Les souvenirs enfouis.

Date 09-09-2013 17:24:11 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Julien contemplait avec tristesse l'assortiment d'objets hétéroclites qu'il avait amené, dans sa brouette, près du buisson d' hortensias, dans la partie la plus éloignée de sa maison.
Les jambes sciées par l'émotion, il se laissa choir sur la vieille souche du pin qu'il avait dû couper, il y avait trois ans, pour éclaircir un espace qu'il destinait à agrandir son jardin. La résine qui s'était écoulée du bois, comme le sang d'une blessure, était maintenant figée et durcie.
Son regard ne quittait pas les multiples objets entassés sur la brouette. Une fois encore, il se persuada qu'en définitif, il avait bien raison de se débarrasser, une bonne fois pour toutes, de toutes ces choses qui, prises une par une, lui rappelait des souvenirs heureux. Désormais, elles étaient source de peines et de chagrins.
Le trou, qu'il avait creusé la veille au soir, dès qu'il avait pris cette décision, était à ses pieds, béant, près à engloutir et digérer tout un passé qu'il n'était pas sur de pouvoir oublier.
Il sentait, par à-coups, des poussées de rage et de dépit, qui alternaient avec de grandes bouffées de souffrances insupportables.
Sans se lever, il tendit le bras vers la brouette et se saisit du premier objet qui lui tomba sous la main. Il le contempla avec infiniment de tristesse. Son coffret de maquillage...
Il lui avait offert pour le premier noël qu'ils avaient fêté ensemble. Il se souvenait de son air émerveillé d'enfant qui n'avait jamais reçu de cadeau aussi beau. Elle avait été très longue à décider qu'elle avait le droit de s'en servir. Il est vrai que la vie d'enfant terrorisée qu'elle avait connue, jusqu'à ce que Julien l'arrache aux griffes de ses parents bourreaux, ne lui avait pas donné l'occasion de recevoir autre chose que des gifles et des brimades.
Julien se souvenait de tout le plaisir qu'il avait éprouvé en la gâtant autant que son labeur lui permettait de le faire, et même au-delà.
Le coeur lourd, il jeta le coffret au fond du trou et prit un autre objet. Son album photos....tristement, il feuilleta les pages du livre où étaient classé, dans un ordre chronologique, le condensé des quatre années qu'ils avaient passées ensemble.. Une des dernières photos le laissa tétanisé.C'était Josette et lui,côte à côte, souriants au milieu d'une fête qui battait son plein, la kermesse du village, l'an passé. Il n'avait jamais prêté attention, à l'époque, au bras que Michel, son vieux copain d'enfance, avait passer autour du cou de Josette. Quand il avait vu cette photo, après la fête, il s'était même réjouit que son meilleur copain et son grand amour s'entendent si bien et qu'aucun des deux ne cherchait à monopoliser ses préférences.
Une bouffée de rage lui gonfla la poitrine. Il referma brusquement l'album et le lança avec colère au fond du trou. Ne se dominant plus, il se leva d'un bond et, prenant les objets l'un après l'autre, il s'en débarrassa définitivement.
Sa colère retomba soudainement lorsque la robe rouge de Josette se retrouva entre ses mains. De nouveau, l'émotion l'étouffa et il retomba sur la souche, écrasé de chagrin. Il enfouit son visage dans le doux tissu et reconnut le discret parfum qu'il avait eu tant de plaisir à lui offrir.
Julien pleura abondamment et ses larmes furent absorbées par le tissu.
Il eut alors une étrange idée. Il se leva lentement et descendit dans le trou, avec la robe.
Il apporta beaucoup de soins à disposer la robe, bien étalée, au fond de la fosse. Regardant son oeuvre, il la paracheva en arrangeant les plis, les manches, l'encolure, puis il remonta souplement en prenant appui sur ses deux mains, d'un seul saut.
Il sembla qu'il venait de prendre sa décision, une fois pour toutes.
N'apportant plus la moindre importance aux objets qu'il saisissait nerveusement, il s'empressa de tout balancer sur le bas de la robe dont la couleur, au fond du trou, avait perdu sa clarté et sa splendeur.
Il prit alors la pelle, qu'il avait laissée là la veille, et commença, sans hâte, à ensevelir tous ses souvenirs.
Pelletée après pelletée, les objets disparurent. Puis, se fut le tour de la robe dont la forme semblait être gommée au fur et à mesure que la terre s'en emparait.
Lorsqu'il ne resta plus que l'encolure; Julien s'arrêta .
Il contempla alors, pour la dernière fois, le visage cireux aux yeux clos qui semblait encore sourire ...Mais à qui ?
Une dernière pelletée de terre la fit disparaître à jamais.




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