Qui est le boss ?

Date 08-12-2013 16:40:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Qui est le boss ?

Il y a de nombreuses années, Bricaille, un ami lutin, comme moi, est venu à l’entrée de la grotte où je logeais pour me proposer un job. Un job pour lutin ? Une aubaine ! Croyez-moi. Depuis que les sorcières ont été exécutées, brûlées ou pendues, on est un peu au chômage et pas de droit au RSA si on a des oreilles pointues.

Bon, j’ai suivi Bricaille jusqu’à un bâtiment, un énorme bâtiment qui se situait dans une zone reculée et extrêmement froide. Là, j’ai été conduit jusque dans un bureau peinturluré de vert et de rouge, éclairé uniquement par de toutes petites lumières. Une dame à la chevelure rousse et aux petites lunettes en demi-lunes posées sur le bout de son nez crochu, me dévisagea. Les sorcières auraient-elles aussi trouvé un moyen de se faire embaucher ? Je n’osais pas lui poser la question car elle m’impressionnait et n’avait pas l’air commode. Elle me demanda juste mon nom.

« Grabiche, Madame.
- Signez ici et rendez-vous au vestiaire, au bout du couloir. »

Je m’exécutai. Derrière la porte avec l’inscription « vestiaire », je découvris une pièce assez restreinte avec des montagnes de vêtements rouges et verts empilés dans des caisses et, au beau milieu, un petit homme au visage défiguré. Sans émettre aucun son, il s’approcha de moi et commença à prendre mes mesures avec son mètre ruban usé jusqu’à la corde. Il me remit finalement un ensemble complet comprenant un pull en tricot orné d’un renne, un pantalon moulant vert et des chaussures assorties portant un grelot à leur bout pointu. Il me désigna une cabine d’essayage.

Habillé de pied en cape, je m’admirai dans le miroir de la cabine. C’était un peu étrange mais je me trouvai beau. Ensuite, ce fut un écureuil que l’on chargea de me conduire sur mon lieu de travail.

Derrière une énorme porte métallique, je découvris un entrepôt où des centaines de lutins habillés dans le même accoutrement que moi s’affairaient autour de jouets : certains les fabriquaient, d’autres les emballaient ou les comptaient. C’était finalement des ogres qui les rangeaient sur des étagères gigantesques.

Je fus installé sur un poste d’emballage, celui que j’occupe encore aujourd’hui. Nous passions toute l’année dans l’usine. Elle nous nourrissait, nous offrait un lieu de vie, du travail et même des loisirs comme le cocoball (un dérivé de votre foot mais avec une noix de coco) ou encore le oursinton (se joue comme le badminton mais sans raquette et avec des oursins). C’était bien mieux que de vivre dans la forêt. Mais une question me titillait tout de même : à quoi pouvaient bien servir tous des cadeaux ?

J’ai posé la question à Crissoux, mon voisin de poste. Il m’a expliqué que les enfants humains les recevaient dans la nuit du 24 au 25 décembre via l’intermédiaire d’un mystérieux « Père Noël ». Très curieux de nature, je lui demandais plus d’information sur ce personnage. Il m’a juste répondu : « Je n’en sais rien et cela n’a aucune importance. ».

Tout au long de l’année, j’ai tenté de me renseigner sur ce fameux personnage. Nous emballions des livres qui parlaient de lui. Un jour, discrètement, j’en ai dissimulé un sous mon pull. Le soir, lorsque tous les lutins ronflaient (et je vous prie de croire qu’ils le font tous !), j’ai ouvert l’album. Il était magnifiquement illustré. On y voyait un homme bedonnant, à la longue barbe blanche, au visage avenant, habillé en rouge et blanc, avec un bonnet rivé sur la tête, conduire un grand traîneau chargé de cadeaux et tiré par huit rennes volants.
Waouw ! Le voici enfin celui pour qui on travaille, celui qui récompense les enfants sages. Bon, je ne comprends pas bien comment il fait la différence entre les sages et ceux qui ne le sont pas ! Peut-être que, comme pour les adultes qui ont un « casier judiciaire », les enfants méchants sont « fichés » quelque part et ne peuvent plus prétendre à un cadeau. Comme j’aurais aimé le rencontrer cet homme en rouge. Il semblait si sympathique, il était devenu un héros pour moi et cela me motivait encore plus dans mon travail quotidien.

