La défaite de l'amour

Date 30-08-2013 00:00:00 | Catégorie : Nouvelles


La défaite de l’amour

I- Il l’avait vue grandir. Elle avait presque dix neuf ans. Il en avait vingt six. Chaque soir, en ramenant son troupeau de chèvres à la maison, il la croisait sur son chemin. Elle revenait chez elle avec son lourd fardeau de bois sec sur la tête. Il la saluait. Elle lui rendait son salut en souriant.
Ce soir là, en se retournant pour la voir s’éloigner, il remarqua les longues tresses de ses cheveux qui se balançaient de droite à gauche, mais ce qui retint le plus son regard, c’étaient surtout ses hanches qui telle une balançoire montaient et descendaient au rythme des pas. Il sentit un frisson qui l’envahissait. Il continua son chemin tout en pensant à cette ravissante jeune fille et en se faisant des reproches : Comment n’avait-il pas remarqué cette beauté depuis longtemps ? Comment n’avait-il pas essayé de la courtiser pour sonder sa réaction et pour se rapprocher peut-être davantage d’elle ? Et si elle pensait à un autre garçon ? Il chassa de sa tête cette idée qui lui paraissait insensée. Comment pourrait-elle songer à un autre tout en lui envoyant des signes très encourageants chaque fois qu’ils se croisaient ? « Pourquoi se met-elle sur mon chemin chaque soir ? Sa démarche n’est-elle pas préméditée et savamment chronométrée ? Pourquoi me rend-elle mon salut tout en souriant ? Non, elle doit bien penser à moi ». Il héla quelques chèvres qui trainaient au bord du sentier et entra précipitamment chez lui.
Cette nuit là, il décida d’agir. Avant de dormir, il apprit par cœur une bonne dizaine de phrases susceptibles de l’aider dans sa mission. Mais il se rendit compte que la parole à elle seule n’était jamais suffisante. Les gestes, les poses, le regard, le sourire… jouent eux aussi des rôles primordiaux dans le domaine de la séduction. Il opta pour certaines attitudes qu’il jugea prometteuses. Le seul point qui le dérangea était le regard. Lors de leur prochaine rencontre, devrait-il fixer les yeux de la jeune fille, sa bouche, ses seins ou sa taille ? N’ayant pu arrêter son choix, il décida de laisser son regard agir librement selon les situations et les répliques de la jeune fille.

