Vous avez dit "vacances" ?

Date 02-02-2014 15:59:46 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Vous avez dit « vacances » ?

Mon mari étant originaire du Bangladesh, j’ai finalement dû me résoudre à aller à la rencontre de ma belle-famille. Nous étions alors parents de deux garçons de quatre et deux ans. Mon époux est le deuxième d’une fratrie de onze. Moi, fille unique, j’appréhendais un peu cet afflux soudain de beaux-frères et belles-sœurs.

Nos valises donc pleines à craquer passent sous le regard suspicieux d’un agent de douane et surtout sur la balance de la compagnie aérienne.

« Trente-cinq kilos ! Vous savez que c’est vingt-huit maximum ? »

À ce moment-là, on adopte notre air de chiens battus.

« Allez, c’est bon ! »

Enfin, l’embarquement, plus tardif que prévu. Nous atterrissons à Heathrow, un aéroport tentaculaire. Juste le temps de prendre nos marmots sous les bras, on court comme des dératés. Arrivés devant la porte d’embarquement, on voit notre avions s’éloigner en semblant nous faire la nique.

Un détour vers le guichet d’information et nous nous rendons dans une petite salle bondée. Il nous faut huit longues heures pour obtenir d’autres tickets pour partir le lendemain à 6 heures. Il est maintenant 23 heures et nous tombons tous de fatigue. On nous remet un ticket d’hôtel. Dans l’entrée de celui-ci, à nouveau une file interminable. Bon, on tente le tout pour le tout. Armés de nos yeux de chiens battus (on s’est entrainés avant de partir !), on dépasse tout le monde et nous nous plantons devant un gars derrière un grand bureau de chêne.

Ça marche à nouveau et même les personnes derrière nous ont pitié. On nous remet les clés de deux chambres. Juste le temps de fermer les yeux et il est temps de reprendre la route pour l’aéroport. Un taxi pakistanais nous dépose à l’aéroport, sûrement au double du tarif normal car il n’y a aucun compteur.

Enfin, nous embarquons dans l’avion qui est censé nous mener dans la capitale bengalie. Nous sommes au bout de l’avion, classe éco oblige. Bon ce n’est pas la soute, mais presque !

L’avion entame enfin sa lente descente vers Dacca et je jette un œil par le hublot. S’offre alors à ma vue un paysage totalement inconnu : des cocotiers, des routes de terre rougeâtre, de grandes étendues d’eau puis une ville au bâti vétuste, serré et parfois délabré. Je suis très loin de ce que je côtoie depuis mon enfance, je perds tous mes repères.

Nous suivons les autres voyageurs jusqu’à des guichets archaïques où des hommes à moustache nous font compléter des questionnaires. Direction ensuite vers les ceintures qui vomissent des bagages ficelés, des valises en skaï des années 70, et même des rouleaux de couvertures multicolores. Nous parvenons à retrouver une de nos valises mais pas les trois autres. Après une nouvelle attente, dénotant la performance plus que médiocre du bagagiste local, mon mari remplit divers formulaires au bureau des réclamations. Il nous faudra patienter quelques jours pour récupérer nos biens, et notamment les couches du petit.

À la sortie de l’aéroport, des bras s’agitent à notre adresse et les personnes vues sur des photos deviennent enfin réelles. Un de mes nombreux beaux-frères s’approche de nous. Grandes embrassades fraternelles. Mon beau-frère ne me serre même pas la main, mais me baragouine quelques mots dans un anglais hésitant. Un échange de sourires gênés et nous nous dirigeons vers la sortie. Dès les portes vitrées et salies, dépassées, je suis assaillie par une chaleur qui me fait me transformer rapidement en poupée dégoulinante. La moiteur de l’air transporte une odeur de terre, d’épices, de nature et de pollution.

Nous apercevons la camionnette de location, parquée devant le bâtiment, sûrement la plus pourrie du village. Nos bagages enfournés sans grand ménagement dans le coffre par le chauffeur, aussi de location, nous nous engouffrons dans le véhicule qui a eu le temps de se transformer en cocotte minute. Nous ouvrons rapidement les fenêtres, du moins celles qui le permettent encore, afin de profiter de quelques mouvements d’air qui se créent quand la voiture parvient à atteindre plus de dix kilomètres heure ; ce qui n’est pas chose aisée étant donné le grouillement de population devant nos roues.
Les routes sont encombrées de toutes sortes de véhicules : voitures privées ou taxis avec pare-chocs latéraux renforcés, rickshaws (sorte de pousses-pousses avec un vélo), bicyclettes qui, chez nous, seraient déjà croupissantes dans une décharge, et, au milieu de tout cela, des piétons risquant leur vie pour traverser la chaussée. Nos oreilles sont assaillies par la cacophonie ambiante mêlant sonnettes, klaxons et cris.

