difficulté, son amoureux chétif se lève prestement et lui tend la main. Dans un effort surhumain, il parvient à remettre Madame en position verticale. A la vue de son profil, je comprends mieux. Elle arbore un ventre proéminent qui la fait basculer en avant, signe que la famille va s’agrandir sous peu. Mais pas tout de suite, s’il-vous-plaît. Le futur bébé est positionné étrangement car il semble y avoir deux masses de part et d’autre du nombril et un vide au milieu. Peut-être attend-elle des jumeaux. Son mari est comme le Mir : « Mini mais il fait le maximum. » (lien : https://www.youtube.com/watch?v=rLN2cXvLUF8).

Plus loin, un papa surveille son petit de deux ans qui barbote dans l’eau. Soudain, sans raison apparente, il se met à pleurer à chaudes larmes en réclamant sa maman occupée à faire bronzette de l’autre côté de la plage. Une colique ? Une faim soudaine ? Une abeille gobée ? Un peu désemparé, le papa saisit son rejeton tout mouillé sous les aisselles. Il est visiblement partagé entre serrer son fils dans les bras et maintenir sa chemise sèche. Il finit par se diriger vers sa femme en portant le petit sur son avant-bras, sauvegardant ainsi sa chemise et sa dignité de père.

A quelques mètres, j’observe le manège d’une dame. Elle sort un truc multicolore d’un sac et commence à le gonfler. Il s’avère que c’est une mini piscine d’un mètre de diamètre. Elle la pose sur le sable et utilise le seau de son enfant afin de la remplir d’eau. Peut-être souhaite-t-elle s’en faire un bain de pieds. Une fois la piscine prête, elle s’en va proposer à sa petite fille d’y barboter. L’enfant, préférant le côté naturel et plus vaste du bord du lac, reste imperturbable face aux arguments de sa mère. Celle-ci finit par remballer son matériel. Je me demande si, quand elle se rend dans un parc d’attractions, elle ramène un jeu de société en disant que c’est plus amusant ….

Une heure plus tard, les vêtements sont quasi secs et on décide de bouger vers la plaine de jeux de l’autre côté du lac. Je me pose sur un banc libre et observe aux alentours. Un papy avec son smartphone tente de photographier son petit fils qui ne regarde jamais vers lui. Il fait plusieurs tentatives, infructueuses, car l’enfant ne reste pas en place et préfère passer de balançoire en toboggan que de jouer le mannequin immobile pour son grand-père.

Je vois passer un petit bonhomme avec un bob sur la tête. Juste derrière lui, un homme accourt et lui évite un vol plané. Il porte le même chapeau ridicule. Pas difficile de savoir qui est le paternel de ce petit bout !

Un couple passe devant moi. Le mari pousse le landau et tient la laisse d’un petit chihuahua. Son épouse porte un grand sac que je prends pour un sac de plage. Mais quelque chose d’étrange en dépasse. Un essuie ? Un régime de bananes ? Non, c’est un autre petit chien. Pourquoi est-il dans ce sac ? Elle finit par le laisser sortir en maintenant fermement la laisse au cas où il l’entraînerait avec sa force herculéenne de chihuahua. Il est minuscule et je conclus que ce type de promenade est trop fatiguant pour ses pattes en bâtons d’allumettes.

Un bonhomme de trois ou quatre ans se rue sur une balançoire. Il porte de grosses chaussures, un short et un t-shirt trop grands pour lui, signes d’une origine très modeste. Il décide ensuite de jeter son dévolu sur une double bascule où une petite fille blonde aux boucles parfaites et à la robe printanière est déjà installée. Les deux enfants se sourient et commencent à jouer joyeusement. La mère de la petite s’approche et la tire par le bras vers un autre jeu en jetant un regard de mépris vers le petit gamin. Sale bourgeoise, il n’allait pas la manger ta princesse !

A ce moment, quelques abeilles viennent bourdonner autour de moi. Bon, avançons. Ce banc m’est devenu hostile car planté au milieu d’un bosquet fleuri, cible des insectes butineurs. Les enfants viennent chercher des boissons rafraîchissantes dans mon sac à dos, ce dernier me donne un air de Tortue Ninja. On aperçoit des pédalos sur le lac et partons à la recherche du port où mouillent ces modestes embarcations. Nous trouvons la petite cahute annonçant un pris originel de cinq euros, modifié grossièrement au feutre à huit euros. Il est en plus demandé une carte d’identité et une caution de vingt euros. Je me demande s’ils prennent la carte VISA ? Il faudra bientôt un extrait de casier judiciaire, un garant ou une fiche de paie ! De quoi ont-ils peur ? Que je vole le pédalo ! Mais comment ? En rentrant chez moi par les canaux ? Mais il n’y a même pas de ruisseau dans mon village. Que je le mette sur le toit de la voiture ? Pas très discret de sortir du complexe avec un géant bateau vert fluo.

Tout d’abord, on décide d’aller vider nos petites vessies. Nous zigzaguons entre les touristes étendus sur l’herbe pour parvenir au bâtiment. A l’entrée, une affiche en néerlandais. Je parviens péniblement à traduire. On nous signale que les toilettes ne servent pas à se changer car il y a des cabines à cet effet. Il est vrai que, s’il est possible d’enfiler son maillot dans une toilette, il est plus délicat de faire pipi dans des cabines.

Nous nous dirigeons ensuite vers la cabane aux pédalos. Devant nous, un couple choisit sa glace pendant que leur petit bout, laissé derrière, tangue et finit la tête dans le sable. Ses cris ne réveillent pas de suite l’instinct parental, occupé à déterminer si un Magnum est meilleur qu’un Cornetto. Un appel plus fort les rappelle à l’ordre. C’est à nous.
« C’est pour louer un pédalo, s’il-vous-plaît.
- Fermé.
- Mais il y a encore des personnes sur le lac.
- Fini. Trop froid. »

Il fait vingt-cinq degrés. Si on était à Saint-Tropez, je comprendrais. A moins que ce soit le maître-nageur qui a eu un froid. La jeune fille ne parlait pas bien français mais elle a fait un effort tout de même. Tant pis ! Les enfants choisissent une glace. Six euros. J’ai gagné deux euros et éviter le problème de la caution ainsi que la honte de devoir arborer ma carte d’identité. Ma photo a été prise un jour de grand vent dans ma mauvaise semaine, j’ai une sale tête ! Nous retournons tranquillement vers la voiture. Les grands finissent goulûment. Amel traîne avec son Calipo coca. Mieux vaut le finir avant d’entrer dans la voiture pour éviter de retrouver du liquide collant partout. Elle me tend le cornet à moitié rempli en annonçant la fin de sa faim. Sondage rapide auprès de ses frères pour l’aider … sans succès. Et c’est qui qui s’y colle ? Bibi. Je finis l’espèce de sorbet coca au goût écœurant. Et après je m’étonne de ne pas garder la ligne. A finir les restes des enfants aux yeux plus grands que le ventre, on devient obèse.

Nous retournons à la maison avec un bilan positif d’une belle après-midi : des enfants heureux et une maman avec plein de choses à raconter.




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