La guerre éternelle

Date 27-08-2013 14:11:56 | Catégorie : Nouvelles




La guerre éternelle

I- Comme tous les soirs, sa grand-mère maternelle vint s’installer près de sa couche et commença à lui raconter une histoire pour l’endormir.
« Il était une fois deux jeunes filles, Vérité et Médisance, qui vivaient dans le même hameau et se fréquentaient souvent malgré leurs caractères, physique et moral, diamétralement opposés
Vérité, dont les parents étaient très pauvres, travaillait durement pour leur venir en aide. Chaque matin, elle se rendait à la forêt pour ramasser du bois afin de l’échanger contre une miche de pain. Toute petite, elle avait attrapé une de ces maladies fréquentes dans ces contrées perdues. Le guérisseur et le chef de la tribu intimèrent à la maman une mise en quarantaine de la petite. Aussi Vérité fut-elle enfermée pendant une longue durée. Quand elle se rétablit et fut autorisée à fréquenter les filles de son âge, les habitants de la tribu furent horrifiés par la laideur de cette créature. Ossue, elle était élancée et louchait des deux yeux Avec sa chevelure ébouriffée et terne, elle avait l’air d’un monstre. Ses jambes menues et très longues supportaient péniblement un torse rond et pointu. Ses bras, quand elle les baissait dépassaient largement ses genoux. Elle n’avait presque pas de fesses. Son déhanchement rappelait celui de l’autruche ou du gorille qu’elle avait l’habitude d’apercevoir, de temps en temps, dans la plaine broussailleuse ou sous les arbres de la forêt dense.
Souvent, en la voyant venir, les jeunes filles de son âge criaient : « Le marteau arrive » et se tenaient tranquilles jusqu’à ce qu’elle s’éloigne. On l’avait surnommée ainsi tellement elle ressemblait étrangement à cet outil dont se servaient beaucoup d’habitants de la tribu dans leurs tâches quotidiennes. Gare à celles qui essayaient de se mettre sur la route du marteau. Elle les écrasait par son verbe franc et direct. Vérité blessait. Vérité dérangeait. On fuyait Vérité.
Pourtant, beaucoup de qualités trouvèrent assez d’espace pour cohabiter ensemble dans cette partie ingrate de ce corps hideux. Équité, gentillesse, politesse, amabilité et beaucoup d’autres familles de vertus vivaient paisiblement dans ce corps aux allures d’un interminable couloir étroit.
Vérité dont le cœur jaillissait de sensations fortes, pures et nobles n’avait jamais compté que sur elle même pour venir à bout de tous ses malheurs. Hélas ! Souvent, du bien qu’elle semait partout où elle passait, elle ne récoltait, en contre partie que du mal. Seul un jeune homme était profondément ému par cette injustice de la nature. Il se sentit alors investi de la mission de compenser cette injustice.par des attentions particulières qui se transformèrent rapidement en un amour sincère. Il commençait à s’intéresser à elle, bien qu’elle n’ose même pas l’approcher. Il l’écoutait attentivement, lui demandait parfois conseils, l’aidait souvent dans les tâches pénibles qu’elle effectuait.
Médisance, par contre, était d’une beauté aphrodisiaque. Un visage aux traits fins, des yeux noirs taillés noisette, un nez régulier, on dirait l’œuvre d’un sculpteur aux mains habiles. Ses cheveux noirs tombaient en cascades sur ses épaules souvent nues. Quand elle marchait, sa silhouette fine et élancée ondulait majestueusement et mettait en relief sa beauté éclatante. Elle avait un corps bien proportionné et merveilleusement bâti dont chaque partie – visible et invisible- faisait rêver la moitié des jeunes de la tribu, l’autre moitié était plutôt attirée par sa fortune. En effet, son père, M. Succès, était immensément riche.
Le seul handicap qui raisonnait tous les prétendants rêveurs et les tenait à l’écart malgré les alléchants atouts, aussi bien physiques que matériels, qu’exhibait fièrement et généreusement Médisance était son art de la ruse, du mensonge, et surtout du mal qu’elle nourrissait et entretenait soigneusement, son visage angélique aidant, et que la malheureuse Vérité récoltait injustement quand il était bien mûr.
Ayant appris que celle-ci était courtisée par Principe, le plus beau jeune garçon de la tribu, Médisance devint furieuse et plus méchante que d’habitude. Elle se demandait comment ce jeune avait rompu tous les liens séducteurs qu’elle avait péniblement, mais solidement, tissés autour de lui. Comment il l’avait délaissée pour cette créature difforme.
Cette funeste nouvelle mit la plus belle fille de la tribu hors d’elle et prit le caractère d’une déclaration de guerre ouverte sur tous les fronts et plus particulièrement contre Vérité. A partir de ce moment, tout ce que disait ou faisait cette dernière était intentionnellement et malicieusement déformé par Médisance, aidée dans cette tâche par son frère Mensonge et sa sœur Calomnie. »