II- Elle l’avait connu depuis sa tendre enfance. Il était un peu plus âgé qu’elle. Chaque soir, au moment où elle rentrait chez elle avec sa lourde charge de bois sec, elle le croisait sur sa voie. Il ramenait son troupeau de chèvres à la maison. Elle répondait toujours à son salut en souriant.
Ce soir là, en se retournant pour le voir s’éloigner derrière ses bêtes, elle distingua ses bras bien musclés ; mais ce qui retint le plus son attention, c’étaient surtout ses fesses bien serrées dans un pantalon très usé. Elle sentit une sorte de fièvre qui l’envahissait. Elle continua son chemin tout en pensant à ce jeune garçon et en se faisant des reproches. Comment n’avait-elle pas remarqué cet athlète depuis longtemps. Comment n’avait-elle pas essayé d’attirer plus son attention pour pouvoir le charmer et sonder sa réaction? Et s’il pensait à une autre fille ? Elle chassa de son esprit cette idée saugrenue, voire ridicule. Comment pouvait-il désirer une autre, alors qu’il lui envoyait des signaux très encourageants chaque fois qu’ils se croisaient ? « Pourquoi se met-il alors chaque soir sur mon chemin ? Cette supposée coïncidence n’est-elle pas préméditée et minutieusement préparée ? Pourquoi me salue-t-il à chaque rencontre ? Non, il doit bien penser à moi ». Elle pressa le pas et entra précipitamment chez elle.
Cette nuit là, elle prit la décision d’agir lors de leur prochaine rencontre. Avant de s’endormir, elle apprit par cœur une bonne vingtaine de phrases susceptibles de l’aider dans sa tâche, mais elle se rendit compte que la parole à elle toute seule n’était jamais suffisante dans des situations pareilles. Les gestes, la posture, le regard, le sourire… jouent eux aussi des rôles décisifs dans le domaine de la séduction. Elle opta donc pour certaines attitudes qu’elle jugea efficaces. Le seul point qui la dérangea le plus était le regard. Devrait-elle fixer les yeux du jeune garçon, sa bouche, sa poitrine ou sa taille au moment où ils seraient face à face. Incapable de prendre une décision, elle délégua à son regard tous les pouvoirs d’agir selon les situations et les répliques qui se présentaient.
III- « – C’est lourd ce que tu transportes là ; veux-tu que je t’aide un peu ? »
Un préambule parmi tant d’autres auxquelles il avait pensé la veille. Il préféra cette phrase parce qu’elle avait l’air neutre, inoffensif, incolore, inodore et sans saveur. C’était la façon la plus adéquate pour engager une conversation banale mais qui pourrait devenir intéressante. Son regard se posa inconsciemment sur les beaux yeux de son interlocutrice. Ceux-ci étaient pétillants et pleins de charme. De grands yeux noirs qui incitaient à franchir le pas, pour aller plus loin, à la découverte du beau, du merveilleux, le sublime dans les fins fonds de l’âme.
- « Non merci ; tu es bien gentil. Mais par contre, peux-tu bien m’aider à déposer cette maudite charge par terre pour pouvoir me reposer un peu ? »
La veille elle avait songé à ce prétexte qui allait certainement faire durer leur première entrevue. Elle avait retenu ce petit service parmi tant d’autres parce qu’elle était sûre que le jeune homme ne refuserait pas, étant donné qu’il s’agissait d’un coup de main qui avait l’air neutre, inoffensif…
En saisissant la corde qui entourait l’amas de bois sec afin de déposer la charge par terre, l’épaule gauche du jeune garçon effleura le sein droit de la fille. Ils sursautèrent tous les deux comme s’ils avaient été électrocutés et rougirent sous l’effet de la confusion. Consciente de la sensation qui s’est glissée en elle sans y prendre garde, elle laissa échapper un bref « ouille ! » avant d’éclater de rire. Ils commencèrent à parler de tout et de rien. Ils évoquèrent ensuite certaines périodes de leurs enfances. Elle avait fait ses études secondaires à Chemmaïa (le village le plus proche de sa tribu). Elle était interne. Elle parla de ses anciennes copines de classe, de leurs tics, de leurs mensonges, de leurs malices. Elle lui raconta comment certaines d’entre elles avaient fait monter des stratagèmes solidement et soigneusement préparés pour pouvoir quitter furtivement leur dortoir la nuit et aller rejoindre leurs petits copains près de l’unique jardin public mal éclairé du village. Elle lui expliqua enfin comment elle avait abandonné sa scolarisation : Son père avait jugé qu’elle avait atteint l’âge où elle devait rejoindre son domicile et attendre docilement l’arrivée d’un mari. Toute la tribu Ouled M’rah avait salué cette sage décision.
Pour meubler son temps, elle aidait sa maman à faire le ménage, lisait un peu quelques vieux livres qu’elle avait achetés avant de quitter définitivement son lycée, et l’après-midi, elle sortait pour aller chercher près de la source tarie, quelques morceaux de bois secs, indispensables pour cuisiner. Les habitants de sa tribu la surnommaient « l’intellectuelle », car elle était l’une des rares filles qui savaient lire et écrire. Son père qui travaillait comme meunier à Sidi Tijji, ne rejoignait le douar que tard dans la nuit.
