La défaite de l'amour (suite et fin)

Date 31-08-2013 00:00:00 | Catégorie : Nouvelles


la défaite de l'amour

Au moment où il l’aidait à remettre son fardeau sur la tête, il frôla à nouveau ses seins proéminents. Il avança son visage tout près de celui de la jeune fille et fixa tendrement du regard les lèvres tremblotantes de celle-ci. Elle sentit sa respiration rapide et saccadée et crut qu’il allait enfin l’embrasser. Le raté fit deux pas en arrière et resta debout ne sachant plus quoi faire.
Avant de partir, elle déclara : « j’espère que tu seras ici demain pour continuer notre conversation ».
En réalité, elle ne l’espérait pas, elle le souhaitait de tout son cœur. Elle avait le pressentiment que la rencontre suivante allait lui apporter plus de bonheur.
L’intuition du raté lui cria : « Fonce jeune homme, demain sera le jour de ton bonheur ». Il répondit sans hésiter : « Bien sûr que j’y serai ».
Pour la première fois, il lui serra la main.
En rentrant chez lui, le jeune homme parla à son père de son projet. Celui-ci réagit favorablement et promit à son fils de l’aider : il vendrait une dizaine de chèvres et lui ouvrirait une petite épicerie à Chemmaia, au centre du village. Le fils sauta de joie, mais il ne put évoquer le deuxième volet de son projet, à savoir le mariage. « Il ne faut pas précipiter les choses !». Il se rappela les délicieux moments passés avec la jeune fille et décida d’être plus hardi au cours de leur prochain rendez-vous. Il fallait à tout prix toucher ou caresser une partie de son corps. Ecarter, par exemple, un cheveu qui trainait sur la joue de la fille, enlever une brindille imaginaire qui trainait sur ses seins…
Une fois chez elle, l’intellectuelle continua à penser aux doux moments passés en compagnie du raté et résolut d’être plus entreprenante au cours de leur rencontre suivante. Elle décida de l’encourager en lui exhibant certaines parties excitantes de son corps. Mettre, par exemple, une longue robe fendue haut qui laisserait paraitre ses belles cuisses. Trouver un prétexte quelconque pour défaire devant ses yeux ses longs cheveux noirs…

