Lorsque chacun se tait.

Date 21-08-2013 15:00:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Cette histoire est peut-être sortie de mon imagination ? qui sait, à part moi. En tous cas, même moi, elle m'attriste, en fin de compte.

Dans cette cité aussi isolée qu'un petit village Gaulois, 52 avant JC, les gens vivaient en autarcie, mis à l'index et souvent redoutés par toutes les campagnes environnantes.
Cet isolement avait eu pour conséquence l'institution tacite d'un mode de vie sans doute hors du commun mais qui, finalement , convenait à la grande majorité de cette petite cité.Je dis 'cité' pour que vous compreniez, mais nous n'utilisions jamais un mot aussi pompeux pour désigner notre camp.

Ainsi, les relations établies dans la cité étaient, par la force des choses, basées sur l'entraide, la compréhension, le partage, mais surtout, et c'était là l'élément-clé de la bonne marche du système, un respect total de la vie familiale de chacun. Bizarrement, nous savions tout de nos voisins mais chacun avait à coeur de faire semblant de ne rien savoir, sachant que, de la même façon, les autres devaient tout savoir de vous. Je n'ai que très rarement entendu de discussions sur ce sujet.
Tous les hommes du village étaient des buveurs invétérés.Les retours du travail, le soir, étaient effectués par des parcours plus ou moins sinueux, chaque courbe passant par un bistrot, et s'il était évident que chaque homme laborieux commençait son parcours à partir de son boulot, point A , le terminus, après tous les multiples arrêts , se faisait point B, le bistrot du village.
Le propriétaire du bistrot, homme servile et toujours souriant, n'avait pas à cacher son opulence : c'était, pour tous, l'exemple de la réussite, quand on se lève tôt et que l'on se couche tard.
Il y avait, si je me souviens bien, trois hommes que nous ne voyions jamais rentrer en titubant et qui ne s'arrêtaient pas au bar, avant d'entrer chez eux.
Pour eux, une parenthèses était admise dans la discrétion de réserve . Les femmes, quand elles parlaient entre elles des frasques de leurs bonhommes, en arrivaient souvent à faire mention des trois exceptions de la cité. Voilà là une chose bizarre, pour des hommes normaux ! Alors ces dames, pour que les choses puissent rentrer dans un ordre naturel, avaient trouvé une explication rassurante qui mettait fin à leur questionnement :
- " C'est pas des hommes francs. Ils doivent boire leurs coups chez eux, en cachette ."

Une autre facette de ce mode d'existence était que tous les gosses, hors de chez eux, étaient sous la responsabilité de chacun. Une surveillance bienveillante qui autorisait tout ce qui ne s'avérait pas trop dangereux pour les hordes hurlantes et débrayées qui sillonnaient le camp. Quand nous y restions. Parce que le rayon de notre zone de jeu était d'environ 5 à 8 kms ! Nous écumions les vergers, les jardins , nous avions nos cabanes dans le bois d'Enfer, nous pêchions les grenouilles à ' La pissotière à Madame ', nous prenions nos bains dans la Lézarde et nous en sortions pour brouter un peu de cresson. Nos jeux, dans le camp, reprenaient à l'heure du gôuter.
Les adultes, nous surprenant à faire une grosse bétise, nous allongeaient de bonnes paires de claques. L'imbécile qui aurait eu l'idée d'aller se plaindre à sa mère était assuré de s'en prendre d'autres. " S'il te les a mises, c'est que tu les a méritées ! " On s'écrasait et on allait jouer ailleurs.

Une autre activité avait cours, elle aussi, mais je crois que l'époque l'avait institutionnalisée : La dérouillée aux épouses récalcitrantes ..ou pas... Je ne pense pas que quelqu'un, dans le camp, avait lu ou avait eu connaissance de la fameuse petite maxime : " Bats ta femme, bats-là souvent. Si tu ne sais pas pourquoi, elle, le sait " Sur ce point, les hommes du village étaient très philosophes . Alors, le bruit des tannées se faisait entendre dès le soir , et l'on commentait, en famille, l'intensité de la dérouillée la plus proche.
Il y avait des cas étranges; par exemple, celui de nos voisins de baraquement. Le mur nous séparant était une mince cloison de fibro-ciment qui nous permettait d'entendre le moindre souffle, de l'autre côté. Nos voisins semblaient absents, en permanence. Pas un bruit, pas un murmure ne nous parvenait de ce jeune couple. Poutant, souvent, dès le matin, nous pouvions rencontrer la toute jeune épouse avec des cocards violacés et des bleus sur les bras !
Aussi difficile que cela puisse sembler, certaines femmes arboraient leurs marques de coups avec fierté : n'était-ce pas la preuve que leurs maris s'intéressait à elles ?

Pourtant, dans cette prudente indifférence générale, le cas de Raymonde indisposait notre société. Pas au point d'intervenir, quand même !
Que Raymonde reçut sa correction quasi journalière, il n'y avait là rien de bien original, mais tout le monde se demandait bien pourquoi ! La pauvre Raymonde, très malade, maigre à faire peur, tenait sa maison propre, ne parlait à personne et n'avait aucune fréquentation.
Son mari, un Polonais parlant très mal le Français, savait toutefois trouver les mots pour la frapper, en rythmant chaque coup par un mot approximatif, ce qui donnait :
" Ah talop' ! talop' talop' ! la pouta ! la pouta ! la pouta ! " Cette formule rituelle est restée dans tous les esprits.
On se disait parfois : " il finira par la tuer.." sans grande conviction, nous ne marchions pas sur les cadavres.
Un matin, en allant à l'école, le bruit avait couru que Raymonde était décédée dans la nuit, après sa tannée de la veille. Mais aucun rapport.
La quète habituelle a été faite pour la couronne de Raymonde.
Son mari, à défaut de buveurs voulant trinquer avec lui, s'en alla du camp. Sans doute pour se trouver une femme, ailleurs.










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