Le prix des vacances

Date 07-02-2014 20:14:03 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Le prix des vacances

Cela fait quelques temps maintenant que j’épargne pour m’offrir enfin quelques jours de vacances au soleil. Il est vrai que dans mon pays natal, la Belgique, celui-ci fait cruellement défaut et mon corps s’en languit. Si la pluie et le froid mettaient les gens de bonne humeur, nous serions un des peuples les plus joyeux au monde. Mais faisant contre mauvaise fortune bon cœur, nous gardons la frite !
Ma tirelire semble suffisamment remplie pour que je parte à la recherche de mes vacances tant méritées. Comme nous sommes en janvier, je devrais pouvoir bénéficier d’une promotion. Après avoir calculé le montant exact de ma fortune, je sors en direction du centre-ville.

Dans la rue du Levant, le bien nommée, se trouvent trois agences. J’entre dans la première et expose mes desiderata et mon budget. La dame me regarde avec de grands yeux ahuris en annonçant :

« Ce n’est pas Lourdes ici. On ne fait pas de miracle, Mademoiselle ! »

Je deviens écarlate et sors de la boutique pour me rendre dans la suivante. Celle-ci est bondée. J’ai le temps de consulter les catalogues qui m’intéressent. Mais il me faut me rendre à l’évidence : mon budget ne colle pas avec mes ambitions. Deux options s’offrent à moi : soit je continue à faire l’écureuil une année supplémentaire, soit je me contente de la Bretagne ou de l’Alsace.

Je sors de l’agence et avance, dépitée. Au coin d’une ruelle, une statue de Sainte Rita me lance son regard plein de compassion. Je murmure : « C’est une vraie cause perdue, je ne partirai pas cette année au soleil. »

Je continue à errer dans la ville en ruminant mon désespoir lorsqu’une enseigne clignotant de manière irrégulière attire mon attention. Celle-ci annonce : « Chez M., vacances pour tous ». Une promesse qui me redonne espoir. Je pousse la porte de la petite boutique sombre. Le grincement aigu de la porte fait sortir un petit homme moustachu d’une pièce arrière, comme un diable hors de sa boîte. Il m’adresse un grand sourire auquel il manque une incisive avant de prendre la parole avec un accent marseillais.

« Bonjour jeune demoiselle. Vous avez besoin de vacances ensoleillées. Vous êtes tout pâlichonne. Vous avez frappé à la bonne porte. Asseyez-vous et confessez-moi tout. »
Quelle invitation ! Il est prêtre ou agent de voyage ? Je suis un peu perplexe mais je prends place sur le tabouret bancal placé devant un bureau jonché da catalogues écornés, de journaux en arabe, de photos aux couleurs passées, etc.

J’expose finalement mon projet et surtout la maigreur de mes économies au petit homme basané. Il se gratte bruyamment le cuir chevelu clairsemé, avant de fouiller ses tiroirs avec frénésie. Ses recherches semblent fructueuses car une lueur s’allume soudain dans son regard. Il me présente une fiche en noir et blanc vantant les mérites d’un hôtel à l’enseigne « Bienvenoue ché nou » situé au Maroc. L’unique photo montre un bâtiment moderne, des chambres avec balcons et une jolie piscine. Le descriptif parle d’un ascenseur, de la climatisation et vue sur la mer. Le prix en « all in » défie toute concurrence et me permettrait de passer sept jours dans ce petit paradis. Je n’hésite pas longtemps et signe le bon de commande à l’endroit désigné par le doigt à l’ongle noir de l’agent.

Le grand jour du départ est arrivé. Ma valise contenant mon nouveau maillot de bain à pois verts, mes shorts, mes T-shirts multicolores, ma crème solaire indice 150 (oui, ça existe), est bouclée et enregistrée au comptoir de la compagnie Bryanair à l’aéroport de Bruxelles sud. Ce dernier n’est nullement situé dans la capitale belge mais dans une autre ville appelée Charleroi.

