On déménage !

Date 03-10-2013 06:40:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


On déménage


Voilà … le dernier carton est scellé. J’observe silencieusement la pièce centrale jonchée de morceaux de meubles démontés (merci Ikea) et de caisses de tailles diverses, comme si un jeu de Tetris s’était joué dans la pièce.

Tout à l’heure, les déménageurs embarqueront le tout et je remettrai les clés aux nouveaux propriétaires des lieux. Ils ne se doutent même pas de ce qui les attend. Nous étions comme eux à notre arrivée ici.

Je me souviens de ce jour de mai, il y a six mois. Ma femme Lucie et moi avions jeté notre dévolu sur cette belle petite villa. Elle était mise en vente par une fratrie qui souhaitait sortir d’indivision. En effet, leurs parents avaient vécu là de nombreuses années avant de succomber au poids de leur âge, à peu de temps d’intervalle. Avec le recul, je pense qu’ils sont morts de fatigue. Comme aucun héritier ne souhaitait racheter la part des autres, ils avaient demandé au notaire familial de trouver un acquéreur à un prix plus que raisonnable. Cela aurait dû nous mettre la puce à l’oreille.

Il nous semblait donc conclure une très bonne affaire. Nous avons emménagé rapidement dans notre petit nid d’amour pour y couler des jours paisibles …. Enfin c’est ce que nous espérions.

La première nuit, nous commençâmes à entendre des petits grattements dans les murs. L’oreille collée au papier peint tout neuf, nous tentâmes d’en déterminer l’origine. Mais, dès que nous y portions attention, les bruits cessaient. Une fois recouchés, ils reprenaient de plus belle.

Persuadés que des souris ou, pire, des rats avaient élu domicile dans le nôtre, nous avions acheté tout l’attirail anti-rongeurs et l’avions installé aux endroits stratégiques. Les nuits suivantes, les grattements continuèrent et nos pièges n’attrapèrent jamais la moindre souris. Pourtant, nous tentâmes de les appâter avec du gruyère, de la mozzarella et même du roquefort (les rongeurs de villa ont peut-être des goûts de luxe !). Mais rien n’y fit.

Voyant nos efforts vains, nous fîmes appel à un dératiseur. Rien ne vaut l’avis d’un expert ! Il fît le tour de l’habitation, scruta tous les coins et recoins, analysa les poussières (du moins celles que ma femme n’avait pas vues) et son verdict fut sans appel : aucune trace d’un quelconque rongeur dans la baraque. En lui tendant mon billet de cent euros, je lui demandai un dernier conseil, que j’espérais gratuit : « Et que pensez-vous que ce soit ? ». Il nous répondit par une moue totalement dubitative en saisissant promptement son dû.

Désemparée, Lucie proposa de déménager notre lit dans l’autre chambre. Aussitôt dit, aussitôt fait. Cette nuit-là, nous nous couchâmes un peu angoissés. Tardivement, nous trouvâmes le sommeil.

Mais le répit fut de courte durée. Quelques jours plus tard, nous fûmes réveillés par des bruits de coups dans les murs, comme si quelqu’un les frappait d’un poing puissant. Le cœur battant, nous tentâmes de déterminer le lieu d’où émanait le son. Mais ce dernier semblait nous entourer. Les murs vibraient tellement que nous ressentions les secousses dans notre lit. Nous descendîmes au rez-de-chaussée et le phénomène cessa. La peur au ventre, nous dormîmes dans le canapé.

Le lendemain, j’eus l’idée d’interroger les rares voisins. Pour ne pas passer pour un fou avec une question du style « Vous savez si la maison est hantée ? », je tournai autour du pot, en tentant d’en savoir plus sur les anciens propriétaires. J’appris qu’ils sortaient peu et qu’ils semblaient toujours fatigués.

« Et la maison ?
- Quoi la maison ? »
Là, je me retrouvai plutôt coincé.
« Euh … ils ne se plaignaient pas de leur maison ? »

L’homme me dévisagea avec des points d’interrogation à la place des yeux et un petit rictus au bord des lèvres.

« Je veux dire … ils cherchaient à déménager ?
- Non, ils vivaient là depuis près de vingt ans. Cette maison était dans leur famille depuis plusieurs générations.
- Vous n’entendez pas de bruit pendant la nuit ?
- Non. C’est un quartier très calme. Vous avez des soucis ?
- Euh … non. Bonne journée. »

Bon, pas plus d’éclaircissements. Je rentrai à la maison lorsque ma femme accouru en criant : « Viens voir ! ». Elle était en peignoir et avait les cheveux dégoulinants. Elle me tira par la main jusque dans la salle de bain et pointa le miroir du doigt. La buée avait permis de laisser apparaître un message : « Je reviens ». Les yeux de Lucie étaient exorbités.

« Non, chérie. C’est moi qui t’ai écrit cela ce matin pour ne pas que tu t’inquiètes. Je suis parti interroger les voisins. »

Son soulagement fut immédiat mais elle ne discerna pas les signes de mensonge qui étaient apparus sur mon visage. Une personne inquiète, c’était bien suffisant.

Discrètement, je décidai de relire notre acte d’achat. En effet, celui-ci mentionnait les noms des différents propriétaires de l’immeuble. Je me mis à les lister par prénom uniquement car ils portaient tous le patronyme Durand, le voisin n’avais pas menti. Etant donné la violence des coups, j’ai supposé que nous avions affaire à un fantôme masculin, ce qui réduisit ma liste à Jules, Albert, Jean-Jacques et Gilles. Ce dernier étant le dernier résident, visiblement aussi victime que nous, je décidai de le rayer.

