Les retrouvailles

Date 09-09-2013 14:40:00 | Catégorie : Nouvelles


LES RETROUVAILLES



I -
Safi le, 03 février 1967

Ma très chère Tity,
Cela fait plus d’un an que tu es partie. Tu m’avais promis de m’écrire une fois arrivée à Marseille. Sinon tu m’écrirais à ton arrivée en Israël. Malheureusement jusqu’à présent je n’ai reçu aucune nouvelle de toi, et ceci m’inquiète beaucoup.
Es-tu bien arrivée. Comment va tante Régine, ta maman? A-t- elle pu supporter le long voyage malgré le mal de genou dont elle souffre? Et ton papa, oncle Ohayon ? A-t- il trouvé un travail dans le kibboutz? Je me demande quelle responsabilité on peut confier à un ex-marchand de céréales comme ton père.
Avant ton départ, tu m’avais dit que vous alliez être logés tout près de la ville d’Akhziv au nord d’Israël. Arrives- tu à t’acclimater dans ce nouveau milieu?
J’aurais aimé vous accompagner jusqu’à l’aéroport de Casablanca, mais tu sais très bien que je n’avais pas les moyens pour payer le prix du voyage. De plus, ton père nous avait confié que ce départ du Maroc était sensé rester secret. Il nous avait promis que vous reviendriez le plus vite possible.
Quelques minutes avant de prendre ta place dans l’autocar qui devait vous amener à Casablanca, tu m’avais pris à l’écart et tu m’as chuchoté : « Écoute, je vais te confier un secret. Je suis enceinte de toi. Si c’est un garçon je vais l’appeler Issac et si c’est une fille elle aura Amira comme prénom » Tu as éclaté en sanglots avant de m’embrasser sur les deux joues et de partir en courant.

Est-ce vrai que tu étais enceinte ? C’est un garçon ou une fille ?
Ici, chez nous, chaque fois que nous évoquons cette séparation, ma mère commence à pleurer, quant à moi, je ne pense qu’à toi, à mon enfant et à mon bac que je vais passer dans quelques mois.
J’espère que j’aurai bientôt de tes nouvelles.
En attendant, fais attention à toi, au bébé et à ta famille.

M’hamed


Depuis six mois, chaque dimanche, il se réveillait vers sept heures du matin, buvait hâtivement un verre de café qu’il préparait lui même sans faire de bruit de peur qu’il réveille sa mère malade et qui gardait une petite chambre située tout près de la porte. La ruelle étroite et mal éclairée qui menait vers la place de Sidi Boudhab était encore déserte.
Ce matin là, à peine sorti, il fut assailli par un cortège de souvenirs.
Assis sur une grosse pierre lisse, le vieux Shimon était toujours là. Habillé en noir, la kippa sur la tête, le septuagénaire lisait silencieusement un livre.
- « Bonjour oncle Shimon »
- « Bonjour mon petit », répondait le vieux sans jamais relever la tête.
Tante Rachel demandait à ses enfants de se dépêcher. Un jeune homme habillé en blanc balayait devant la porte de l’hôtel Sebbah. Des voix de petits garçons jaillissaient de la minuscule école juive qui se trouvait au fond d’un couloir. Au bout de la ruelle, juste à gauche, deux employés de la CTM, (compagnie de transport) empilaient quelques colis. L’autocar quittait l’agence vers Casablanca aux alentours de huit heures quinze du matin.
Tity était là. Elle l’attendait pour partir ensemble au lycée. Elle était de deux ans plus jeune que lui. Quatorze ans. Ils habitaient la même rue. Ils avaient grandi ensemble, joué ensemble, révisé leurs leçons ensemble bien qu’ils ne fréquentent pas la même école. En accédant au secondaire, ils se retrouvèrent tous les deux au Lycée Al Idrissi, mais elle n’était pas dans la même classe que lui. Les juifs et les chrétiens avaient des programmes spéciaux.
Une fois sur la place Sidi Boudhad, ses souvenirs s’estompèrent cédant la place à la triste réalité cinglante.



L’air absent, quelques pêcheurs et marins, qui vivaient par habitude, quittaient le port d’un pas nonchalant. Ils portaient de petits paniers en osier. Ils comptaient revendre dans le petit marché de Trab Sini les quelques poissons qu’ils avaient glanés au prix de grands efforts.
Pour rejoindre le château de mer – une forteresse, vestige de l’occupation portugaise à la ville de Safi-, il longea les boutiques qui se trouvaient à sa gauche.
En accédant en terminale, il avait l’habitude de s’arrêter devant le marchand de journaux pour jeter un coup d’œil sur les gros titres de certains quotidiens. Le propriétaire du petit kiosque, un handicapé toujours cloué sur sa chaise, le laissait faire.
Il poursuivit son chemin, s’arrêta une seconde fois devant la librairie Fourtain Moulot. Des livres, soigneusement rangés dans la vitrine qui donnait directement sur le château de mer. Il se souvenait de la première et la dernière fois où il y avait acheté un roman : Eugénie Grandet de H. de Balzac. Le libraire, M. Amzallag, l’avait encouragé à lire. Mais comme il n’avait pas les moyens de se procurer des romans neufs, il se contentait de ceux qu’il trouvait à la » Joutia » sur la rue R’bat (un marché aux puces), chaque fois qu’il accompagnait Tity chercher du pain chez son oncle Mahé.
Au niveau de la librairie, il traversa la rue, enjamba la ligne ferroviaire qui allait au port et commença à escalader les gros rochers sur lesquels venaient se casser les vagues de l’océan. Il s’assit sur une grosse pierre au pied de la haute muraille du château portugais. Là, il prit quelques feuillets et se mit à écrire. De temps en temps, il relevait la tête pour contempler l’horizon brumeux sillonné par quelques mouettes.
Un bataillon de souvenirs prit d’assaut son esprit, de nouveau, et le cerna de toute part. Il abdiqua devant cette invasion.
Tity l’attendait devant l’agence de transport. Ils empruntaient toujours le boulevard Moulay Youssef, traversaient un vieux cimetière étalé sur une colline, passaient devant le mausolée des sept fils de Ribbi Benzmiro et débouchaient sur la Maison du Combattant : un établissement chargé des affaires des ex-soldats marocains qui avaient fait la guerre aux côtés de leurs homologues français. Le lycée est à une centaine de mètres.

(A suivre)




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