Sur une autre planète, pas plus tard qu'hier.

Date 19-10-2013 21:00:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Vous dire le plaisir que j'ai de pouvoir écrire ce petit texte, ce soir !
Je l'avais prémédité plus acerbe et vengeur, mais, vous savez ce que c'est, on se croit plus dur qu'on ne l'est. Et puis, j'aime à me le répéter : j'ai connu tellement plus pire...



08h00 Toutes couleurs confondues, ils avancent à pas très lents, comme à regret. En les observant bien, j'ai l'impression que la tête se refuse à suivre les pieds. Il y a comme une forme de détachement, d'indépendance de l'une par rapport aux deux autres. Une espèce de souffrance résignée se lit sur les visages. Il y a déjà plusieurs années, pour la plupart d'entre eux, qu'ils sont entraînés à porter ces stigmates de peines contenues .
Lorsque deux couleurs se croisent, elles ralentissent un peu, si la chose peut paraître possible, et elles s'échangent, avec résignation, leur sentiment d'être exploitées, d'en avoir fait beaucoup trop pour des chefs ne sachant pas reconnaître leurs mérites . Mais elles sont sur le point d'exploser et, crois-moi, ça va pas durer comme ça, ' ils ' ne savent pas à qui ils ont affaire.
Sur le lit où je croupis pour quelques minutes depuis bientôt trois heures, j'entends depuis plus d' une demie-heure, une voix monocorde venant de la chambre située en face de la mienne.J' aperçois celle qui parle, au pied d'un lit. De temps en temps, elle promène le balai qu'elle tient, devant elle et, réflexe conditionné, elle se penche parfois pour faire bouger une petite pelle et une balayette. Un peu plus tard, elle viendra dans ma chambre pour ouvrir en grand la fenêtre dont je redemanderai la fermeture à la prochaine tenue de couleur qui n'aura pas l'air suffisamment soucieuse pour m'écouter.
Onze heures approchent. Une blouse blanche vient me jeter le classique " ça va Monsieur " . Elles posent toutes la question et ignore qu'il peut y avoir une réponse.
Sans conviction, je lui réponds que cela irait si on ne m'avait pas préparé à partir, trois heures auparavant et que je me sentais un peu couillon à poils, sur mon lit, avec ma petite blouse en papier vert, la porte de ma chambre grande ouverte, exposé aux regards curieux de tous les visiteurs cherchant quelqu'un.
J'ajoute que, si cela doit se passer comme la dernière fois, je serai toujours au garde à vous sur mon lit à 16 heures.
Eclat de rire de la blouse blanche qui me répond que ça l'étonnerait, le ' programme ' se terminant à midi.
Midi arrive. Les repas arrivent aussi, dans le couloir. Je vous mets au défit de ne pas comprendre que ce sont les repas...Même enrhumé
Une exubérante Sénégalaise entre dans ma chambre, les poings sur les hanches, et m'annonce avec un grand sourire triomphale que pour moi, ' Tintin, pas magna, faut que je reste à jeun '. Ce sera la seule bonne nouvelle de la matinée.
Midi... treize heures...Les couloirs sont désespérément vides.La plupart des tenues de couleur, qui font leur journée continue, éprouve le besoin urgent de se reposer une heure ou deux. D'ailleurs, leurs rires me parviennent et me tiennent compagnie.
14 heures. L'animation à repris son rythme dans le couloir: Beaucoup de visiteurs se mêlent aux tenues de couleur. J'ai l'impression que tout le monde se connait.
15 heures. J'ai le sentiment que chaque couleur fait une boucle , en passant, pour s'écarter de ma porte. Je sens comme une boule qui grossit dans ma poitrine. Aie...En principe, si je me connais bien, et c'est le cas, je n'arriverai à la contenir qu'une demie-heure, au mieux.
La demie-heure a passé. Je pousse un grand coup de gueule dès que je vois une couleur. C'est fini, terminé, sans appel : je suis à bout de patience...et j'explose:
-" Allez me chercher un foutu de responsable ! le premier venu ! "
J'ai gueulé si fort que les bruits de télé se sont aussitôt mis en sourdine. La couleur a eu l'air interdit et serait partie en courant, si elle s'était souvenu de la manière de le faire.
Bizarre...Laissez-moi faire le point...J'ai brusquement eu : du blanc, du jaune, du rose, du bleu et du vert tendre autour de moi.
