L'impuissant

Date 04-09-2013 15:39:52 | Catégorie : Nouvelles




L’impuissant


I - A cette époque là, dans la plupart des régions du sud du Maroc, les mariages se célébraient selon un rite immuable. La fête commençait chez la mariée le jour et se poursuivait, la nuit, chez le futur conjoint. Ce dernier ne connaissait généralement pas la compagne qui lui était destinée. Quelqu’une la choisissait pour lui.
Les femmes se rencontraient souvent au hammam - le bain maure -. Elles y passaient de longues heures à discuter, à demander des renseignements sur telle ou telle voyante spécialiste dans la révélation des causes du mauvais œil, sur les guérisseurs de certaines maladies, sur les marabouts qui pourraient les aider à surmonter leurs malheurs, sur la fille ainée de telle ou telle famille, à demander s’il y a une fille disponible pour son fils ou s’il y a un garçon pour la fille d’une voisine. Elles parlaient de ces sujets tout en dégustant un repas. On n’allait pas au hammam sans provisions(ou victuailles). On prenait ses précautions. Les pourparlers et les compromis risquaient de prendre beaucoup de temps
Celles qui étaient à la recherche d’une fille à marier insistaient sur des points bien précis : La procréation, l’art de faire la cuisine, la traite des vaches, la lessive, le tissage de la laine…
Bref, on délaissait volontairement tout ce qui n’était ni observable, ni mesurable.
Hormis la réussite du travail, rien n’était pris en considération.
Le hammam, un marché de l’amour où les produits à se procurer étaient rarement exposés
La demande en mariage n’exigeait aucun document écrit. Quelques témoins, présidés généralement par le fkih- le maître de l’école coranique-, suffisaient à bénir l’union et à la rendre légitime.
La future mariée, quant à elle, n’avait aucun avis à donner sur le destin qu’on lui réservait, et combien même sa maman lui parlait de son mari, elle n’avait en aucune manière le droit de le refuser. Elle devait être adaptable à tous les mâles qu’on lui proposait : veuf, célibataire, vieux, jeune, blanc, noir…


II - Ce soir là, la jeune Salka qui remplissait ces conditions, allait rejoindre son domicile conjugal. Et cette nuit même, elle allait accomplir son premier acte sexuel avec un homme qu’elle ne connaissait pas et qu’elle n’avait jamais vu auparavant
On ignorait son âge vrai. Les livrets d’état civil n’étaient pas en nombre suffisant pour couvrir tout le territoire national. Dans le domaine des âges, on se contentait d’approximations. D’après sa physionomie, Salka avait à peu près, une vingtaine d’années. Elle était née l’année où tout le bétail de la tribu fut décimé par la sècheresse.

Tôt le matin, on avait fait chauffer deux sceaux d’eau pour le bain de la future mariée. On lui couvrit les mains et les pieds de henné avant de les envelopper dans des bouts de tissu blanc. La tatoueuse lui dessina un joli triangle entre les sourcils et un autre sur le menton, sous la lèvre inférieure.
Le soir, dans une chambre obscure, deux vieilles femmes tenaient des bougies afin que les coiffeuses et les habilleuses effectuent leur travail dans de bonnes conditions. On avait posé le bas d’un âne au beau milieu de la chambre. Salka était assise sur ce pseudo fauteuil inconfortable et déséquilibré. Elle pleurait à chaudes larmes. Elle n’avait rien mangé tellement elle craignait terriblement cette aventure. Les coiffeuses lui enduisaient les cheveux d’un onguent à base de fleurs de roses et de dents de girofle. En plus des bienfaits de cette recette, elle était sensée chasser le mauvais œil. De temps en temps, un youyou strident lancé par l’une des nombreuses femmes qui formaient un cercle autour du bas de l’âne, couvrait momentanément les sanglots de la future mariée.
Ainsi fardée, on l’habilla d’un burnous très ample et on lui couvrit le visage à l’aide du capuchon de ce vêtement réservé strictement aux hommes.
Salka était prête pour le départ. Les moyens de transport qui devaient l’expédier vers l’inconnu étaient déjà là : deux chameaux assis, l’un à côté de l’autre, attendaient, en ruminant paisiblement, l’ordre de leur propriétaire. Sur le premier, on avait accroché ostensiblement, en plus de tout le linge de la jeune épouse, une bonne dizaine de sacs, confectionnés à l’aide de peaux de chèvres et qui renfermaient des denrées alimentaires (orge, mais, blé, semoule…). La mariée était tenue de fournir quelque bien à son époux.
Le jeune homme qui avait pris place, à califourchon, sur le second chameau, tint fermement entre ses bras la femme ensachée qu’on lui déposa entre les jambes. C’était lui le vizir. L’unique personne à qui Mekki, le futur époux, avait délégué certains de ses pouvoirs et de ses responsabilités. Nul autre n’avait ce droit.
Au coucher du soleil, un cortège formé de quelques hommes et d’une dizaine de femmes s’ébranla lentement vers une autre tribu. Le père de la mariée n’avait pas droit à ce voyage. Par contre, sa femme ouvrait cette marche nuptiale. Le trajet était long et sinueux. En effet, à quelques kilomètres de l’autre côté de la rivière de Tensift se nichait au sommet de l’une des collines dénudées de toutes végétation, une maisonnette toute délabrée qui devait accueillir Salka. La procession traversa sans problème ce qui restait du cours d’eau : un lit de sable parsemé de gigantesques pierres ocres abandonnées par les flots. Le cortège arriva tard dans la nuit. Comme les campagnes n’étaient pas électrifiées, les mariages se célébraient lors des périodes de pleine lune.
(à suivre)




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