Circus Anima - Chapitre 1 Partie 2/2

Date 21-10-2013 14:50:00 | Catégorie : Nouvelles


Je repris ma route jusque chez moi. Comme toutes les autres, ma maison était grise et d’une monotonie déroutante. Je franchis la porte d’entrée et me pressais d’aller enfiler des habits plus appropriés pour l’annonce hebdomadaire de midi. Tous les mercredis à midi, le directeur du Circus nous faisait un interminable discours sur les lois et les façons de signaler un coupable.

J’appelais Freesia pour nouer ma cravate. Elle arriva dans sa robe rose et exécuta mes ordres. Lorsqu’elle eut fini, nous partîmes pour la place principale. La sentant tendue, je saisis sa main dans la mienne. Comme étonnée, elle se tourna vers moi et m’adressa un regard surpris. Je ne relevai pas et me contentai de continuer à marcher. Je devinai un rictus se former sur son adorable visage, faisant remonter ses pommettes et rougir ses joues. Je fus tenté de contempler sa figure à maintes reprises, mais me contentai de serrer sa main. Comme chaque mercredi, nous nous assîmes à nos places respectives, prêts à écouter une énième fois les menaces du directeur. En quelques minutes, la place principale était pleine et aucun siège n’était vide – sauf celui du fils enlevé plus tôt dans la matinée. Le directeur fit son entrée et tout le monde se tut. Il entama alors son insupportable tirade.

- Bienvenue à chacun. Comme vous le savez, le Circus Anima est la plus grande prison de tout Helyon. Il est également le plus strict de tous les établissements de l’empire. Ce matin même, les Fauves ont arrêté de nouveaux criminels. Sachez donc que vous n’êtes à l’abri de rien ici bas. Respectez les lois et rien ne vous arrivera, cracha-t-il afin d’effrayer les plus farouches d’entre nous.

Il continua à lancer d’innombrables menaces pour s’assurer de notre foi envers la nation. Je n’avais pas lâché la main de Freesia, et resserrais mon étreinte chaque fois qu’elle frissonnait. Je ne me connaissais pas si doux. Le discours du directeur dura encore de longues minutes, jusqu’à la très attendue fumée noire qui émanait du Circus. Cette fumée annonçait non seulement la fin de l’interminable sermon du directeur, mais aussi l’immolation des prisonniers morts dans la semaine. Un air grave se dessina sur le visage de Freesia et je sentis sa main lâcher la mienne. Surpris par ce brusque changement de comportement, je me tournai vers elle, guettant une réaction qui trahirait ses pensées. Mais rien. Elle se contenta de froncer les sourcils sans daigner m’accorder un regard.

Nous regagnâmes la maison en silence. Un silence qui devenait de plus en plus pesant. Derrière moi, j’entendis une fillette sangloter. Je me stoppai et scrutai cette enfant dont le visage était déchiré par de grosses larmes. Elle était jeune, 5 ans tout au plus. Elle tenait la main de ce qui semblait être son père, lui-même, le visage ruisselant de larmes. Tout deux étaient face à des Fauves. Sans doute venait-on leur annoncer la mort d’un proche. Je m’approchai d’eux sans me soucier de la disparition de Freesia et tendis l’oreille. D’après ce que je pu percevoir, la mère de la gamine faisait partie des captifs immolés aujourd’hui. Je n’osais poser mon regard une nouvelle fois sur cet homme, détruit par l’annonce. Je m’imaginais dans sa situation, découvrant la mort de Freesia et récupérant ses cendres dans un bocal. Comment l’aurais-je vécu ? Je balayai ces pensées de mon esprit, elle est si gentille que personne n’irait la dénoncer, me consolai-je.

Je quittai la ville une nouvelle fois. Pas pour me rendre dans la forêt, non, mais à la limite du pays d’Helyon. Je marchais une bonne heure avant de déboucher sur une infinie prairie, aux pieds de la montagne. Je m’engageais dans les hautes herbes, appréciant le vent du printemps bercer mes pas. Je fini par arriver au niveau des remparts, accompagnés de barbelés chargés toutes les heures de tous les jours de l’année, pour nous empêcher de même espérer s’enfuir. J’avais plusieurs fois désiré m’en aller. Quitter cette vie de soumission afin d’échapper définitivement à une éventuelle admission au Circus. J’avais également élaboré de nombreux plans d’évasion, qui ont tous fini par être abandonnés. Face à ce monde, nous n’étions rien. Rien qu’une misérable vie parmi tant d’autres. Une vie dictée par les dirigeants du pays, eux-mêmes réduit à la soumission face à l’empereur. Personne n’a jamais su à quoi ressemblait l’empereur et nous ne le saurions sans doute jamais.