IV- Le jour suivant, en aidant l’intellectuelle à déposer sa charge par terre, il fut plus audacieux ; puisqu’il écrasa expressément sa large poitrine contre les deux seins de la jeune fille, déclenchant ainsi une franche et douce intimité. L’intellectuelle se laissa faire tout en faisant semblant de perdre l’équilibre. Le jeune homme la saisit par la taille. « Fais attention, tu vas tomber ! ». Il voulut retenir longtemps cette taille mince et frêle afin de savourer le maximum de plaisir. Il retira cependant ses mains toutes tremblantes et l’invita à s’asseoir au pied d’un rocher pour se protéger du vent chaud qui soufflait très fort ce jour là. Elle s’exécuta avec regret. En effet, au moment où il la tenait par la taille, elle eut un léger vertige et faillit vraiment vaciller. Elle s’attendait à ce qu’il écrasât son corps contre le sien. Elle se serait abandonnée entièrement à lui. Il s’assit à côté d’elle sur une large pierre plate et commença à lui parler de l’accord conclu avec son père la veille. Une jambe blanche et lisse qui se dégageait de la coupure de la longue robe noire s’approchait subrepticement du genou droit du jeune homme. La fille voulut savoir plus sur la réaction de son père au sujet du mariage. C’était le seul point qui l’intéressait davantage. En lui posant sa question, elle colla son épaule contre le sien, quant à la jambe, elle sauta ouvertement sur la cuisse musclée du jeune homme. « Aie ! J’ai senti un insecte qui me chatouillais ». Le raté saisit la jambe égarée et commença à faire semblant de chercher la bénéfique bestiole tout en caressant de ses longs doigts cette partie de ce corps tant désirée. « Regarde, elle est peut être un peu plus haut ». Elle lui tourna le dos, s’allongea sur son côté droit, souleva légèrement sa robe et lui découvrit ses ravissantes cuisses. Tremblant de joie et de désir, le jeune homme, tel un médecin cherchant le mal, poursuivit ses palpations. Il découvrit un minuscule bouton rouge sur l’une des deux cuisses. La jeune fille fit semblant d’être effrayée. C’était peut être une morsure. Afin d’annihiler toute enflure qui pourrait s’avérer désagréable, elle supplia son compagnon de sucer ce bouton. Ce dernier lui conseilla de se méfier de ces vilaines bestioles et il colla aussitôt ses lèvres chaudes sur l’une des cuisses. L’intellectuelle frissonna lorsqu’elle sentit la langue de ce dernier lui glisser délicatement, comme une limace, sur cette partie sensible de son corps. Elle éclata d’un rire embarrassé mais encourageant; et, au lieu de le repousser, elle écarta légèrement ses belles jambes afin que son guérisseur lui prodigue les soins nécessaires et dans les meilleures conditions.
Une sensation de vertige.
C’était comme si le sol se dérobait sous son corps. Elle ferma les yeux comme si le fait de ne rien voir allait décupler ses sensations.
«Si quelqu’un nous surprend dans cette position, que va-t-il raconter à nos deux tribus ennemies ?», lui demanda-t-elle, en écartant un peu plus les jambes et en se tortillant de plaisir.
En effet, sur des collines désertiques, balayées le long de l’année par des vents violents et chauds, à une dizaine de kilomètres au sud-est de Sidi Tiji et à des années lumières de toute sorte de civilisation, vivaient Ouled Barka et Ouled M’rah. Deux tribus dont la seule et unique ressource était l’élevage des chèvres. Deux tribus qui étaient constamment en guerre à cause des rares et maigres pâturages. Le seul no man’s land où pouvaient évoluer les deux clans sans entrer en conflit était la source d’eau qui servait à désaltérer les bêtes et quelques pistes rocailleuses que les habitants empruntaient comme voies de communication. L’intellectuelle et le jeune homme appartenaient chacun à une de ces tribus.
Le raté releva la tête à son grand déplaisir et lui déclara tendrement : « Il leur dira qu’un garçon et une fille issus de deux tribus ennemies s’aiment follement et qu’ils comptent réconcilier ces deux belligérants par leur amour ». En entendant cette phrase, la jeune fille se mit rapidement sur son côté gauche. Elle était souriante. Ses grands yeux luisaient de joie et de désir.
« Répète ce que tu viens de dire. Est-ce vrai que tu m’aimes ? ». Elle voulait s’assurer que ce qu’elle était en train de vivre n’était pas un rêve.
En guise de réponse, elle reçut un long et langoureux baiser sur les lèvres. Elle se colla contre lui en offrant volontairement sa poitrine pour qu’il puisse, enfin, caresser ses seins. Elle défit ses longs cheveux noirs qui se répandirent comme un éventail autour de son visage rayonnant. Toutes les guéguerres, toutes les querelles qui opposaient leurs tribus s’anéantirent. Seul leur amour dominait la région entière. Soulagés, ils se quittèrent et prirent rendez-vous pour le jour suivant.

V - Ils se rencontrèrent quotidiennement à la même place. Ils avaient aménagé ce qu’ils appelaient leur petit nid en l’entourant de quelques grosses pierres et en y mettant de l’herbe sèche afin qu’ils puissent s’y aimer confortablement. Chaque soir, allongés l’un à côté de l’autre, ils pensaient à leur amour qui paraissait impossible vus les problèmes qui opposaient leurs deux tribus. Ce serait vraiment un miracle si les clans bénissaient leur relation. Les plus récalcitrants étaient les chefs religieux des deux tribus. Que d’armistices étaient sur le point d’être signées, mais elles furent avortées à cause de ces deux barbus fanatiques. Leur devise « œil pour œil et dent pour dent » demeurait scrupuleusement respectée par les habitants des deux tribus. La fille le rassura qu’elle était prête à fuir sa famille pour le rejoindre où qu’il soit, si jamais par hasard les deux groupes ennemis tentaient de mettre fin à leur amour. Il lui promit à son tour qu’il l’aiderait à s’évader : il louerait une chambre au village où ils vivraient librement. En l’entendant parler ainsi, elle mit ses deux bras autour du cou du jeune homme et apposa un chaleureux baiser sur sa large poitrine.
Un jour, il lui parla de son projet qui allait bientôt se réaliser. Son père l’informa qu’il comptait vendre quelques chèvres la semaine suivante au marché hebdomadaire Khmis Zima, qui se tenait tout près du village Chemmaia, afin qu’il puisse lui dénicher une épicerie comme il lui avait promis. L’intellectuelle était aux anges. Elle se voyait déjà vivre heureuse le reste de son âge à côté de son bien aimé. Toutefois, elle lui demanda s’il avait parlé à son père de leur mariage. Il lui répondit qu’il ne voulait pas précipiter les choses et qu’il serait plus raisonnable d’assurer d’abord la boutique avant de décider autre chose. La jeune fille trouva cette réponse très sensée. Les caresses magiques qui inondèrent le torse nu du jeune homme le mirent en flammes. Ils s’enlacèrent vigoureusement et comblèrent mutuellement leurs désirs ardents.

