Déjà vu !

Date 06-10-2013 06:44:44 | Catégorie : Nouvelles confirmées


C’est une journée ordinaire dans mon train-train d’assistante sociale. Le téléphone blanc, posé sur mon bureau encombré, sonne.

« Camille, ton rendez-vous est arrivé ! »

Avant d’aller le quérir dans le couloir, je parcours les notes de ma collègue qui l’a reçu en permanence. Il s’agit d’une situation banale. Un mari dont la femme est partie avec les enfants sous le bras, afin de rejoindre un autre homme. Le pauvre se retrouve avec les crédits sur le dos et les huissiers sur le pas de la porte.

Je dépasse la tête dans le couloir parfumé à l’odeur de transpiration et annonce mon nom. Un homme d’une quarantaine d’années se lève et me suit jusqu’au bureau d’entretien. Son visage m’est étrangement familier, cette sensation me trouble légèrement. Je l’invite à s’asseoir devant moi et lui demande ses justificatifs. Il reste muet et regarde fixement la table. Des gouttes de sueur perlent sur son front dégarni, sa respiration est saccadée. Je crains qu’il ne fasse un malaise et lui propose un verre d’eau. Là, il lève brusquement la tête et me fixe de son regard vert. C’est à mon tour de baisser les yeux. Enfin je découvre le son de sa voix, ce qui réveille la sensation de « déjà vu ». Il chuchote presque.

« Vous êtes assistante sociale, donc tenue au secret professionnel ?
- Euh … oui. C’est juste.
- Alors je peux me confier à vous.
- Allez-y, je vous écoute.
- Ma femme est partie avec ce sale chien de Bernard, mon ami d’enfance. C’est insupportable. Mon salaire ne suffit pas à payer les crédits. Je ne vois plus mes enfants. Hier, un huissier est venu noter les meubles et la voiture. La vente publique est dans un mois. Mais il y quelque chose qu’il n’a pas saisi … ceci. »

Il porte alors la main vers la poche intérieure de sa veste légère. Là, je sais pertinemment ce qu’il va en sortir, même si je n’y crois pas. Ce n’est pas possible, je m’imagine toujours beaucoup de choses. Il cherche sûrement son portefeuille pour me donner sa carte d’identité. Mais non … ma prémonition se révèle exacte. C’est bien un revolver qu’il présente à ma vue. Surprise, j’ai un réflexe de recul et je reste bouche bée, les yeux écarquillés. Posément, l’homme continue son récit comme si la situation était tout à fait normale. Je ne peux détourner mes yeux de l’arme. Mon attitude stoïque ne trahit pas mon ébullition intérieure. Dois-je sortir précipitamment du bureau ? Tenter de le raisonner ? Quelles sont ses réelles intentions à mon égard ? Un pressentiment de « tout est déjà joué » m’envahit et je reste paralysée.

« Comme je peux tout vous dire, voilà. En sortant d’ici, je vais me rendre chez mon ex. Les enfants sont au club sportif. Ils sont donc seuls, tous les deux. Je sonnerai à leur villa. Elle est très isolée, les voisins n’entendront pas les deux coups de feu. Ensuite, j’embarquerai les corps dans mon coffre et … »

- Et quoi ? Il faut te souvenir
- J’ai peur. Il va tirer.
- Non, tu ne risques rien. Continue.


« … j’irai dans le bois du Mont Saint Aubert. On adorait s’y promener avec les enfants et le chien. J’ai repéré un coin accessible en voiture et peu fréquenté, sur la façade nord. Il y a pas mal de terriers, c’est accidenté. Personne ne remarquera les tombes.
- Mais il y a d’autres solutions. Avec un jugement, vous pourrez voir vos enfants. On va trouver un arrangement avec vos créanciers. Promettez-moi de ne pas faire de bêtises.
- Vous ne pouvez de toute façon rien révéler.
- En cas de force majeure …

Pourquoi je lui dis cela ?

- Bon, je suis sûr que vous ne pourrez plus parler après … »

- NON !
- Camille, ouvre les yeux MAINTENANT !

Je découvre une pièce épurée et lumineuse. Je suis allongée sur un divan sombre. Une main se pose sur mon épaule.

- La séance est terminée. Tu y es arrivée cette fois. La police va pouvoir retrouver les corps avec les indices que tu as révélés.

Je regarde celui qui me fait maintenant face. Il a un visage émacié et son regard est très doux. Peu à peu, je reprends pied dans le présent. Je porte la main à mon front humide. Du bout des doigts, j’effleure la cicatrice qui longe le côté droit de mon crâne. Ce souvenir est le signe que mon cerveau est en pleine rééducation.




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