Azéline Chapitre 2

Date 12-08-2013 14:50:00 | Catégorie : Nouvelles


Azeline
Chapitre 2

Après une semaine passée à l’hôpital, Béryl est de retour chez elle. Son côté gauche est toujours insensible même si elle recommence à sentir des effleurements sur son pouce, et sur une partie de son bras. Le ventre aussi a regagné presque toutes ses sensations, mais quand elle est fatiguée, elle se retrouve avec un morceau de bois plaqué sur son corps. Si une émotion la saisit elle tremble de tous ses membres, et son visage s’engourdit, il faut deux heures d’immobilité parfaite pour que tout rentre dans l’ordre. Deux heures d’inquiétude, deux heures douloureuses pendant lesquelles elle ne peut même pas parler, elle ne peut que regarder la télévision sans bouger. Heureusement, elle peut enregistrer des émissions intéressantes, et elle n’a pas l’impression de perdre son temps. Son cerveau se cicatrise, mais il travaille aussi en continuant à apprendre des choses sur des peintres, des écrivains ou des peuples lointains.

Une vieille tante l’appelle et lui propose de venir passer quelques jours dans sa maison en Bretagne. Cette femme a toujours été tout ce qu’il y a de plus étrange pour Béryl : elle déteste parler et faire la conversation. Elle ne s’est jamais attachée à personne sauf peut-être à un de ses chiens. Elle déménage en moyenne tous les quatre ans, souvent sur un coup de tête. Du jour au lendemain, sans rien dire à personne, elle se débarrasse des animaux qu’elle a amassés depuis son arrivée, elle laisse les meubles qui la gênent sur place, et elle disparaît sans laisser de traces. Au bout de quelques semaines elle envoie une carte postale, dont le cachet laisse à penser qu’elle s’est établie dans une nouvelle contrée, puis c’est une lettre avec son adresse au dos. Comme elle est sur liste rouge, il est impossible de l’appeler au téléphone, et au bout de quelques temps, elle contacte ses fils en se plaignant d’être délaissée et mal aimée.

Marie-Madeleine, puisque c’est son prénom, vient de jeter l’ancre dans un village très reculé appelé Lannargan, elle n’a pas son pareil pour découvrir les endroits les plus inaccessibles. Ce village est situé au fond d’une vallée près d’une forêt, il est assez prisé des touristes en été, mais il faut, comme elle, avoir le goût de la solitude pour vouloir passer quelques temps dans ce lieu. Il n’y a qu’un hôtel et un camping, l’endroit étant humide et loin de la mer. Cerise sur le gâteau, sa maison est construite dans un hameau où le soleil disparaît pendant quatre mois de l’année, de Novembre à Avril.

Néanmoins, son invitation est très gentille, Tantine est bourrue mais c'est une personne très sensible qui a été blessée par la vie, et Béryl sait qu’elle n’aura rien d’autre à faire que de se reposer. Si Marie-Madeleine l’invite c’est pour prendre soin d’elle.

Florent la conduit en voiture jusqu’à Lannargan. Les maisons de granit ne sont pas décorées de fleurs comme dans certains villages, quelques unes sont même assez délabrées.
Marie-Madeleine les attend sur le pas de sa porte. Elle porte un jean, un grand pull et des baskets, à près de 85 ans, elle a l’allure d’une personne beaucoup plus jeune, et son dynamisme est contagieux.

« Bienvenue les enfants ! Je suis si contente de vous voir, comment vas-tu Bébé ?

(Bébé était le petit surnom de Béryl quand elle était petite, elle le déteste mais de nombreux membres de sa famille l’appellent encore ainsi).

« Ça va mieux merci, je suis fatiguée mais la sensibilité revient peu à peu, c’est une question de temps, ça aurait pu être bien pire »,

« Tu vas te reposer ici, je vais m’occuper de toi, tu vas voir ! »,

Marie-Madeleine parle fort, elle est un peu sourde. Florent monte la valise dans la chambre à l’étage :

« tu viens Bébé ? » me dit-il avec un clin d’œil,

« ne commence pas, tu sais bien que je n’aime pas qu’on m’appelle comme ça »,

« allez, mon Bébé va être bien installée, ton petit dodo à l’air bien confortable »,

Florent adore la taquiner. Béryl est fatiguée par le voyage :

« je me coucherais bien maintenant, je n’en peux plus, quelle heure est-il ? »,

« il est 17 heures, il n’est pas tard ».

