L'impuissant (suite)

Date 06-09-2013 10:20:00 | Catégorie : Nouvelles


L'impuissant (suite)



III - Depuis le jour où sa maman avait trouvé la femme qui devait logiquement lui convenir, Mekki ne pensait qu’au mariage. Aussi, la petite maison qu’il avait construite depuis une dizaine d’années fut-elle repeinte à la chaux.
Bien qu’il ait encore trois mois devant lui, il se mit à songer calmement aux préparatifs que nécessitait la fête, aidé dans cette tâche par son fidèle ami Mahjoub.
Un jour, ils se rendirent, tous les deux, à Sebt Talmest, le souk le plus proche de leur tribu, situé à une vingtaine de kilomètres à l’ouest pour y vendre quelques chèvres, avant de prendre un bus qui les mena à Essaouira.
Une fois en ville, son ami lui choisit une paire de babouches jaunes, un turban long de trois mètres et une djellaba blanche. Un mariage engendre toujours beaucoup de dépenses et des habits tout neufs.
Durant toute la période qui précéda la cérémonie, Mekki était si excité qu’il venait souvent demander conseil à son ami. Ce dernier habitait encore avec ses parents à une centaine de mètres. Les questions que posait Mekki au sujet de la physiologie des femmes montraient clairement qu’il n’avait aucune idée sur le sexe opposé. Mahjoub qui se rendait parfois à Essaouira, chez des filles de joie pour assouvir ses besoins lui répondait vaguement. Mais, au lieu de le rassurer, les réponses de son ami brouillaient encore davantage ses idées.
Il avait l’air inquiet. Il ne dormait pas bien. Des cauchemars troublaient fréquemment son sommeil. Il se voyait traqué et menacé par des femmes monstres. Il rapportait ses rêves désordonnés à son ami. Pour, le réconforter, celui-ci les interprétait d’une manière amusante.


IV- Arriva enfin le jour tant attendu par sa maman. Tous les voisins furent conviés au repas du soir. Le matin, on tua deux chèvres. Mekki prit son bain près d’un puits, mit ses vêtements flambants neufs et se dirigea vers la mosquée où il devait passer toute la journée et une bonne partie de la nuit en compagnie de tous les invités hommes. Il avait l’air blême. Ses nouveaux habits blancs n’avaient fait qu’accentuer son air maladif.
Le soir, l’imam- le fkih- lit quelques versets de Coran. Le thé et les repas furent servis sur place. Mekki était taciturne et n’avait pas d’appétit.


V - Cette nuit là, Mahjoub, un jeune brun de vingt six ans était au four et au moulin. Bien bâti, ce colosse à la carrure très large était chargé de superviser le déroulement des festivités. Il connaissait Mekki depuis longtemps. Ils avaient grandi et travaillé ensemble. Ils s’occupaient tant bien que mal des maigres récoltes que leurs champs daignaient parfois leur offrir, mais souvent, on les engageait comme ouvriers pour construire des clôtures en pierres ou pour arracher les herbes épineuses qui envahissaient perpétuellement les terres. Mahjoub s’occupait des tâches les plus dures. Les deux amis se racontaient leurs secrets, se concertaient avant de prendre une quelconque décision. D’ailleurs, Mahjoub fut le premier informé du mariage de son ami.
Aucun des deux ne connaissait Salka.
Le jour où Mekki devait nommer son vizir, il choisit tout naturellement son ami le plus proche. Mahjoub accepta cet honneur et promit de lui rendre tous les services possibles.
Le soir du mariage, le vizir fit la navette entre la maison et la mosquée une bonne dizaine de fois. Il ne voulait pas prendre de décision individuelle et tenait à ce que tout se déroule dans des conditions parfaites.


VI- Contrairement à la sérénité qui baignait la mosquée, une turbulence joyeuse régnait sur la petite maison. Les femmes se vengeaient de toutes leurs frustrations en tapant frénétiquement sur des instruments de cuisine et en chantant à tue-tête. L’exigüité de la chambre ne permettait pas à plus de deux femmes de danser à la fois. Chaque paire attendait impatiemment son tour au milieu de cette cacophonie coupée de temps en temps par un youyou discordant.
Dehors un groupe d’une dizaine de jeunes avait pris place au pied d’un mur. Eux aussi chantaient et dansaient, tout en sachant qu’ils n’avaient aucune chance de goûter au repas de la nuit. Mais ils espéraient qu’on leur servait au moins un verre de thé. Certains avaient même apporté un morceau de pain dans leurs poches. Le plus âgé des jeunes, un noir qui avait une voix très aigue jouait d’une sorte de guitare confectionnée à l’aide d’un bâton et d’un bidon métallique. D' autres tenaient de petits instruments qu’on distinguait mal dans la lueur timide de la lune. Certains dansaient à pieds nus. En réalité, ils ne dansaient pas mais piétinaient fermement cette terre ingrate, dégageant ainsi une poussière très dense.

(à suivre)




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