VI- Le père finit par trouver une large boutique tout prés d’un collège et commença à l’équiper. Son fils continua à voir chaque jour sa bien aimée.
Un jour, une vieille femme, de la tribu Ouled M’rah, qui cherchait une bête égarée, découvrit le jeune couple dans une posture idyllique. Insoucieux, les deux amoureux voguaient dans les espaces infinis de leur amour. Leurs corps se tortillaient sous l’effet d’un amour ardent et maladroit. Ils étaient si enivrés par le bonheur qu’ils n’avaient pas vu la curieuse femme s’approcher pour contempler à sa guise ce tableau exquis qui lui rappelait les rares moments heureux de sa jeunesse. Souriante et étonnée à la fois, elle reconnut les deux partenaires avant de s’en aller, silencieuse, mais toute émue, à la recherche de sa maudite bête.
Essoufflés par leurs mouvements frénétiques, les corps un peu humides sous l’effet des étreintes énergiques, la jeune fille et son bienaimé restèrent immobiles pendant un certain temps. Ils respirèrent longuement en silence avant de reprendre la conversation au sujet de leurs projets. Le jeune homme promit qu’il parlerait bientôt à son père de son mariage. L’intellectuelle pria le bon Dieu pour qu’il leur vienne en aide. Elle sortit un petit mouchoir de soie et essuya le visage du raté. Elle s’assit ensuite, étala ce bout de tissu sur ses cuisses, le lissa de ses deux mains avant de l’enfouir sous sa robe, entre ses deux seins.

VII- Le médecin légiste de l’hôpital provincial de la ville de Safi fit l’autopsie des deux corps défigurés. Les victimes, un jeune homme et une ravissante fille découverts morts dans les environs de Sidi Tijji, avaient les gorges tranchées. La jeune fille était enceinte de deux mois.
Deux ambulances ramenèrent séparément les corps à leurs tribus respectives pour y être enterrés. Les habitants de chaque clan commencèrent à crier vengeance. Pour les M’rahi, il s’agissait sans nul doute d’un viol ignoble. Le bourreau avait attaqué la défunte parce qu’elle était le modèle même de la pureté, la beauté et la gentillesse. Par contre, tous les jeunes de la tribu Ouled Barka n’étaient, à leurs yeux, que des psychopathes, des pervers, des névrosés ; et le raté, comme son nom l’indiquait, personnifiait l’exemple même de la dépravation. C’était donc un acte délibéré. Les Berkaoui visaient la jeune fille parce qu’ils n’avaient pas parmi toute leur gente féminine une intellectuelle de son envergure.
Du jour au lendemain, des scénarios sur ce soi disant viol abject furent montés de toute pièce : On répandit parmi les habitants celui qui paraissait le plus vraisemblable. Le raté s’était caché derrière un rocher. Quand la fille s’était approchée, il lui sauta dessus, la retint par les cheveux et l’obligea, sous les menaces d’une arme blanche, à coucher avec lui.
La tribu Ouled Barka, par contre, mettait en exergue la virilité de leurs jeunes garçons, chaque fois qu’ils évoquaient ce triste événement. Comme toutes les filles du clan adverse étaient vicieuses, l’intellectuelle était venue sans nul doute harceler l’innocent jeune défunt pour le dévier du droit chemin.
Personne ne chercha à savoir qui les avait tués tous les deux. Personne ne parla du fœtus découvert dans le ventre de la jeune fille.

VIII- Deux hommes âgés, barbus, aux esprits obtus, voyaient les choses autrement. L’un appartenait à la tribu Ouled M’rah, l’autre à la tribu Ouled Barka. Tous deux étaient des imams de mosquées. Des chefs religieux. Des Ayatollah qui nourrissaient cette haine absurde entre les deux clans. Tous deux étaient unanimes : ces deux fils de Satan n’eurent que ce qu’ils méritaient. Les deux morts avaient fréquenté des écoles chrétiennes, ils étaient automatiquement imprégnés de culture juive et dans ce cas là, le djihad s’imposait. « Même s’ils avaient été attrapés vivants, ils auraient été lapidés », répétaient-ils au cours des prêches des vendredis. Ils conseillèrent la foule d’être vigilante et de se méfier des communistes et des terroristes du genre des deux jeunes qui venaient, grâce à Dieu, d’être supprimés.
Et l’amour essuya une nouvelle défaite face à la haine et à l’intolérance.

M.LAABALI




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