J’ai donc patienté jusqu’au 24 décembre, tout fébrile de pouvoir ne fût-ce qu’apercevoir le « grand patron », adulé par les enfants du monde entier. Je n’en ai pas dormi la nuit précédente. Toute la journée, j’ai vu les ogres retirer les boîtes multicolores des étagères pour les installer sur une sorte d’énorme luge. Huit rennes arrivèrent ensuite et on les attacha à l’attelage. Les animaux étaient majestueux. Et dire qu’ils pouvaient voler ! Comment est-ce possible ? Ils restaient calmes malgré l’effervescence ambiante. Quand le traîneau fut complètement rempli, la fin de notre journée de dur labeur sonna et tout le monde se dirigea vers la cantine et les vestiaires. Mais je ne voulais pas quitter ce lieu, je volais apercevoir notre « big boss ». Mais nous fûmes priés de ne pas traîner. Dans le dortoir, j’ai guetté à la fenêtre mais je n’ai rien vu. Mort de fatigue, j’ai fini par m’endormir.

Le lendemain matin, on nous a annoncé que la distribution s’était bien déroulée et que le patron nous remerciait. Nous n’avions plus qu’à recommencer à remplir les étagères pour l’année prochaine. J’avais donc un an pour mettre en place un plan pour enfin voir mon héros. Cela semblait assez compliqué car, d’après une enquête rapide menée auprès des plus anciens, aucun lutin ne l’avait jamais croisé. Nous ne voyions que des ses sous-fifres, ses porte-paroles ou ses assistants.

Le 24 décembre suivant, je me suis donc caché dans un coin de l’entrepôt. Je gardais à l’œil le fameux traîneau. Lorsque la salle fut vidée de ses employés, j’ai aperçu une silhouette toute maigrichonne s’approcher des rennes. Il a caressé chacun d’eux. Je distinguais mal les traits de l’homme. Je n’ai pu que distinguer un dos voûté et un visage imberbe. Rien à voir avec le Père Noël ! Encore un autre collaborateur parmi d’autres.
Une géante persienne a entamé sa lente ouverture. De l’air glacé chargé de flocons de neige s’est engouffré dans l’entrepôt. J’ai commencé à grelotter. Les rennes ont tiré lentement leur lourde charge jusqu’à l’extérieur, avant que l’ouverture se referme. J’ai couru jusqu’au dortoir, tentant d’apercevoir quelque chose mais le traîneau semblait s’être déjà volatilisé. Normal, avec des rennes volants !
Malgré diverses tentatives les années suivantes, je ne parvins jamais à LE voir. Cela en devenait frustrant. Mes compagnons ne comprenaient pas mon acharnement. Je me sentais bien seul dans ma quête.

Un jour, le lutin messager était à l’infirmerie pour soigner une grippe bulbaire, et on m’a confié son poste. Je devais donc porter des documents, des messages, du matériel de bureau en bureau. En traversant un des nombreux couloirs, je suis resté paralysé devant une plaque clouée sur une porte rouge annonçant « Direction ».

Mon cœur se mit à battre la chamade, l’occasion était trop belle. Mais s’IL se fâchait à ma vue, je risquais de perdre mon job. Que faire ? J’ai collé mon oreille pointue sur le bois verni. Il n’y avait aucun bruit. Peut-être faisait-il la sieste ? J’ai saisi la poignée et je l’ai tournée lentement. La porte s’est ouverte sur un bureau chargé de dossiers et papiers en tout genre. Sur le manteau d’une cheminée où brûlaient quelques bûches, il y avait un portrait représentant le même personnage que dans mon livre. Le Père Noël y arborait un grand sourire généreux. C’est sûr, j’étais bien dans son bureau et celui-ci était vide.