Je soupirai. Encore. Finalement, nous ne savions rien. Certains habitants en sont venu à mettre fin à leurs jours, lassés de cette existence sans importance. Une éternelle errance dans l’ignorance. D’autres ont eut le courage d’essayer de fuir, mais n’ont réussis qu’à obtenir un aller simple pour le Circus Anima. N’ayant plus rien à perdre, je fus absorbée à l’idée de m’échapper. Peut-être étais-je assez intelligent, peut-être étais-je assez habile pour m’en sortir. Emplis d’espoir et de courage vains, je me laissai tomber en arrière, laissant mon esprit vagabonder à travers les cauchemars qui pouvaient attendre les détenus du Circus.

Un voile blanc s’empara de ma vue et je m’abandonnai au monde des rêves. Quelque part où tout m’était permis, quelque part où je pouvais être avec celle que j’aimais, sans craindre de la voir partir pour le pénitencier.

La brume se désépaissit et je pu distinguer Freesia. J’admirai sa peau laiteuse et son regard séduisant. Elle n’avait rien de la femme fatiguée et frustrée de tout à l’heure. Elle semblait heureuse. Le visage rayonnant, elle me tendit les bras pour que je m'y blottisse. Je m’empressais de m’exécuter, trop heureux d’en avoir eut l’invitation. Je restai immobile de longues minutes, me délectant de l’incroyable chaleur qu’elle dégageait. Je humais le parfum d’orange de ses cheveux humides en souhaitant ne jamais me défaire de son étreinte. Elle attrapa mon visage entre ses doigts gelés et déposa de nombreux baisers sur mon front. Elle ne dit aucun mot et j’en fis de même. Elle passa sa main dans mes cheveux sombres, retirant des mèches vagabondes venues s’installer sur mon front.

-Nous pourrions nous enfuir, Freesia, lui soufflai-je.

Elle ne répondit rien, se contentant de m’adresser un faible sourire. Mon cœur s’affola et je songeai à lui parler de la ténébreuse forêt que j’avais découverte derrière les murs du Circus Anima, mais mon instinct me souffla de me taire. Je ne pouvais cacher ce genres de choses à ma fiancée, mais si un jour, les Fauves étaient à mes trousses, je m’enfuirais sans nul doute dans la forêt, là où personne ne pourrait me retrouver. Je courrai le plus loin possible, jusqu’à espérer atteindre une quelconque frontière qui me permettrait d’échapper à un funeste destin en prison.

Freesia me repoussa lorsque je voulu l’embrasser, détournant la tête elle s’écarta de moi. Incrédule, je cherchais son regard vainement. Tâtant ses joues, ses bras, sans qu’elle ne réagisse. Lorsqu’elle rouvrit les paupières, ses yeux n’exprimaient plus rien. Le vide. Comme si tout avait cessé d’existé, moi compris. Elle porta sa main à ma joue, avant de murmurer lentement « Juke, sauve-toi ». Je ne réagis pas, jusqu’à ce qu’une sirène retentisse. La sirène des Fauves.

Je me réveillai et me levai d’un bond, affolé. Elle s’approchait à une vitesse affligeante de moi, faisant circuler d’innombrables frissons de terreur le long de mon échine. Mon prompt espoir avait été démantelé en une fraction de seconde par ce bruit alarmant. Je me mis à courir. Le plus vite possible. Je devais fuir. Fuir dans leur propre territoire. Je n’avais aucun moyen de me sauver. Que devais-je faire ? Où devais-je aller ? Mon esprit était embrumé par une angoisse indescriptible. J’atteins le village sans avoir ralentis mon allure, le visage rouge et les lèvres sèches, sans avoir remarqué que l’alarme s’était stoppée. Je m’accordais quelques secondes pour reprendre mon souffle, me ruant à la fontaine afin d’y plonger, le corps entier. Je n’en sorti qu’une fois l’oxygène me manquant. Jetant des regards empreints de haine aux passants qui se risquaient à m’observer. Je me dirigeais enfin vers ma maison, ne désirant plus que me reposer. La journée n’avait pas été si différente des autres, bien qu’elle en fût beaucoup plus éprouvante.