Afin d’obtenir plus d’informations sur mes suspects potentiels, je me rendis à la mairie. Une gentille brunette accepta de m’aider. Après quelques heures de recherches dans de grands manuscrits aux pages jaunies et noircies à l’encre de Chine, je découvris que Jules fut cordonnier, Albert soldat, mort au front en 1944 et Jean-Jacques brasseur.

Le soir, nous avons décidé de nous coucher à l’étage, non sans quelques appréhensions. Toutes lampes allumées, nous avons fermé les yeux. En plein milieu de la nuit, nous avons été réveillés par les tremblements du lit, comme si quelqu’un s’amusait à le secouer. Dans un sursaut de colère, j’ai crié : « Arrêtez ! ». Immédiatement, le phénomène a stoppé. Était-il possible que ce fut si simple ? Nous partîmes d’un fou rire nerveux. Mais après quelques minutes, les coups sur les murs recommencèrent de plus belle. Ils étaient encore plus puissants que la veille. Nous descendîmes et appelâmes la police en évoquant un problème sans trop préciser lequel.
Dix minutes plus tard, deux hommes en uniforme entrèrent dans le salon. Nous leur avons expliqué maladroitement nos soucis, passant ainsi pour de parfaits mythomanes. J’ai vu le policier scruter les lieux, sûrement à la recherche de drogue ou de champignons hallucinogènes.

Nous montâmes à quatre dans la chambre. En silence, nous attendîmes que quelque chose se passe. Je remarquai l’échange de regards moqueurs des agents. Ils s’apprêtaient à quitter la pièce lorsque Lucie cria : « Regardez ! ». Elle désignait un vase en lévitation au-dessus de la commode. Un policier approcha et, à ce moment, l’objet en terre cuite tomba, se brisant en mille morceaux.

« Très drôle votre blague. On ne voit même pas les fils ! » s’exclama l’agent de police.
Nous lui assurâmes que c’était notre lot quotidien et que nous étions désemparés face aux phénomènes dont nous étions spectateurs et victimes. En partant, le plus âgé des deux me glissa à l’oreille : « Allez voir le Père Adrien. »
Un prêtre ! Le dernier que j’avais croisé, j’étais âgé de douze ans et je portais une aube. Avec Lucie, nous avions préféré la cohabitation légale au mariage. Mais il nous fallait de l’aide, c’était indéniable.

Le lendemain, j’entrai dans l’église qui trônait au milieu de la place du village. Un silence religieux (normal, non ?) y régnait. J’aperçus alors une personne assise à la gauche du chœur. Je m’approchai de la dame à la chevelure grisonnante afin de lui demander où je pourrais trouver le prêtre.

« Vous avez de la chance, il est justement dans le confessionnal. »

Deux options se présentaient à moi : soit j’attendais qu’il finisse sa « permanence », soit j’entrais dans ce lieu de confession. Impatient en raison de la fatigue, je choisis la seconde solution. Je m’installai sur le banc en bois, très inconfortable. On n’a pas envie de traîner pour vider son sac dans ces conditions. J’attendis qu’on m’interpelle mais rien ne se passait. En tendant l’oreille, j’entendis un léger ronflement. L’officier du culte, en manque de fidèles faisait tout simplement la sieste. Je me raclai donc bruyamment la gorge ; ce qui éveilla le prêtre. A travers les petits orifices de la cloison, je le vis se frotter les yeux avant de s’adresser à moi :

« Bonjour mon fils, je vous écoute.
- Bonjour mon père. Je ne souhaite pas me confesser mais solliciter votre aide. Voilà … des phénomènes étranges se passent dans notre maison. Un policier nous a conseillé de venir vous voir.
- Ah … je vois. Où habitez-vous ?
- Rue du Purgatoire, au numéro 13.
- Vous avez racheté la maison des Durand ! Tous les habitants du village savent qu’elle est hantée.
- Evidemment ce n’était pas précisé dans la petite annonce. Que pouvons-nous faire ? Nous sommes terrorisés.
- Je ne peux rien faire. Je suis désolé car j’ai déjà tout essayé. J’avais conseillé à leurs enfants de raser la maison mais ils vous ont trouvés. Bon courage. »

Je sortis du confessionnal encore plus dépité. De retour à la maison, nous décidâmes de faire appel à la meilleure agence immobilière du coin afin de nous débarrasser de ce fardeau.
Dans l’attente de la vente, nous dormîmes dans une tente installée dans le jardin. Une nuit, pris d’une envie pressante, je dus me rendre dans la maison. Tout y était étrangement calme. En sortant de la salle de bain, j’aperçus une ombre au bout du couloir. J’eus juste le temps de distinguer la présence d’un casque sur sa tête et d’un fusil pointé dans ma direction avant qu’il ne disparaisse. Les visites se succédèrent jusqu’à trouver un couple de jeunes mariés très intéressés par le prix dérisoire.

Enfin, nous pûmes reprendre une vie normale. En plus du fantôme, nous leur laissâmes la tente dans le jardin comme cadeau pour la pendaison de crémaillère, je pense qu’ils en auront grand besoin.



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