Quel temps fait-il au coin d'un cil?

Date 11-09-2013 00:20:00 | Catégorie : Poèmes


Il est dans le temps des découpes étranges, des heures en pointillé. Des mondes qui s'affrontent de par ce qu'ils contiennent. Des ombres en bas de laine aux veines de survie, des tombes qui s’oublient aux grains cristallisés.

Le premier est ce temps qui grossit, qui pèse comme assis sur un cœur de glaise. Ces heures infirmes, inutiles, aux battements accroupis qui languissent à s'animer. C'est le temps engourdi, le regard à la montre, insouciant des pressions au ventre de comprime.

"Tu me manques…"
Elle est allongée sur son lit, les cheveux s'étalant aux coussins. La main sur sa poitrine, les yeux mi-clos, elle écoute la pluie qui clapote aux carreaux. Dehors, les trottoirs s'entachent des lueurs tremblées des lampadaires bouffis d’encre bavée. Les branches des ormes se chahutent le dos.
La télévision en sourdine diffuse en continu des séries d'abattage, celles qui se suivent sans discernement juste pour peupler de bruit l'écran de nuit.
Ce sont les heures creuses en distille du sang, des crampes dans les jambes aux chemins de pensée, les os qui soupirent. Ces heures qui font bailler la bouche fermée, où l’on oublie qu’on peut encore bouger…
"Passe ce temps qui est supplice".
Dérive de minutes vides, des vagues en flots de peine qu'on pensait éloignées, essorées par des rêves tendus du manque de peau. C'est le temps de l'absence, du non-sens. Ce temps qu'on voudrait fuir pour pouvoir s'éveiller au temps du temps passé.

Elle pense à lui, le corps creusé…
Le téléphone retentit, stridente zébrure de l'air. Soudain, tout s'accélère, le mouvement renait, c'est la fissure de vie retrouvée. Des lueurs de chair, des frissons de sang chaud.
"Allo? oui.... Moi aussi je pense à toi...toi aussi tu me manques...Moi aussi je t'aime, oui..."
Et soudain se rendre compte que le temps est le même, qu'il distribue ses bouts d'heures également. Les mêmes doigts qui comptent, et les mêmes secondes. Des mondes parallèles luttant contre les mêmes ombres. Voilà, le temps ne s'attarde pas qu'à nous. On se sent un peu moins fou...

Et puis la nuit surgit, filoutant dans ses mailles les nippes de l'oubli. Le temps triche à chaque fois, il passe quand on dort, pour ne pas qu’on le voit. Il se faufile comme un malappris, un maraudeur qui plisse les yeux, le visage noirci pour se faire oublier. A peine endormi qu'il s’emballe, claquant sa langue et ses talons sur la vie qui s'enfuit. On se réveille avec des traces dans le cou, des images floutées en balbutiement. Le jour va secouer sa dépouille de chair au-dessus de lit. On a égaré quelques heures...Trop tard pour y penser, le temps ne revient pas sur les heures achevées.

Le réveil a sonné.
Chaque jour, les mêmes gestes, bien ordonnés. Elle repousse la chaleur du lit, avance ses pas, regarde dehors le paysage inchangé, boit un café, trop chaud, en écoutant d’une oreille distraite les nouvelles du jour, trop tôt. La douche qu’elle voudrait prolonger, se vêtir, se maquiller, prendre ses clefs et puis sortir, déjà happée par le courant.
Le temps alors s’active, comme un coucou remonté, surgit, les aiguilles à piquer les heures tendres. Il faut avancer. Elle court, et court comme s’il était compté. Elle se surprend à vouloir l’étendre, en allonger les bords, y entasser des bouts de vie. Demain, on fera le tri…

Et le soir, essoufflé, il geint en plombant les yeux, les rouages abusés d’avoir trop donné. Besoin de se relâcher.
Et le temps ralentit… Il séjourne, prend ses aises, les pieds sur les barreaux, décolle les punaises qu’il avait dans le dos. Elle se retrouve, seule, en reflet d’elle-même, les yeux au-dedans, les secondes réfléchies aux secondes pointées…

Elle regarde son courrier, une lettre de lui. De ces lettres que l'on lit les yeux à recouvert, des odeurs à retrouver, des passes de main à courber les mots, au cœur à flot.
S’ouvre le temps affectif, celui que l’on mène, celui qui divague, frivole aux grains d’envie.
Alors on débride le temps, on choisit la saison, le décor, les heures émancipées. En lisant cette lettre, elle se retrouve à ce moment où l’écriture s’est posée. Elle frotte sa main aux signes, des bonds dans le passé.. Elle le voit, la nuque penchée, la main qui tremble en feuille, nervurée, le regard en brouille d’aurore. Ses lèvres murmurent des mots qui fondent dans sa bouche, et coulent sur son cou, caresses déplacées. Ils sont là tous les deux, aux jointures de papier. Ils tirent des lignes de vies, pipent les dés, ouvrent des battants fragiles où leur sang à nouveau s’est noué.
Ce soir le temps est au passé, il a trop à penser. Former les souvenirs, et puis s’y oublier…

Il entre... Elle dort encore. Il se dévêtit, sans bruit et passe sous le drap, prend sa chaleur contre son sein.
Ouverture des paupières, prélude au nouveau jour. Ce moment au goût d’amour à inventer. Et là, dans un coin de sourire, le temps disparait. Il n'existe plus, il n'a plus lieu d'être. Les battements sont à l'intérieur, et rythment l'instant. L’échelle des heures est à leurs pieds, les barreaux brisés.
Où va le temps quand on n’y pense… Se met-il en boule, vexé d’être rebut, à remuer ses chaines en préparant des peines de jour ? Ils y penseront demain..
Aujourd’hui l’un à l’autre, l’autre est l’un, des yeux qui se chevauchent, des mains à mains.
« Tu m’as manqué. Sans toi je ne suis pas »
On prend le temps de rappeler le temps passé, en gouttes de chancelle. L’amour, ça fait trembler les lèvres, le corps en balancelle. Et puis on l’oublie, quand on creuse le lit, les paupières sous la peau et les veines fondues. Les jambes s’entortillent sans se compter, les ventres emmaillotés.
Enfin, le temps n’existe plus…




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