Marie-Madeleine les attend avec des chocolats chauds et des biscuits,

« ça va ? Le voyage ne vous a pas trop fatigués ? »,

«Moi ça va, mais Béryl est un peu fatiguée, elle va se coucher tôt ce soir je pense, pas de sortie en boîte ce soir, désolé Marie-Madeleine »,

« Quel dommage, moi qui voulais faire la tournée des bars » répond Marie-Madeleine à Florent du tac au tac.

« Dîner à 7 heures ce soir comme tous les soirs, une soupe et au lit ! Tu repars à quelle heure demain Florent ? »,

« Pas trop tard la route est longue et j’aimerais arriver avant la nuit si c’est possible ».

A 20 heures Béryl s’écroule sur son lit et elle n’entend même pas Florent partir à 9 heures le lendemain. Elle pourrait dormir 14 heures par jour. Le réveil est toujours difficile, elle doit déjeuner puis se reposer pendant au moins deux heures avant de pouvoir envisager de pouvoir se doucher, si elle se lève de son fauteuil, elle est prise d’étourdissements et manque de s’évanouir.

Florent a laissé un petit mot :

« Bonjour mon Amour, tu as bien dormi ? Je suis parti sans faire de bruit, pour ne pas réveiller mon Bébé qui dormait, Marie-Madeleine va te préparer un biberon, gouzi gouzi mon petit crapaud ».

Béryl se met à rire, tous les matins elle a droit à un petit mot, dans lequel Florent se permet des sacrés délires. Béryl descend l’escalier en robe de chambre, un feu réchauffe la cuisine-salle à manger.

Sur la table des chats allongés côtoient un monceau de nourriture : des pains au chocolat, des croissants, du pain, du café, du thé, toutes sortes de confitures, du miel et de la pâte à tartiner au chocolat. Béryl mange un croissant avec un bol de tisane, le café de Marie-Madeleine est comme du TNT, et elle a la tremblote si elle boit des excitants. Elle se glisse sur un fauteuil où un gros chat récupère de sa nuit passée à chasser dehors. Elle trouve un magazine, elle débarrassera la table toute à l’heure.

Sa tante s’occupe des poules et des lapins sans doute, elle a commencé sa journée à l’aube. La maison semble grande, mais seule une petite partie est aménagée. En bas, il y a une cuisine-salle à manger qui donne sur un grand jardin, avec une forêt touffue au fond. A l’arrière de la cuisine, il y a un salon avec un superbe poêle à bois bleu-vert au milieu, on s’aperçoit que ce salon constitue l’entrée de la maison. Par une porte sur le côté, on accède à la chambre de Marie-Madeleine. A l’étage, il y a encore deux chambres et une salle de bain.

Béryl se sent mieux, elle débarrasse, s’assoit encore un peu, et remonte prendre sa douche. Dans la salle de bain, près d’un panier en osier plein de serviettes, il y a un vieux phonographe, elle n’en a jamais vu de semblable, il semble en excellent état et il y a même des disques de la même époque que l’appareil entreposés à côté, il faudra qu’elle demande à Marie-Madeleine où elle l’a trouvé. Après avoir fait son lit, Béryl descend, sa tante rentre avec trois énormes terre neuve,

« bonjour Bébé ! Bien dormi ? Tu n’as pas encore rencontré mes petits : Ouessant, Hoëdic, et Bréhat, dites bonjour à votre cousine mes chéris ».

« Bonjour ma tante, bonjour les chiens ! »,

les chiens lui sautent dessus, leurs grosses pattes sales laissent d’énormes traces sur son jean, ils manquent de la faire tomber.

« Couché les chiens ! Sont-ils mal élevés alors ! Venez boire par ici, et laissez Béryl tranquille ! ».

