Rivières et canaux

Date 01-10-2013 00:18:30 | Catégorie : Nouvelles


Rivières et canaux

Après l'étang, la calme rivière qui recèle tant de vies, tant de petits drames, cette eau presqu'immobile est bien propice au lent éveil du regard et de l'attention.... le Loir, le Doubs...

Tout semble figé, les longues feuilles cirées des roseaux se reflètent exactement sur la surface, l'eau semble épaisse, opaque, on pourrait y poser le pied...

Mais voici qu'un courant imperceptible semble tracer un filet furtif, le reflet oscille un peu, un minuscule tourbillon entraîne un brin d'herbe qui tournoie lentement... la teinte de l'eau qui semblait uniforme se nuance d'un ocre nouveau, et l'on aperçoit quelques traits qui varient : une hampe s'est inclinée, une branche traîne près de la rive et voilà, comme un clapotis, qu'une infime vague découvre un petit caillou, deux plages naines, juste pour un moustique qui se pose... pour s'envoler aussitôt... inlassablement une petite langue humide vient lécher le caillou et crée, chaque fois, une bulle unique et qui renaît...

L'oeil s'habitue; de longues herbes vertes lisses inconsistantes, flottent dans le courant, nouant et dénouant une tresse presqu'immobile qui tressaille au passage d'un flot invisible mais certain...

Les nénuphars étalent leurs larges disques plats sans que l'on devine le long tube visqueux qui les rattache au fond.
Sur la surface luisante et calme, de grands cercles se meuvent, imperceptiblement, se frôlent, se croisent, se séparent et retournent sans fin leur ballet géométrique et nonchalant.

Un brin de vent, la moindre brise modifie tout soudain : voici l'eau qui se plisse et qui se moire, des sillons clairs, des sillons sombres se poursuivent en vibrations, les reflets zigzaguent et les nénuphars effarouchés retroussent le bord de leurs grosses feuilles; l'eau en se gonflant a noyé le petit caillou et il faudra des heures pour retrouver le calme...

Le canal de Bourgogne, lui, anime des paysages assez plats qui s'étirent près de l'Yonne et jusqu'à la Côte-d'Or. On le suit, et ses parallèles s'amusent à défier toutes les lois de la perspective, on le longe, on le domine... il est dans tous les paysages de cette route vagabonde.

Les innombrables peupliers de ses rives allongent leurs ombres semblables et se reflètent... ne croirait-on pas voir, en rêvant un peu, les marches d'un escalier géant sur l'eau lisse et herbeuse ?
Les lances des roseaux, serrés en rangs épais, tel un régiment médiéval, recèlent des richesses attirant, tout au long des berges, les pêcheurs en mal de poissons.

Voici la maison de l'éclusier : pierres dorées, toit brun, aigu, bien carré, posé bien d'aplomb comme un bonnet aux bords qui s'évasent. L'anneau blanc et rouge de la bouée de sauvetage accroché sur la façade nous dit : "Voici le pont !"

L'écluse !... les gros anneaux de fer dont la rouille teinte en cascade les pierres droites et grises du quai... les portes, d'immenses portes goudronnées, calfatées, noires et luisantes, tournent puissamment, silencieusement, au cliquetis de la manivelle qu'actionne une forte femme au large cotillon, noir et fleuri, archaïque et forte en gueule qui hèle hardiment les bateliers "montants". Car l'éclusier est bien souvent une éclusière !

L'eau épaisse, en vastes remous, franchit l'étranglement, les niveaux, peu à peu, s'égalisent. La péniche frôlant les bords, frémit au rythme ralenti de sa machine qui bat sourdement.
Les grandes portes reprennent leur mouvement, vaste quart de cercle, et s'encastrent doucement dans l'enfoncement du quai, les énormes rivets brillent en bosse sur les poutrelles et les croisillons de la carcasse. En bas, l'eau s'apaise.. . C'est le moment du passage : lentement, précautionneusement le lourd bateau s'avance, rasant la pierre... un râclement de câble sur le métal, la péniche est dans le bief, elle s'immobilise tandis que reprend le jeu des portes, l'écluse d'aval se referme; l'éclusière, changeant de treuil, va entrouvrir, à peine, les portes d'amont.

Nouvelle cataracte glauque, l'eau s'engouffre sous la proue de la péniche. Sur le pont de celle-ci, les bateliers vont et viennent, surveillant la manoeuvre. Un enfant, peluche dans une main, pouce en bouche, regarde tout cela d'un air habitué. Un peu de fumée, sortant par la cheminée de la cabine, nous informe que la femme du patron prépare le repas pour tout l'équipage.
Lorsque la deuxième porte s'ouvrira en grand, le bateau s'éloignera et continuera son voyage, lentement, sûrement, emportant ces vies vagabondes... et qu'on aimerait suivre !

Il suffit d'un arrêt assez bref du voyageur sur la route, pour qu'il ait la surprise de retrouver, bien loin, au sortir d'un pont ou au passage d'une autre écluse, la brave péniche qui semble glisser sur un lit de roseaux.

Les bords paisibles d'un canal semblent mornes et ternes. On ne sait quelle douceur émane pourtant de ce paysage. La proximité peut-être de cette eau dormante et de l'herbe si douce, le reflet des arbres lisses et blancs, le friselis léger des feuilles toujours mouvantes, contribuent sans doute, chacun pour leur part, à la paix des lieux que la trace de l'homme n'a pas enlaidis.







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