Le vol se passe sans encombre. J’évite toutefois de demander à boire ou d’aller aux toilettes car cela grèverait lourdement mon budget « cadeaux ». Au sortir de l’aéroport, je cherche le taxi promis par l’agence. De nombreux chauffeurs brandissent des pancartes avec des noms de famille mais aucun avec le mien. Il y a toutefois un petit garçon âgé d’une dizaine d’année qui tient une feuille mentionnant le nom de mon hôtel. Je m’approche et il me confirme que c’est bien moi qu’il attend. J’espère qu’ils ne donnent pas le permis à de si jeunes enfants au Maroc. Il m’emmène en direction d’une camionnette blanche, ou du moins elle l’était à l’origine, où un homme corpulent attend en fumant un mégot.

Il me salue, met ma valise à l’arrière et m’ouvre la porte passager. Je grimpe à côté du petit garçon et on se met en route dans un bruit de moteur hurlant. Après une bonne heure à traverser une ville au trafic dense dans la chaleur étouffante du véhicule, je suis heureuse d’entendre un « On arrive, M’dame. »

L’homme se parque devant un bâtiment qui semble en construction. L’architecture est la même que celle de la photo à part que les murs sont en parpaings bruts et des câbles électriques pendent à l’extérieur. Une grande pancarte peinte à la main annonce bien le nom de mon hôtel de rêve … mais j’ai l’impression que je vis un cauchemar. Mon chauffeur dépose ma valise à la réception et s’en va. L’entrée est jonchée de blocs de béton, de seaux de ciment, de matériel divers. Une sonnette est posée sur le comptoir recouvert d’une poussière blanche. Je l’actionne à plusieurs reprises avant qu’un homme maigrelet et au nez démesuré vienne s’enquérir de mon sort. Je le vois frotter énergiquement ses mains sur un essuie noirci de crasse avant de s’avancer vers moi.

« Salam et bienvenoue ché nous ! Suivez-moi zusque votre chombre. »

Il prend l’unique clé qui pend et prend ma valise. On entame la montée des escaliers. En passant devant ce qui me semble une porte d’ascenseur, je questionne le groom :

« L’ascenseur est en panne ?
- Non, il n’est pas zencore zinstallé. Mais ze peux vous porter si vous voulez. »

Voyant la stature famélique de l’autochtone, je refuse gentiment.

Nous arrivons devant la chambre 213 qu’il m’ouvre en m’invitant à entrer. Les murs en ciment brut ont été peints en bleu, le lit de deux personnes a l’air propre et la garde-robe semble neuve. Mais la chaleur y est étouffante.

« Il était noté climatisation dans l’annonce, elle n’est pas installée non plus ?
- En effet, mais nous zavons de bons ventilateurs. Ze vous en zapporte un de suite. »

Ou la la ! Dans quelle panade je me suis mise moi !
J’entre dans la salle de bain avec appréhension. Elle est moderne, propre et comporte une douche, un lavabo et une toilette. J’ouvre le robinet pour me rafraichir mais une eau boueuse en sort. Je sursaute et crie. Le groom qui vient d’allumer le ventilateur dans la chambre, se précipite vers moi.

« Qu’est-ce qui sé passe ? »

Je lui désigne mon problème et il m’explique :

« Ze vais remplir la couve. Né bouzez pas ! »

Je commence à installer mes vêtements dans la garde-robe quand il revient. Il fait couler l’eau pendant quelques minutes avant qu’elle devienne enfin claire.

« Voilà ! Surtout ne bouvez pas l’eau. »

Je jette un œil par la fenêtre et évidemment on ne voit pas les flots promis.

« Et la vue sur la mer, elle n’est pas encore installée aussi ?
- Si, vous l’avez. Régardez … là ! »

Il me désigne du doigt un restaurant à l’enseigne « La mer ». Je regarde l’hôtelier qui me dit avec un grand sourire :

« Voue sur « La mer » !
- Et la piscine ?
- Euh …
- En construction !
- Voui ! »

Il sort en fermant bruyamment la porte. Je m’affale dans le lit trop mollasse en maugréant contre ma naïveté. Comment ai-je pu croire aux balivernes de cet agent véreux ? Maintenant, je n’ai pas le choix, je vais passer sept jours ici. Au moins, il y a le soleil !

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