Les retrouvailles ( suite )

Date 13-09-2013 11:00:04 | Catégorie : Nouvelles


les retrouvailles (suite)

Tous les jeunes de la ville parlaient d’un film qu’on projetait au cinéma Roxy. Il voulait bien aller le voir lui aussi, mais il n’avait pas un sou. Sa maman, elle non plus, ne pouvait pas lui venir en aide. Depuis le jour où Régine avait commencé à souffrir sérieusement du mal de ses genoux, elle fit appel à la maman du jeune garçon pour qu’elle l’aide à faire le ménage et à préparer les repas. La petite somme d’argent qu’elle lui remettait couvrait à peine les dépenses quotidiennes.
Tity voulait bien, elle aussi, aller voir ce film, mais elle n’avait que cent centimes, juste le prix d’un seul ticket.
Un dimanche matin, la jeune fille se rappela que la femme de M.Billon pouvait bien leur rendre un petit service en les autorisant à entrer tous les deux au prix de cent centimes. Tity vint donc voir le jeune garçon et l’invita à aller avec elle au cinéma.
« J’ai l’argent pour payer nos deux places ».
Devant la salle de spectacle, elle demanda à son compagnon de l’attendre et partit discuter avec madame Billon. Quelques instants après, l’ouvreuse le héla. Elle les conduisit tous les deux bien au fond du balcon. Il n’y avait pas beaucoup de spectateurs. Tity l’informa:
« Madame Billon n’a pas voulu prendre l’argent. Elle m’a dit que nous étions ses invités ».
« C’est très gentil de sa part! », répondit M’hamed. Il ajouta timidement : « Avec sa superbe poitrine, elle est vraiment très attirante »
Ce compliment naïf mais maladroit fit bouder la jeune fille. Elle resta silencieuse et ne voulait plus répondre à ses questions. Devant l’insistance du jeune garçon sur les causes de sa mauvaise humeur, elle lui répondit, tremblante et tendue de tout son être.
« Tu t’intéresses trop aux femmes et aux jeunes filles. Respecte au moins ma présence ». Et elle se retrancha une seconde fois derrière son silence.
Profitant de l’obscurité du lieu, le jeune homme tenta de la consoler et de lui demander pardon. Il mit sa main gauche sur les épaules de la jeune fille: « Excuse-moi, je ne savais pas que j’allais te faire mal ». Elle se blottit contre lui en posant doucement sa tête sur la poitrine de son compagnon. Elle lui chuchota: « Embrasse moi si tu veux que te pardonne ». Il effleura furtivement son front. ». « Non pas sur le front, mais ici » Et elle lui désigna sa bouche.
Il l’attira à lui et pressa avidement ses lèvres contre les siennes.
C’était la première fois qu’il embrassait une jeune fille. Il avait chaud. Ses oreilles bourdonnaient. Il tremblait.
Le film hindou, en noir et blanc relatait une histoire d’amour entre deux jeunes : une fille et un garçon. Avant de partir faire la guerre, le jeune soldat promit à la fille de l’épouser à son retour. Durant la guerre, la fille ne reçut aucune nouvelle de son fiancé. Mais elle avait pris l’habitude de rédiger, de temps en temps, des lettres d’amour qu’elle comptait remettre à son fiancé quand il reviendrait. Il ne revint pas. A la fin du conflit, elle apprit qu’il était mort. Désespérée, elle se suicida, laissant derrière elle une dizaine de lettres.
En quittant la salle, Tity essuyait ses larmes. Elle était très bouleversée par la fin tragique de l’histoire. Elle trouvait la réaction de l’héroïne du film tout à fait noble. Elle ajouta : « A sa place, moi aussi, je ferais la même chose ».
M’hamed essaya de la raisonner en lui rappelant qu’il ne s’agissait que d’une histoire fictive. Elle ne voulut rien savoir. Elle demanda à son compagnon s’il parviendrait à survivre après la mort de celle qu’il aimait.
« Certainement pas », répondit-il.
« Tu te donneras la mort », conclut-elle.
« La mort, je ne sais pas, mais je deviendrai fou, et la mort viendra toute seule ».
Depuis ce jour là, leur relation prit un autre tournant. D’un air tout à fait naturel, Tity commença à lui dévoiler ses vrais sentiments. Elle n’était pas de celles qui même en éprouvant un irrésistible désir d’amour, simulaient une certaine résignation mêlée d’indifférence et qui pour s’abandonner cherchaient des prières et des promesses truffés de mensonges. Non, elle était spontanée et toujours consentante. Elle se maquillait et se coiffait devant son ami Elle lui demandait même son avis sur sa façon de s’habiller, sur son allure, sur sa silhouette…
Les attouchements les pincements et les agitations d’autrefois cédèrent la place à des câlins, à des caresses. Leurs gestes devinrent nobles et pleins de bienveillance. S’ils se retrouvaient seuls, leurs mains ou leurs lèvres se frôlaient, se touchaient.
Si Tity n’était pas avec lui, M’hamed brûlait de souffrance. Il trouvait le temps long, vide et monotone.
Il se demandait si ce n’était pas là les signes précurseurs de cet illustre sentiment qu’on appelle l’amour.