Il était trop tard, ma boule, qui avait pris des proportions que je n'aurais soupçonné, venait d'exploser.Et là, je suis toujours le premier à m'étonner de ce que je suis capable de débiter quand je suis en colère ! Je suis le genre de mec dont on dit : " Celui-là, je ne l'ai jamais vu en colère ". Tant mieux pour celui qui le dit. Quand je suis en colère, je suis outrancier, cataclysmique et volubile. Je l'avoue, mais ne le répétez pas : Je me fais plaisir.
Je leur ai fais une petite synthèse de tout ce qui n'allait pas, selon moi, dans ce service. Je leur ai bien expliqué que je n'acceptais pas d'être traité comme du bétail en attente d'abattage et qu'ils devraient tous prendre quelques cours de savoir-vivre afin de savoir à partir de quel moment il devient de bon ton d'informer le futur opéré qu'il va y avoir du retard dans l'intervention et que, b....l de m....e, cela faisait 7 heures qu'on se foutait de ma gueule et que j'allais me tiré de là, faute de soins.
Le chef de service, alerté par mes cris, s'est pointé. Je n'ai pas jugé utile de lui faire subir un autre traitement, et, apparemment, cela ne lui a pas plu. Il m'a donc déclarer que j'étais libre de partir si je le voulais.
A partir de ce moment, je n'ai plus eu besoin d'intervenir: un arc-en-ciel de tenues lui a expliqué qu'il était impossible que je m'en aille ( j'étais bien d'accord ) et qu'il fallait me traiter ce jour même.
Evaporation des couleurs.
15h20 . Le chirurgien devant m'opérer vient me voir et me dit, désolé, que des urgences avaient changé son planning. J'aime bien parler avec des gens sensés. Je lui ai expliqué, très calmement, que j'étais suffisamment intelligent pour comprendre cela, mais que mon indignation était dirigée contre un système qui jugeait inutile d'informer des gens, aussi respectables que d'autres , du pourquoi de leur longue attente.
15h45 . Des brancardiers rigolards, qui semblaient transporter les malades avec autant de considération que des jambonneaux ( que les jambonneaux me pardonnent ) viennent me chercher.
Halluciné, j'ai traversé une série de locaux où un incroyable mélange de couleurs était regroupé en groupes, riant, buvant et me jetant un petit coup d'oeil rigolard au passage.
Mes deux brancardiers, sans se soucier de ma présence, ont disserté, durant le parcours, sur mon impressionnante chevelure., " Pour mon âge " , comme ils disaient.
Lorsque je suis entré en salle d'opération, j'ai, tout de suite, été impressionné par la grande solitude des deux personnes se trouvant là: Le chirurgien et son assistante. Personne d'autre. Je les ai vu, du coin de l'oeil, assurer toutes les petites préparations que je connaissais bien. L'assistante indiquait au chirurgien comment placer les linges, quels produits prendre avec quoi les appliquer. Ils n'étaient que deux. A cette même opération, les fois précédentes, il y avait toujours quatre ou cinq personnes autour de moi, chacun ayant sa tâche bien déterminée.
J'ai jugé nécessaire de redire au chirurgien que ma grosse colère de tout à l'heure ne s'adressait pas à lui, mais à un système que je n'avais pu supporter.Il m'a répondu qu'il comprenait. Et je comprenais qu'il avait compris.
Ils ont fait, tous les deux, un travail impeccable qui justifiait le salaire de tous les autres. Merci, toubibs....
Vous dire les nombreux couacs qui se sont enfilés jusqu'à mon départ serait superflu.
Si, pourtant. Le dernier. Un bien beau : Dès le soir de mon intervention, toutes sortes de couleurs sont venus m'annoncer que j'allais avoir un nouveau pansement. Que c'était comme si je l'avais déjà. Qu'il était en route. Que ' c'est pas moi mais ma remplaçante qui va venir le faire ' , ' Ah bon ? on vous a pas encore remplacé votre pansement ? Attendez-moi, j'arrive '.
Et, le lendemain : " Bien...Vous pouvez rentrer chez vous. On vous a fait une ordonnance pour qu'une infirmière vienne vous faire votre pansement à domicile "
J'ai trouvé un banc, dehors, d'où je pouvais voir la fenêtre de la chambre que je venais de quitter. J'ai eu une petite pensée émue pour celui qui devait déjà être en train d'attendre...





Cet article provient de L'ORée des Rêves votre site pour lire écrire publier poèmes nouvelles en ligne
http://www.loree-des-reves.com

L'url pour cet article est :
http://www.loree-des-reves.com/modules/xnews/article.php?storyid=3053