L e jeune interlocuteur ne saisissait que quelques bribes de la conversation. Toute son attention était accaparée par les lèvres fines de la ravissante fille. Il admirait cette petite bouche qui laissait paraître, de temps en temps, des dents éclatantes et bien alignées. Il aurait aimé effleuré ces lèvres, les toucher, les presser contre sa bouche, mais il retint son ardeur en laissant échapper un long soupir.
La chemise qu’il portait ce jour là, et à laquelle manquaient trois boutons, laissait entrevoir une poitrine large et légèrement parsemée de poils noirs. Depuis le début de la conversation, la fille n’avait pas quitté des yeux cette partie du corps qui s’exhibait ostensiblement. Elle aurait aimé caresser cette poitrine solide et très musclée, mais elle étouffa sa flamme en lui demandant :
- « Et toi, pourquoi es-tu revenu dans ta tribu ? »
Elle souhaita qu’il lui réponde : « Je suis revenu pour toi. Tu sais très bien que je ne peux pas vivre ailleurs sans que tu sois à mes côtés ».
Le jeune homme resta un moment silencieux. Il aurait voulu lui répondre : « Je suis revenu pour toi. Tu sais très bien que je ne peux pas vivre ailleurs sans que tu sois à mes côtés ». Mais il écarta cette réponse et lui relata à son tour toutes les petites farces que la vie n’avait cessé de lui jouer. Il avait fait ses études secondaires à Youssoufia. Comme elle, il était interne. Le lycée s’appelait Kachkat. Après avoir décroché son baccalauréat (série sciences expérimentales), il avait rejoint la faculté Abou Chouaib Ed Doukkali à El jadida. Il lui décrivit toutes les souffrances et les problèmes qu’il avait connus au cours de ses études supérieures. Toutes les disciplines étaient dispensées en français. Il lui expliqua comment l’enseignement, dans son pays, était en chute libre depuis le jour où certains soi-disant nationaux étaient au pouvoir et qu’ils avaient pris la malencontreuse décision d’arabiser toutes les matières scientifiques; alors que dans l’enseignement supérieur on continuait de les prodiguer en français. Depuis cette époque le système éducatif du pays était moribond. Les étudiants ne savaient plus à quel saint se vouer. Un profond gouffre séparait les lycées des universités. Les responsables tentèrent de colmater les brèches mais sans succès. On avait beau essayé de mettre à la tête du ministère de tutelle des médecins, des ingénieurs, des technocrates de toutes sortes pour pouvoir sortir l’enseignement du coma, mais sans résultat. Ayant pris conscience de leur cuisant échec et sachant que le cancer était en train de ronger toutes les parties du système, les auteurs de cette catastrophe commencèrent à envoyer leurs progénitures dans des instituts privés afin qu’ils poursuivent leur scolarisation dans des conditions plus que normales vues que toutes les disciplines continuaient à y être enseignées en français. Plus tard, les lauréats de ces instituts partaient en France, en Belgique, en Suisse ou au Canada pour poursuivre leurs études supérieures avant de rejoindre la patrie où les meilleurs postes les attendaient. Ceux qui restaient au pays, devenaient comme des pestiférés, des persona non grata. Partout où ils allaient, on les congédiait brutalement.
« Moi aussi, quand j’ai eu ma licence en économie, j’ai commencé à chercher un travail ; mais partout où j’allais, on me demandait de déposer une demande avec mon CV, et d’attendre. J’ai galéré pendant des années et en désespoir de cause, j’ai décidé de rejoindre ma tribu. Mais comme je ne sais rien faire, mon père qui était très déçu, m’a confié ce troupeau pour le surveiller. Toute la tribu Ouled Barka voit en moi le grand perdant, l’échoué. D’ailleurs depuis mon retour, on me surnomme le « raté ». Alors pour tuer le temps, je surveille ces bêtes, tout en bouquinant un peu ». Et d’un ton déterminé, il ajouta : « J'ai l’intention de me marier et de monter un petit commerce comme mon père. »
Cette dernière phrase fit sursauter l’intellectuelle. Le mot magique venait d’être prononcé : Le raté comptait se marier. Il fallait donc que son interlocuteur développe davantage cette idée de mariage. Devait-elle prendre le devant et lui demander s’il avait déjà trouvé sa deuxième moitié. Elle avait peur d’être déçue par sa réponse. Elle souhaita qu’il fasse le moindre signe d’amour pour qu’elle saute sur cette occasion et lui révèle à son tour ses vrais sentiments. Dégageant de ses doigts très fins quelques mèches qui lui tombaient sur le font, elle resta cependant muette tout en contemplant les beaux yeux du jeune garçon. Celui-ci était un peu embarrassé par sa dernière phrase, car elle n’avait pas aboutit au résultat escompté. Il aurait aimé que l’intellectuelle lui demande s’il avait déjà trouvé la jeune fille qui partagerait sa vie, pour sauter sur l’occasion et lui déclarer son amour.
Le soleil allait se coucher derrière les collines arides. A contre cœur, la jeune fille mit fin à la rencontre en disant :
« Il se fait tard. Il faut que je rentre à la maison ».

(à suivre)




Cet article provient de L'ORée des Rêves votre site pour lire écrire publier poèmes nouvelles en ligne
http://www.loree-des-reves.com

L'url pour cet article est :
http://www.loree-des-reves.com/modules/xnews/article.php?storyid=2749