« J’ai très bien dormi et toi ? Je n’ai même pas entendu Florent partir ! »,

« Je sais, il n’a pas fait de bruit, il ne voulait pas te réveiller, il est très inquiet pour toi, je lui ai dit que tu serais bien ici, et que tu serais transformée dans quelques semaines ».

Les chiens lapent à grand bruit, ils transforment la cuisine en flaque d’eau.

« Vient, je vais te faire visiter la maison »,

Marie-Madeleine entraîne Béryl à l’étage, elle ouvre une porte que cette dernière n’avait absolument pas vue dans la salle de bain. Derrière la porte il y a une pièce immense. Des escaliers en bois mènent en bas, il s’agit d’un gigantesque grenier encombré d’objets divers et variés, mais tous très anciens.

« J’aimerais en faire un gîte, mais il y a beaucoup de travaux, comme tu peux le voir… il faut que je demande des subventions »,

« Tu crois que tu pourrais accueillir combien de personnes, ça paraît immense ! »,

Marie-Madeleine est enthousiaste :

« Oh on commencerait par une ou deux chambres et puis après je verrais, j’avais aussi pensé à un gîte collectif pour des groupes »,

« tu t’imagines avec une colonie de vacances dans ta maison ? Finis le calme et la tranquillité ! »

Béryl est habituée aux projets fantasques de sa tante, elle avait voulu devenir chevrière, elle avait d’ailleurs passé un diplôme, puis elle avait voulu faire pousser des kiwis dans le sud, ce projet ne serait certainement qu’un rêve de plus. Elles repassent par la salle de bain, et la jeune femme montre le phonographe,

« d’où vient ce phono, il a l’air en super état ! »,

« il vient de la pièce à côté, les anciens propriétaires m’ont laissé tous leurs souvenirs de famille, j’ai eu l’impression qu’ils voulaient tirer un trait sur le passé, pour eux, ce ne sont que des vieilleries », dit-elle avec un haussement d’épaules.

« Tu as essayé de le faire marcher ? »,

« Non, je n’ai pas encore eu le temps, je vais le descendre si tu veux ».

Béryl est soulagée, son bras gauche est encore faible et elle ne peut pas porter grand-chose, c’est sa vieille tante de 85 ans qui est la plus forte maintenant. Marie-Madeleine dépose le phono sur une table, pendant que Béryl jette un coup d’œil sur les disques :

« la Traviata chantée par Enrico Caruso !, on le met ? »,

« Vas-y ma puce ! ».

Béryl dépose la galette noire sur l’appareil, elle tourne la manivelle, et avec précautions, elle dépose le saphir sur le premier sillon. Un son crachotant accompagné de craquements retentit, on entend la voix des chanteurs, lointaines, elles paraissent sortir du passé,

« à ton avis, ce disque n’a pas été écouté depuis combien de temps ? »,

« Aucune idée Bébé, sûrement très longtemps ».

« J’ai d’autres objets si tu veux, j’ai retrouvé un vieil album de cartes postales ».

Marie-Madeleine farfouille dans un placard, et en sort un gros album en carton jauni, il semble dater du début du 20 ème siècle. Béryl l’ouvre doucement, les pages se détachent les unes des autres. L’album contient de très anciennes cartes postales, il y en a une bonne centaine.

« C’est superbe ! S’exclame-t-elle, elles sont en super état ! ».

Certaines cartes viennent de Paris, elles représentent des soldats de la guerre 14-18, sur d’autres sont collées des fleurs séchées, il y a aussi des dessins de femmes en robes longues. Chacune d’elle possède un cachet de la poste, la jeune femme en détache une, ce sont de vraies cartes postales qui ont été envoyées à une personne qui a habité la maison, son nom est Azéline. Quelque chose pousse Béryl à les lire pour en apprendre un peu plus, cette personne était sans doute celle qui écoutait la voix de Caruso sur le phonographe. Elle va se mettre dans la peau de cette personne qui a reçu ces missives, sauf qu’elle les reçoit un siècle plus tard.
FB : arielleffe



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