Pour qui sonne le glas ?

Date 18-12-2013 06:54:07 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Pour qui sonne le glas ?

Nous sommes début décembre et je flâne au milieu des chalets du marché de Noël qui semblent tout droit débarqués de Suisse. C’est le matin et seule la patinoire est ouverte. Quelques téméraires se risquent sur la glace, déjà fondante en raison des températures trop clémentes pour la saison. Un jeune homme semble en difficultés et finit le derrière dans une flaque. Je souris de sa maladresse.

Soudain, le clocher de l’église toute proche se met à sonner. Je vois un corbillard noir se parquer devant le parvis. Les sonneries lancinantes du glas semblent m’appeler et mes pas me conduisent vers l’édifice imposant.

À l’entrée, un maître de cérémonie s’affaire à disposer les gerbes de fleurs multicolores. Cette explosion de couleurs printanières tranche avec les tenues sombres des personnes qui pénètrent dans l’église. Je les suis jusqu’à l’intérieur où une mélodie de circonstance est jouée par un vieil orgue. Même quelqu’un qui n’a personne à pleurer serait enclin à verser une larme. Préférant la discrétion, je m’assieds sur une chaise en retrait.

Un autre homme en noir place la famille. Les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Mandela a oublié de s’attaquer à la ségrégation sexuelle au sein de l’Eglise. Le pauvre, il vient de nous quitter, lui aussi. Un coup d’œil à ma gauche m’indique que je me trouve à côté d’un confessionnal. La dernière fois que je me suis assise là-dedans, c’était juste avant ma communion solennelle, il y a plus de septante ans. Il me faudrait plusieurs jours pour confesser tous mes péchés commis depuis lors.

Soudain, tout le monde se lève. Un invité de marque serait-il entré ? Oui, le cercueil ! Ce dernier a été posé sur une sorte de grande desserte à roulettes, ceci évitant des maux de dos aux quatre porteurs. Ces derniers ont une allure de gardes du corps. Ils n’auront pas à assumer ce rôle puisqu’apparemment il n’y a plus une once de vie dans le corps qu’ils entourent.

Une fois le cercueil devant l’autel, le prêtre remet une bougie allumée au cierge Pascal à une femme en pleurs. Celle-ci se dirige vers les quatre bougeoirs qui entourent le cercueil. En raison de sa petite taille, la dame ne parvient pas à allumer les cierges. La famille, profondément recueillie dans ses prières ne remarque pas la détresse de leur parente. C’est le prêtre qui arrive à la rescousse, soucieux qu’à force de contorsion, elle ne finisse par mettre le feu à son lieu de travail.

A ce moment, quelques retardataires font leur entrée. Ils s’installent sur le côté avec un air de touristes. Sont-ils venus contempler les statues de saints, les peintures anciennes, l’architecture baroque ? Ou veulent-ils juste se repaître d’un petit morceau d’hostie ?

Le prêtre entame l’office avec des textes saints ponctués par des chants entonnés avec une voix fausse de castra. Il commence son discours en évoquant les droits de l’homme (Nelson, une pensée pour toi) pour terminer avec des propos encensant le mort. Je suis persuadée qu’il serait capable de faire passer Al Capone pour un Saint Son éloquence ne tient pas en haleine toute l’assemblée car j’entends ça et là de petits cliquetis caractéristiques aux piécettes qui s’entrechoquent, prêtes à être servies à l’offrande, soigneusement choisies parmi les plus insignifiantes du portemonnaie. D’autres petits bruits se font également entendre. Ils sont émis par les touches de GSM émettant un SMS qui reçoit une réponse en musique avant d’être réduit au silence et fourré dans le sac.

Vient finalement le temps de l’offrande. En file indienne, tous se dirigent, la pièce à la main, vers le petit panier d’osier qui reçoit l’argent. En échange, il est possible de poser les lèvres sur une croix de bois entre les mains du prêtre. Mais la plupart se contentent de toucher l’objet sacré, évitant ainsi une contamination certaine car de nombreux toussotements résonnent dans l’édifice depuis le début de la cérémonie.

Puis c’est l’Eucharistie. Il était temps car j’entendais quelques gargouillis dans l’assemblée. Chacun rejoint ensuite sa place, un morceau du Corps du Christ sur le bout de la langue. J’observe chaque personne et l’expression « une tête d’enterrement » prend tout son sens. En effet, il n’est jamais agréable d’assister à ce genre de cérémonie … surtout le sien !

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