Terrain vague...

Date 05-09-2013 23:50:00 | Catégorie : Nouvelles


Elle avançait à pas criblés de béton, le dos rompu par ce poids sur l'épaule...
Des gouttes de suée faisaient des marques sombres, du rimmel en bousculade à ses joues de cire. Ses yeux perlaient, ou peut-être étaient-ce ces reflets pauvres de lune, jetés dans des flaques obscures de charbon . Elle gardait le regard au sol, des ombres salivant ses pensées...
Le terrain vague semblait recouvert d'une matière gluante, entrainant le décor à s'étouffer, sans même l'espoir d’un cri. Ici et là des tonneaux échoués, des câbles coupés à vif comme autant de veines cisaillées, crachant un sang noirâtre à entraver les pieds.
Elle s'arrêta, haletante. Son dos était douloureux. Elle laissa choir la masse sombre qui fit un bruit mat en heurtant le sol. Elle grimaçât..
Une main à son front, elle chassa quelques mèches nouées d'humeur. D'un geste puéril, elle tenta d'essuyer les tâches qui maculaient sa tunique.
Elle n'était plus très loin...
Elle regarda le ciel.. La pluie ne tarderait pas. Cette eau à récurer la crasse, vidange des trottoirs souillés. Demain, aucune trace n'aurait subsisté. Seule la mémoire garderait l'empreinte... A enfouir sous la carcasse, en point de côtes...
Elle regarda sa montre. 2h12. Tout le monde dormait. Elle aussi aurait dû dormir. Si seulement rien n'était arrivé... Il aurait suffi de peu pourtant. Ne pas ouvrir la porte... Ignorer les provocations... Ranger les couteaux...
Elle observa ses mains à la lueur pâle des réverbères. De la peinture sombre lui couvrait les paumes, jusqu'aux coudes. Elle repensa aux desseins de henné qui dansaient autrefois sur ses poignets. Elle ondulait alors, serpent insouciant d'avenir, en courbes fleuries, persuadée de la pierre toujours chaude à l'accueillir. Elle n'y avait pas vu les arêtes tranchantes, chaque jour à l'entailler un peu plus, des plaies que l'on couve dans l'illusion de les voir enfin se refermer. Pourtant, elle y avait cru. Elle l'aimait tant...
Un bruit derrière elle la fit sursauter, des bonds à ses veines. Par habitude, elle rentra sa tête, redoutant le coup qui allait s'ensuivre, les yeux déjà fermés à contenir la peur. Des frémissements de peau, des grains qui se soulèvent, futile armure de chair, cabane d'osier...
Elle sentit une masse soyeuse se frotter à ses chevilles. Un chat... Elle se baissa, passa sa main à son dos.
"Toi non plus tu ne dors pas..."
Le chat la regardait en se tortillant. Un regard paisible, témoin du monde arrêté. Ses prunelles jaunâtres la fixaient, semblant attendre un geste, une explication, un après...
Elle se laissa glisser dans la boue, prit sa tête entre ses mains et sanglota, en se balançant, pendule détraquée. La pluie se mit à tomber, remplissant de rigoles son cou, ses bras nus, lissant ses cheveux sombres, effaçant la terre, inondant le décor. Le monde pouvait chavirer, l'emporter avec lui, elle se laisserait engloutir, la bouche scellée d'argile.
Le chat s’abrita des gouttes en se faufilant sous la toile. La peau était encore chaude sous ses coussinets. De ses griffes, il effilocha un bout de tissu. Ses yeux se plissèrent quand la main serra son cou…




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