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Lors d’une accélération un peu trop appuyée, le coffre s’ouvre brusquement et nos bagages à main ainsi que notre unique valise se font littéralement la malle. Ils atterrissent lourdement sur la route de terre et de pierres, comme semées par un Petit Poucet malicieux. Notre cri alerte le chauffeur qui s’empresse d’aller récupérer nos biens avant qu’ils n’attirent la convoitise des passants.

C’est alors qu’une dame avec une petite fille famélique dans les bras s’approche de la porte ouverte et s’adresse à moi avec une petite voix geignarde ne tendant la main. Je ne comprends pas un traitre mot de son laïus mais j’en perçois le sens profond. Voyant mon teint blafard, jurant au milieu de celui des autochtones bronzés, elle a compris mon origine lointaine, me procurant une réputation de grande richesse. Au retour des hommes, un billet froissé est précipitamment glissé dans sa main fripée et elle est repoussée sans ménagement vers le trottoir couvert de déchets.

Le soir tombe peu à peu. Notre fils aîné, âgé de quatre ans, sort enfin de son mutisme et nous questionne :

« C’est bientôt la nuit. On rentre à la maison ? »
Là, on lui rappelle doucement que l’on compte rester ici deux semaines et il fond en larmes. Mon cœur de Maman se serre en me demandant « Dans quelle galère les ai-je emmenés ? »

Après de longues heures d’un voyage chaotique, nous suivons, à pied, nos guides et arrivons dans une sorte de cour en terre battue, entourée de diverses habitations faites de bois et de tôle ondulée.
Là, plusieurs femmes fondent sur moi comme des rapaces sur leur proie. Après un rapide salut, elles m’entraînent dans une maison et ferment toutes les portes. Mon mari me lance : « Laisse-toi faire ! »

Je suis prise en otage par toutes ces femmes basanées. Mon avantage est qu’elles sont toutes plus petites que moi. Je comprends que je dois me déshabiller, et surtout me déparer de mon pantalon, vêtement réservé ici à la gente masculine. Je suis en petite culotte devant de parfaites inconnues qui piaillent.

Après un long débat houleux, elles m’enfilent une blouse courte et serrée, puis on me passe par la tête une jupe longue qui s’attache à l’aide d’une fine ceinture de coton que les femmes serrent énergiquement autour de ma taille à me couper la circulation des jambes. Deuxième étape : l’emballage dans une longue étoffe soyeuse de couleur sombre. La technique me semble compliquée et issue de traditions ancestrales. Plein de petites mains peaufinent ma tenue à l’aide d’épingles de sûreté. Très heureuses du résultat, elles me libèrent enfin.

Je descends l’escalier de terre menant à la courée. Ce n’est pas le moment de prendre une gamelle car j’ai l’impression que tout le village a débarqué pour venir me voir … moi, la femme blanche, la bête curieuse, à l’instar du Yeti ou du serpent à deux têtes.

Mon mari sert d’interprète car très peu parlent anglais et moi je ne maîtrise aucunement le dialecte local. Une femme s’approche très près de moi et plonge son regard dans le mien avant de demander si la couleur de mes yeux, bleus en l’occurrence, est naturelle. J’aimerais tant lui répondre : « Ils étaient livrés en option à l’origine, deux pour le prix d’un, j’ai sauté sur l’occasion. »

Exténués, on nous emmène dans notre chambre qui comporte un grand lit de trois personnes (oui, ça existe là-bas) qui servira pour nous quatre. Il s’agit du lit des mes beaux-parents qui devront se contenter de la couche dure de la réserve de pommes de terre.

Nous sommes en janvier et le froid tombe avec la nuit. Les habitations n’ayant aucune isolation et le chauffage étant un concept inexistant, nous sommes donc heureux de nous blottir les uns contre les autres, tous habillés car ici personne ne porte de pyjama et les nôtres sont perdus quelque part dans un aéroport entre Londres et Dacca.

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