Hantise

Date 17-11-2013 06:30:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées



Postée à la fenêtre de ma chambre, je regarde le soleil se lever et éclairer les immeubles gris de ma cité. La nuit fut longue, encore. Je me suis pourtant couchée dans le lit défait. Les yeux rivés au plafond, j’ai cogité, ressassé, imaginé mais pas rêvé.

Par habitude, je me rends dans la cuisine, ou plutôt, je m’y traîne, les pieds de plomb. La boîte de café trône, ouverte, sur le plan de travail. Je me penche au-dessus de celle-ci et hume cette odeur qui m’a toujours rappelé mon enfance chez mes grands-parents, grands amateurs de pur arabica. Ce n’est pas cette odeur caractéristique mais le souvenir de cette dernière qui me fait sourire. En effet, mon odorat n’est plus.

Dans la boîte à pain béante, un pain au chocolat me nargue. Il doit être rassis maintenant, depuis le temps qu’il se morfond d’être mordu goulûment. Je passe devant le frigo et me demande dans quel état doivent être les aliments à l’intérieur. Ma laitue ne doit plus être qu’une flaque verte et mon camembert, un nid de vers blancs. Beurk ! Je grimace en continuant mon chemin.

Je traverse la salle à manger. Le dressoir est recouvert d’une épaisse couche de poussière. Qu’aurait pensé ma mère ? Elle, ménagère irréprochable, qui a usé son existence à récurer tous les recoins de sa maison. Le parquet ciré nous renvoyait notre reflet, tel un miroir et on aurait pu manger sur la lunette des toilettes tellement elle était désinfectée.

Finalement, me voici dans le salon. Je tourne la tête en direction du canapé et sursaute. Depuis le temps, je devrais pourtant être habituée. Et bien, non ! Je ne peux me résoudre à voir chaque jour mon corps inerte, allongé là … en plus dans une position un peu étrange. En effet, les jambes et le buste sont sur le sofa mais la tête pend, à l’envers, et les bras sont sur le sol. L’expression de mon visage est ridicule car j’ai les yeux exorbités et la langue sortie.

Que s’est-il passé ? Il me faut de plus en plus de concentration pour me remémorer ce matin-là. En voyant le bol qui trône sur la table du salon, je me rappelle maintenant. La veille, j’avais fait les courses et je m’étais acheté un grand sachet de M&M’s aux cacahuètes, dont j’ai vidé le contenu dans un bocal.

Ce matin-là, donc, j’avais un peu la flemme. Cela m’arrivait souvent le week-end. En effet, désespérément à la recherche d’un job depuis des mois, je me rendais compte que les samedis et dimanches ressemblaient aux autres jours de la semaine. J’ai donc décidé de lire, affalée dans le canapé du salon, avant de prendre mon petit-déjeuner. J’ai ouvert le bocal et en ai extrait quelques bonbons que j’ai avalés rapidement. Le dernier dans la main, j’ai eu envie de m’amuser. Je l’ai lancé au-dessus de moi, très haut, puis je l’ai rattrapé dans la bouche.

Le seul problème est que le M&M’s s’est coincé dans ma gorge. Je ne parvenais plus à respirer. J’ai bien tenté de tousser, je me suis frappée la poitrine avec force. Finalement, j’ai tenté la position « tête en bas », qui n’a pas apporté la libération espérée. Finalement, j’ai trépassé en silence.

Depuis lors, j’erre dans mon appartement, constatant chaque jour un peu plus les ravages de la putréfaction. Heureusement que je ne sente plus rien ! Aujourd’hui, les premiers vers sortent de mon nez. Il y aura bien un moment où quelqu’un s’inquiétera plus de l’odeur que de mon sort. C’est mon seul espoir de pouvoir être libérée de cette prison. Il faut que quelqu’un sache !

Soudain, j’entends du raffut à l’entrée. On sonne, on frappe, on crie mon nom. Du moins, je crois que c’était le mien. De petits bruits dans la serrure et la porte s’ouvre. Des hommes en uniforme bleu entrent. Je les vois se pincer le nez et avancer précipitamment à travers toutes les pièces jusqu’à ce qu’ils le trouvent. Mon corps est là, son regard les dévisage et sa bouche leur tire la langue comme s’il voulait leur crier : « Trop tard ! ».

Un policier s’approche, pose sa main sur ce qui fut mes yeux bleus et les referme enfin, à jamais. Je me sens légère, vaporeuse et surtout libre ! Adieu monde cruel qui tue ses habitants à coup de cacahuètes multicolores.

Image originale


Chers lecteurs et auteurs, ce texte a été rédigé dans le cadre du défi de la semaine. N'hésitez pas à nous suivre et y participer ici :

http://www.loree-des-reves.com/module ... bb/viewforum.php?forum=21

Merci



Cet article provient de L'ORée des Rêves votre site pour lire écrire publier poèmes nouvelles en ligne
http://www.loree-des-reves.com

L'url pour cet article est :
http://www.loree-des-reves.com/modules/xnews/article.php?storyid=3265