Ce matin là, il se leva tôt comme d’habitude, prit ses feuillets et se dirigea vers le cimetière juif. Il s’installa près de la tombe de feu Benhayoun, le grand père paternel de Tity, sortit son crayon et se mit à écrire. Mais les souvenirs forts, violents et combien attendrissants vinrent secouer son esprit. Il tenta tant bien que mal de se dégager de cette emprise douce et ensorcelante avant d’abdiquer et de se laisser entraîner par le flot des moments passés à côté de Tity dans cet endroit là.
Comme le professeur d’histoire-géographie de la jeune fille était en congé de maladie, le surveillant général du lycée demanda à toute la classe de quitter l’établissement. Devant la porte, Tity se rappela que son ami M’hamed lui non plus n’avait pas cours de dix heures à midi. Elle attendit sa sortie et lui proposa de l’accompagner au cimetière juif. Elle voulait revoir la tombe de son grand père Benhayoun. M’hamed ne comprit rien au désir de la jeune fille, mais celle-ci l’encouragea en lui précisant qu’il allait certainement apprécier la place où reposait son aïeul.
Elle marchait posément à côté de lui. Elle avait éclos en peu de temps. Elle n’était plus la bouillonnante gamine de quatorze ans aux gestes vifs qui aimait le jeu et le badinage. Ses hanches se balançaient avec souplesse, avec noblesse, faisant bondir une poitrine prononcée. De tout son corps émanait une sensualité qui mettait en feu son compagnon chaque fois qu’il la voyait venir vers lui.
En arrivant sur les lieux, le jeune garçon fut charmé par le monument sous lequel reposait le défunt. Une stèle en marbre gris sur laquelle étaient gravés le nom et prénom du disparu (Ihoud Benhayoun), sa date de naissance (I872) et celle de son décès (1958) ; suivis de quelques lettres en hébreu et de l’étoile de David placée juste au milieu de la pierre tombale. Deux arbustes de chaque côté de la tombe semblaient protéger le grand-père de la chaleur et du vent marin.
Tity se mit à l’ombre de l’un des deux arbres et invita son compagnon à s’asseoir à côté d’elle. Au bout d’un moment, elle lui dit :
« Sais-tu pourquoi je t’ai conduit ici ? ». Elle ne lui laissa pas le temps de deviner. « Ici repose l’être qui m’est le plus cher dans toute ma famille ; poursuivit-elle. Aujourd’hui, je veux qu’il soit le premier à être témoin de notre amour. Oui M’hamed, tu me plais beaucoup ».
Elle hésita un moment, comme si elle cherchait ses mots, puis lâcha d’un seul coup.
« Je t’aime M’hamed ! Je t’aime ! ».
Cette phrase prononcée avec un accent plein de tendresse et de sensualité, déclencha un frisson doux dans tout le corps du jeune homme.
Il lui dévoila à son tour sa passion. Il souligna toutefois, en soupirant, que leur amour ne pourrait jamais aboutir. Il lui fit remarquer l’écart qui séparait leurs familles et leurs milieux socioculturels.
Les yeux de la jeune fille brillèrent de fureur.
« Comment ? Au nom du milieu socioculturel, je dois renoncer à mon bonheur ? Parce que tu viens d’une famille pauvre, je ne dois pas te fréquenter ? Mais qui a inventé cette loi ? Qui a dit qu’une juive ne peut ni ne doit aimer un musulman ? Dieu même serait injuste s’il avait créé cette loi. Non M’hamed ! Tout ceci relève de la bêtise humaine, et crois-moi, je ne me plierai jamais devant ces idioties sociales. Pour mon bonheur, pour mon amour, j’irai jusqu’au bout. Je suis prête à lutter, à me sacrifier s’il le faut.
« Qu’elles aillent au diable toutes ces stupides barrières qui veulent me priver de mon bonheur ! »
C’était la première fois où il entendit la jeune fille se défendre d’une manière si violente et si crue. Cette réaction le rendit plus hardi. Il donna pour la première fois, lui aussi, libre cours à ses sentiments les plus profonds.