Je détaillais la pièce. Sur un porte-manteau sculpté, était posé le fameux manteau rouge et blanc ainsi que le bonnet au pompon assorti. Sur une sorte de coiffeuse se trouvaient du maquillage, une perruque et barbe blanches ainsi qu’une combinaison qui semblait pouvoir se gonfler d’air via une pipette.

« Que faites-vous là ? »

Mon sang se glaça et je me retournai vers celui qui venait de m’interpeller vertement. Je découvris un homme âgé, au dos voûté et aux petits yeux marron cachés derrière des lunettes rondes. Il me regardait fixement en attendant une réponse à sa question. Je balbutiai :

« Excusez-moi. Je souhaitais rencontrer … Monsieur Père Noël.
- Vous l’avez devant vous ! »

J’écarquillai les yeux. Comment cet homme maigrelet pouvait être mon héros ! Et là, je me remémorai la silhouette aperçue dans le hangar, mon regard partit à nouveau observer les indices qui s’offraient à moi : tous ces éléments faisaient partie d’un déguisement ! Mes yeux se posèrent finalement sur une plaque en étain posée sur le grand bureau en chêne, qui annonçait « Pernaud L. ». Je me suis retourné vers le vieil homme qui m’offrit un petit sourire contrit.

« Monsieur, je ne comprends pas ! Vous n’êtes pas le Père Noël ! Regardez le tableau, vous ne lui ressemblez pas du tout.
- Asseyez-vous mon cher. Je vais vous expliquer … »

Mon patron m’exposa l’histoire de sa famille. Son arrière-arrière-arrière … enfin plusieurs fois arrière-grand-père avait construit cette usine. Grand magnanime devant l’éternel, il désirait offrir des cadeaux pour tous les enfants du monde. C’est son portrait qui trônait sur la cheminée. Il avait souhaité porter un costume vert afin de pouvoir se fondre dans le décor de sapins. Mais, atteint de daltonisme, il en confectionna un de couleur rouge. A l’époque, il choisit de travailler avec les créatures magiques, victimes de discrimination, mais surtout parce qu’ils ne posaient jamais de question. Ce bienfaiteur de l’humanité miniature s’appelait Pernaud Louis. Féru de jeux de mots, il choisit de se faire appeler par le patronyme si connu aujourd’hui.

Ainsi, la tradition se perpétua de père en fils. Il fallait juste que les successeurs portent un prénom commençant par L. Il y eut donc Léopold, Lénin, Léo, Larry et bien d’autres. Le patron actuel s’appelait Lincoln.

Pour le problème de l’apparence, la fausse barbe était utilisée depuis de nombreuses générations car il est arrivé qu’un homme de 30 ans doive prendre la relève suite à un accident de son père. Pour l’embonpoint, il y avait la combinaison gonflable. Et finalement une bonne sorcière maquilleuse permettait de rendre l’illusion parfaite.

Pour la distribution des cadeaux, j’appris que c’était les fées qui s’en occupaient. Pas de rennes qui volent. Ils sont juste là pour le transport en-dehors de la zone polaire car les ailes des fées gèlent et elles meurent.

« Voilà, vous savez tout et vous êtes un des rares dans la confidence. »

Je tendis la main à l’homme en face de moi en annonçant :

« Enchanté de travailler pour vous, Monsieur. »

Il me la serra et je sortis prestement de son bureau, un grand sourire aux lèvres.

C’est donc ainsi que je découvris que le Père Noël n’existait pas ou plutôt plus. Mais son esprit anime toujours notre usine.

Voilà mes amis. C’est une grande révélation que je vous fais ici et je n’en ai jamais fait part à mes camarades. De toute façon, ils ne s’en préoccupent pas. Mais les mythes nous font rêver et celui-ci a pour fonction de rappeler aux enfants de rester bien sages ! Mais chut ! Ne leur dites pas …

Amitiés de Grabiche.

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