En arrivant sur le seuil, je remarquais la porte d’entrée grande ouverte. Je m’aventurais dans ma demeure en claquant la porte derrière moi. J’empruntais la direction du salon, peinant à reprendre mon souffle. Je trouvais ma fiancée là. Elle était assise sur le sofa, ses deux mains emprisonnant son visage. Ses épaules tremblaient et se soulevaient à chaque nouveau sanglot. Ses mouvements restaient agréables et gracieux, comme le signifiait son nom. Freesia. L’hymne du pays résonna jusqu’à chez nous par les haut-parleurs de la place principale. Je fronçais les sourcils lorsque la sirène retentit à nouveau. Freesia ne bougea pas. Elle restait là, larmoyante. La sirène se stoppa et on frappa violemment à notre porte. Je me retournais en sursaut, songeant qu’ils avaient retrouvé celui qui avait souhaité s’enfuir. Moi. Ma fiancée se recroquevilla sur elle-même, et j’eus peine à avaler ma salive. Ils venaient pour moi. Je m’approchais d’elle rapidement, la saisi par les épaules et la secouais férocement.

- Dis leur que je n’ai rien fait. Tu ne peux pas me laisser aller là-bas, d’accord ?, implorai-je en tentant de garder mon calme.

Elle se contenta de détourner le regard, le visage ruisselant de larmes. Elle fut prise d’un nouveau spasme lorsque les Fauves toquèrent derechef. Je la bousculai et trébuchai en me dirigeant vers la porte. Ils étaient deux. Deux montagnes de muscles s’apprêtant à se jeter sur moi à tout moment. Avant même d’avoir pu prononcer un mot, ils brandirent une feuille devant mon visage.

- Juke Miller, vous êtes condamné à la détention au Circus Anima, jusqu’à nouvel ordre, m’apprit l’un des deux mastodontes.

Un petit rire s’échappa des lèvres du second, qui se délectait de ma chute.

- Et que me vaut ce plaisir ?, demandais-je, sachant pertinemment les raisons de ma condamnation.

Le Fauve ne prit pas la peine de me les énoncer et se tourna vers Freesia, toujours repliée sur elle-même. Le policier remit sa casquette en place en lui tendant la feuille munie d’un stylo. La blonde saisit ce qu’on lui proposait et signa mon avis de détention. Écarquillant les yeux, je ne pouvais tolérer qu’elle m’envoie à l’abattoir. Il s’agissait de ma fiancée, celle qui était destinée à m’épouser, elle ne pouvait pas me livrer aux autorités, elle n’aurait pas pu…

Les Fauves m’encerclèrent et me menottèrent. Je hurlai. Je hurlai des injures, des supplications, des excuses. Mais je ne pouvais plus reculer. Le Circus Anima m’attendait de pied ferme, ainsi que ma mort. Je repensai à la gamine de ce matin, était-elle morte à présent ? Je fus pris de nausées en m’inventant un avenir de terreur. Je refoulais mes larmes, m’interdisant de m’abaisser à pleurer devant une femme qui venait de m’offrir à la mort. Je lui lançais de nouveaux jurons, le visage bouillonnant de fureur. Je la voyais éviter mon regard. Elle releva, cependant, la tête et s’avança vers moi. Sans me regarder, elle saisit mon visage entre ses mains, évitant de nombreux coups de ma part. Délicatement, elle posa son front contre le miens, ferma les yeux et m’embrassa. Le contact de ses lèvres sur les miennes calmèrent mes pulsions meurtrières et apaisèrent mon esprit. Mes muscles se détendirent et elle plongea ses yeux bleus dans les miens. Elle ne dit rien. Se contentant d’alléger mon cœur lourd de regrets. Elle sourit en versant de nouvelles larmes. Je ne comprenais plus rien. Que pouvait-elle ressentir à cet instant présent ? Son cœur était-il aussi lourd et dévasté que celui de l’homme de cet après-midi ? Je ne pouvais le deviner. Elle saisit une nouvelle fois mon crâne entre ses doigts froids et un abominable rictus déchira son visage.

- Promets-moi que tu ne reviendras pas, susurra-t-elle avant de s’éloigner, laissant les Fauves m’emporter.

Je me laissai entraîner à l’extérieur, meurtri. Mais à cet instant précis, je me promis que je reviendrai.




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