Avant-goût de départ

Date 21-10-2013 22:20:00 | Catégorie : Nouvelles


Avant-goût de départ



Comme il est étrange, le goût de cette potion...
Mon fils a bu la sienne juste avant moi mais il n'a pas paru la trouver particulièrement mauvaise.
Je l'ai couché dans le grand lit et il semble déjà s'endormir.
Puisse-t-il me pardonner, je ne sais toujours pas si ce choix est le bon...


Quelques jours auparavant


Je pleure des larmes amères en me demandant si je fais bien.
Je les ai devant moi, ces deux petits flacons. Notre passeport pour l'éternité.
Notre billet sans retour. Y retrouver celle que nous avons tant aimée, lui et moi.
Fichu destin! Fichue maladie!

Depuis la semaine passée, je vois les premiers effets de cette cochonnerie de mal insidieux sur mon petit gars: maux de tête, désordre intestinal; et ses jambes, qui ne répondent déjà plus toujours aux sollicitations.
Parfois il s'endort, sans que je ne voie rien venir. Comme ça, en plein jour, en pleine activité.
Pourquoi nous?
Pourquoi lui, surtout???
De l'innocence de ses cinq ans; jamais encore il n'a commis de faute grave!
Pas un délit!
Et pourtant, cette condamnation qui sonne tellement faux! Tellement injuste!
Sa seule faute est d'avoir "hérité" de ce "truc" de sa maman.
Sa maman...


Il y a deux ans

Deux ans.
Deux ans déjà.
Deux ans qu'elle s'est endormie après avoir tellement souffert.
La respiration rauque, pénible, douloureuse.
Cette salive qu'elle ne contrôlait plus et qui coulait à la commissure de ces lèvres que j'ai tant embrassées.
Ses jambes qui ne bougeaient plus.
Le sac d'infamie qui recueillait les déchets que son corps rendu squelettique par cette maladie sans nom, sans traitement, voulait bien expulser encore.
La honte que je lisais au plus profond de ses yeux.
L'envie qui se faisait de plus en plus pressante et présente de vouloir arrêter tout ça.
Les prières à un dieu que je ne connais pas pour que son coeur veuille bien enfin s'arrêter et la laisser en paix.
J'ai plusieurs fois approché un coussin de son visage, alors qu'elle dormait pour que son agonie cesse. Mais je n'ai pas pu. Jamais.

L'espoir.
L'espoir désespéré, désespérant.
L'espoir de se réveiller de ce mauvais rêve, de ce cauchemar.
Les questions du petit: "pourquoi maman ne se lève plus, papa? Pourquoi maman fait autant de bruit en respirant? Quand est-ce que maman va aller mieux?"
Les réponses que je n'ai pas, que je ne sais pas.
Et le ciel est si beau.
Les couleurs de l'automne contrastent avec le gris de notre vie. Si on pouvait encore appeler ça une vie.
Je pense qu'elle s'est arrêtée ce magnifique jour d'été dans le cabinet de ce grand spécialiste, à l'hôpital.
Il avait bien essayé d'y mettre les formes, de vouloir nous ménager.
Mais ses yeux parlaient pour lui et je jurerais y avoir vu la naissance d'une larme plus d'une fois!
Maladie neurodégénérative. NEURODEGENERATIVE.
Ca fait peur à entendre et à lire mais c'est encore pire à vivre.
Héritage génétique: gènes défectueux: on n'y peut rien, c'est comme ça.
A la grande loterie de la vie, notre numéro n'était pas le bon! Point barre!
Et les tests du petit, comme un couperet qui tombe: le tranchant de la guillotine qu'on sent sur sa nuque. Le métal froid. Si froid.


Aujourd'hui

Je regarde mon fils qui s'endort. Qui ne se réveillera pas. Jamais.
La potion fait son effet.
Je sens aussi le poids de mes paupières.
Je m'endormirai juste après lui, pour être sûr qu'il sera bien parti.
Je ne l'ai pas, cette maladie mais je ne veux pas survivre à ça. Je ne le veux et ne le peux pas!
Puissions-nous nous retrouver tous les trois dans un endroit calme, paisible, sans ça, sans gris...




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