II- Comme tous les soirs, sa grand-mère paternelle vint s’installer sur le moelleux sofa près de son lit et commença à lui raconter une histoire pour l’endormir.
« Il était une fois deux jeunes garçons, Principe et Intérêt, qui vivaient dans la même tribu et se fréquentaient souvent malgré leurs caractères, physique et moral, diamétralement opposés.
Issu d’une famille très riche, Principe avait une peau basanée, un visage rond avec des yeux bleu clair, des cheveux noirs, brillants et ondulés. Son corps bien sculpté, sa poitrine large et bombée dénotaient, d’une manière évidente, la force et la virilité. Dame nature qui avait pétri ce physique modèle ne lésina pas sur les ingrédients vertueux pour parfaire son chez d’œuvre : gentillesse, altruisme bonté de cœur et virilité. Toute la gente féminine rodait autour de lui dans l’espoir d’attirer son attention d’abord, et de le séduire ensuite. Alors qu’il n’avait pas encore atteint l’âge de douze ans, il connut tous les regards langoureux, tous les gestes chargés de messages excessivement séducteurs, tous les sourires brillants et accueillants. Cependant, Principe restait indifférent à toutes ces invitations indirectes mais combien douces. Il n’avait de pensée que pour la jeune Vérité qui l’avait séduit, non pas par sa beauté, puisqu’elle était la plus moche de la tribu, mais plutôt par ses incalculables qualités et vertus. Par conséquent, Principe avait fait savoir à toute sa famille et à tous ses amis qu’il ne prendrait comme épouse que cette fille malgré tous les défauts physiques dont elle souffrait. Tout le monde avait beau essayé de le dissuader de ce projet insensé en soulignant les innombrables inadéquations de ce mariage, mais c’était peine perdue.
Intérêt, par contre, était très petit et trapu. Une superposition de volumes, avec une énorme tête ronde de la taille d’une jarre, des bras vigoureux et poilus qui ne servaient à rien ; car ce bout d’homme incarnait la fainéantise. Il avait le regard vif et perçant ; on dirait un fauve fixant sa proie et prêt à bondir sur elle. Pour parvenir à ses fins, Intérêt usait de toutes les ruses et les astuces inimaginables.
Pourtant, beaucoup d’habitants de la tribu se trompaient sur son compte et avaient de la compassion pour lui. Menant une vie insouciante, ce paresseux avait l’art de laisser aux autres la peine et le devoir de l’entretenir et de l’engraisser.
Bien que ses parents soient très pauvres, il n’avait jamais pensé leur venir en aide. La seule question qu’il se posait chaque matin en se réveillant était : « Comment procéder pour tirer profit de telle ou telle situation ? »
Ayant appris que Médisance passait par une phase très déprimante, il vint la voir en simulant le consolateur. Cette dernière l’informa de l’union de Principe avec Vérité. Intérêt promit alors de mettre à la disposition de la malheureuse toute son expérience afin de ridiculiser les deux futurs mariés.
Un jour, Dame Jalousie, une femme restée célibataire rien que pour attiser les colères et aiguiser les haines entre les habitants, vint rappeler à Médisance le bonheur qui attendait Principe et Vérité. Intérêt qui rodait dans les parages en quête d’une brebis galeuse prête à être tondue, entendit leurs propos. Il analysa la situation et en déduisit qu’il fallait intervenir rapidement et énergiquement. Aussi vint-il voir Médisance et insista encore une fois sur la nécessité d’agir en commun pour compliquer la vie au couple en question. Il se lança dans une démonstration obscure et très compliquée pour aboutir à ce résultat simple et très clair. Il fallait qu’elle le prenne pour époux si elle voulait anéantir le projet de ses ennemis. Jalousie bénit cette proposition tout en lui démontrant à son tour que cette démarche était le moyen le plus efficace pour faire voler aux éclats les espoirs de Vérité et de Principe. Elle insista sur cette stratégie en faisant miroiter l’image du jeune rompant son union avec Vérité et se rendant sans peine vers celle qui l’aimait et qui ne cessait de penser à lui.
Une semaine après, Intérêt fut reconnu comme futur gendre de M. Succès malgré une opposition farouche mais passagère de celui-ci.
En entrant de plein pied dans la vie conjugale, les deux couples entrèrent en même temps dans une guerre sans merci. Autant Vérité et Principe essayaient d’éviter les problèmes, autant Médisance et Intérêt leur en créaient davantage. Depuis cette date là, tout ce que rapportait Vérité était outrageusement déformé par Médisance.
Ainsi, selon cette dernière, J. Christ s’était suicidé et ne fut pas crucifié comme le prétendait son ennemie. Socrate mourut à la suite d’une overdose de drogue, la pénicilline fut découverte par un afghan, Hitler fut le plus grand bienfaiteur de l’humanité, ce n’était que le sosie de Lady Diana qui mourut en France, la vraie princesse vivait toujours en Argentine, Clinton eut deux enfants avec Monica, Cecilia découvrit, en flagrant délit, Sarkozy et Royal dans un petit hôtel des environs de Paris…
Il arrivait parfois que cette guerre devienne rageuse pour un sujet ou une situation futiles. Tel, par exemple, ce petit inspecteur de l’enseignement qui vivait paisiblement, travaillant selon ses modestes capacités et appliquant consciencieusement les notes, les circulaires et les directives de ses supérieurs sans jamais se poser de questions jusqu’au jour où il se trouva involontairement projeté au devant de la scène, à la merci des deux protagonistes qui se le renvoyaient mutuellement comme un ballon de volley ball. L’histoire de ce fragile petit cadre du Ministère de l’Enseignement prit une telle ampleur qu’elle devint un sujet incontournable qui meublait les conversations aussi bien dans les administrations, pour fuir la routine de la paperasse, que dans les cafés quand il n’y avait pas de match de foot ball ou de film hindou truffé de sentiments et de chansons.
Ayant fourbi leurs armes, les deux belligérants prirent leurs positions sur tous les points stratégiques et déployèrent leurs artilleries lourdes : Médisance lançant des assauts successifs dans le but d’effacer Vérité de la surface de la terre, et celle-ci se défendant tant bien que mal pour sauver tous les gens qui avaient des principes. Cette situation dura des siècles et des siècles et fut rapportée par des générations et des générations
Avec le temps, l’histoire du petit inspecteur méconnu prit alors la forme d’un conte que racontaient les grands-mères aux petits enfants pour les endormir. »
( A suivre)




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