Les animaux ne se cachent pas pour faire l'amour (suite et fin)

Date 21-08-2013 16:10:00 | Catégorie : Nouvelles


Les animaux ne se cachent pas pour faire l'amour (suite et fin)

II-

P’tit Bleuet prit l’habitude d’aller quotidiennement faire un tour auprès de sa bien-aimée. Peut-être surveillait-il la grossesse. Et moi, je pris l’habitude d’aller le chercher et par la même occasion discuter avec Fatma. Nos conversations portaient tout le temps sur les relations garçons-filles avec des détails qui devenaient plus pointilleux de jour en jour.
Fatma voulait tout savoir sur les comportements des hommes, sur leurs préférences, sur leurs désirs et leurs fantasmes. Et moi fier, des quelques fausses informations que j’avais glanées auprès de mes camarades de lycée, j’essayais d’étaler tout mon savoir pour mieux l’impressionner. J’étais le savant, l’érudit et l’amoureux. Mais en ce qui concernait ce dernier rôle, je continuais à l’aborder avec prudence.
« - Avec les filles, il ne faut jamais précipiter les choses », nous conseillait le doyen de notre classe. Un gaillard qui prodiguait tellement de conseils à tel point qu’il n’avait jamais le temps d’apprendre ses leçons ou de faire ses devoirs. D’ailleurs il avait triplé sa classe avant de quitter définitivement notre lycée.
Comme un papillon éphémère, notre idylle arborait ses couleurs une fois par semaine.
Le jour du souk, la maman de Aicha partait comme tous les habitants du hameau faire ses achats. Alors cachés entre les genêts et quelques grosses pierres nous reprenions notre conversation sans crainte d’être dérangés. Seul, Si Messaoud, comme d’habitude, épiait de loin nos moindres gestes. Il espérait toujours nous surprendre en flagrant délit. Cet espionnage freinait substantiellement notre élan ; si bien que nous redevenions de simples chenilles avant notre séparer.
Le jour où Fatma n’osa pas me regarder droit les yeux, le jour où elle perdit la parole, le jour où elle commença à trembler de tous ses membres, mon cœur chancela. Mon ami de classe avait raison. Ma patience allait enfin être récompensée. J’étais le beau Joseph attendant de Zouleikha l’aveu de sa passion. J’étais sûr que sa résistance allait fléchir (6)
Mais au lieu d’ouvrir ses bras comme la femme d’Al Aziz, au lieu de prononcer la fameuse phrase tant attendue qui mettrait fin à ma torture, elle recula de trois pas et pointa son doigt sur une pierre qui était derrière moi. Je me retournai. Un serpent rampait lentement d.ns ma direction.

Sauve qui peut !
Un pur sang sur un champ de course !
Je laissai la pauvre Fatma seule face à son destin. Je la regardai de loin. A l’aide de quelques pierres, elle parvint à tuer le reptile. Je ne la rejoignis qu’au moment où elle prit le serpent par la queue pour me montrer qu’il était bien mort. J’avais honte de moi-même. C’était vraiment un coup dur pour ma virilité. Je tentai tant bien que mal de lui expliquer que je n’avais pas peur.
« - je suis parti chercher un bâton. Tu aurais dû attendre mon retour pour que je le tue de mes propres mains… ».
Souriante, l’air moqueur, elle me répondit :
« - Je sais que tu es très courageux ! »
J’eus des cauchemars toute la nuit. Fatma encerclée de serpents me priait d’intervenir pour la sauver, et moi, me tenant à une distance assez raisonnable, je lui criais de se servir de pierres pour les écraser.


III-


Je revins en été pour passer les vacances chez les miens. Cette année là, le pays connut une sécheresse sans précédent. En rentrant chez-moi, je ne vis pas P’tit Bleuet. Ma mère m’informa qu’il était mort. « Il n’avait plus rien à manger ! Tes frères, Hassan et Hamid, l’ont enterré près de la hutte de Fatma».
« - Et l’ânesse de Aicha ? Est-elle morte, elle aussi ? », lui demandai-je imprudemment
« Non, non, ils ont survécu, elle et son petit. C’est vraiment un miracle ».
Au cours de la discussion, j’appris que Fatma et sa mère avaient disparu sans laisser de trace.
« Il parait que Fatma s’est mariée à un bûcheron qui vit dans la montagne », me déclara ma mère..

Cette mauvaise nouvelle m’ébranla. Je faillis crier :
« -Pourquoi Fatma a-t-elle fait ça ? ».
Je quittais la maison en titubant. Je ne savais plus quoi faire. Je venais de perdre mes deux amis les plus chers. Ma vie n’avait plus aucun sens.
P’tit Bleuet mourut de chagrin et non de faim comme le croyait ma mère. J’aurais aimé qu’il soit encore vivant. Nous serions partis tous les deux. Nous irions « par monts et par vaux » pour ramener nos biens aimés. Je prouverais à Fatma mon amour et mon courage. Je reconduirais mon Eurydice à la tribu Saadna, et le mythe d’Orphée deviendrait un vulgaire exemple devant mon exploit. Car je serais capable de ramener Fatma saine et sauve jusqu’au douar Lkoudia.
Par ma bravoure et ma générosité, je ferais oublier au monde arabo-musulman le Roman d’Antar. Et comme les Mu’allakat, (7) mon épopée chevaleresque serait écrite en lettres d’or et accrochée, non pas à la Mecque, mais sur la porte de l’école coranique de Si Messaoud.
Malheureusement, comme disait ma grand-mère « On ne peut pas applaudir avec une seule main ». Mon expédition ne pourrait jamais se réaliser, car P’tit Bleuet, mon bras droit, reposait pour l’éternité à l’ombre d’un genêt, tout près de ce qui restait d’une hutte.
Je n’eus pas le courage de mettre fin à ma vie.
Aujourd’hui, je regrette de ne l’avoir pas fait, ne serait-ce que pour être enterré à côté de P’tit Bleuet.
Chers lecteurs, si vous vous rendez un jour au douar Lkoudia ( ce qui est peu probable !), n’hésitez tout de même pas à faire un petit détour pour déposer une fleur sur la tombe de la bête qui a su aimer et rester fidèle à son amour mieux qu’un être humain. Votre geste contribuera certainement à la réhabilitation de cet animal aux yeux de notre religion. Quant à moi, je continuerai à trainer mon affliction jusqu’à la fin de mes jours.

M. LAABALI







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