« Pour vivre avec toi, j’irai au bout du monde s’il le faut. Je traverserai l’océan à la nage pour te rejoindre. Tity, tu ne peux pas imaginer à quel point je t’aime moi aussi. Je n’ai jamais osé te le dire, mais maintenant que les dés sont jetés, sache que je ne pourrai jamais vivre sans toi. Depuis le jour où nous étions ensemble au cinéma, je ne cesse de penser à toi. Bien que je ne sois pas sûr de tes sentiments envers moi. Je me suis dit que ton attitude n’était que passagère et qu’avec le temps, elle finirait par s’évanouir. C’est pour cela que je me suis engagé avec une certaine réserve. Je ne voulais pas souffrir d’une blessure supplémentaire ».
Hypnotisée par cet aveu, la jeune fille écoutait passivement en souriant. Elle abreuvait avidement les paroles de son ami. Elle aurait souhaité que ce discours ne prît jamais fin.
Avant la confession du jeune homme, Tity avait, elle aussi, peur de le bouleverser, de le bousculer, de le choquer. Elle savait à quel point les coutumes et les traditions pouvaient façonner l’esprit de l’être humain. Elle freinait donc difficilement la course de ses sentiments.
Ce jour là, les rênes qui retenaient ses élans venaient de céder.
« Mon Dieu ! Il m’aime ! Il m’aime lui aussi! », faillit-elle crier.
Elle sauta sur lui, le tira vers elle et l’embrassa chaleureusement. Ils s’allongèrent tous les deux par terre. M’hamed ne savait quoi faire. Il craignait un geste maladroit de sa part qui pourrait déplaire à la jeune fille. Comme si elle avait lu dans ses pensées, elle l’encouragea à la prendre dans ses bras et colla ses petits seins contre son torse. Son partenaire était aux anges. Il sentit un fourmillement le long de son corps. Une sensation de fièvre l’envahissait. Sa main tremblante vint caresser légèrement le bas ventre de la jeune fille. Cette dernière fut entièrement secouée par des spasmes nerveux et convulsifs et, au lieu de le repousser, elle l’encouragea en soulevant légèrement sa jupe. Le jeune garçon demeura perplexe à la vue des belles jambes blanches qui s’offraient à lui. Tity commença de son côté à caresser la poitrine de son amant. L’effet sensuellement délicieux qu’ils ressentirent tous les deux accéléra leurs respirations. Toutes les conditions sociales, toutes les religions, toutes les traditions furent emportées par l’ouragan de leur amour. Seul un petit détail auquel ils n’avaient pas pensé vint mettre fin à leur fusion idyllique avant qu’ils n’atteignent le plaisir ultime.
Habiba (lâarija) la boiteuse, une folle, une femme héron aux jambes en baguettes et au bec long et pointu était là, debout devant eux. Elle criait de toutes ses forces. Elle disait que les deux intrus avaient violé sa chambre nuptiale. « Sortez d’ici ! Que Dieu maudisse votre union ! »
Les deux amoureux se sauvèrent. C’était un mauvais présage, selon Tity. Son grand-père ne fut pas témoin de leur amour comme elle l’aurait souhaité. Elle pleura tout le long du chemin. M’hamed tenta de la réconforter, mais en vain. Ce ne fut que deux jours plus tard, qu’elle commença à retrouver son calme, sa sérénité et sa joie d’aimer.
Elle voulait bien tenter de revivre une seconde fois son aventure amoureuse auprès de la tombe de son grand-père pour que ce dernier certifie et bénisse cette relation, mais elle avait peur d’être dérangée par la mendiante.
« Je trouverai un lieu beaucoup plus symbolique ! », répétait-elle.


( A suivre )




Cet article provient de L'ORée des Rêves votre site pour lire écrire publier poèmes nouvelles en ligne
http://www.loree-des-reves.com

L'url pour cet article est :
http://www.loree-des-reves.com/modules/xnews/article.php?storyid=2845