Prologue : Chroniques d'un Enfant des Ages Obscurs ; avant relecture ; Première Partie

Date 26-02-2014 11:10:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Je me nomme Anthelme, j’ai trente-cinq ans, et je suis écrivain. Enfin, je prétends l’être puisque je n’ai jamais rien publié. D’ailleurs, je n’ai jamais cherché à me faire éditer. Cela ne m’intéresse pas. Et puis, de toute façon, qui voudrait entendre mon histoire. La plupart des gens sont trop préoccupés par les aléas de leur propre existence pour se pencher sur les vicissitudes de la mienne. Ils mènent des existences mornes et sans attrait – à mes yeux du moins -, et ils me le rendent bien. Quant à ceux que je fréquente habituellement, le « Grand Art », puisque c’est ainsi que je qualifie le fait d’écrire, sans parler de ses multiples implications, les laisse indifférents. Au mieux, ils s’en détournent pour s’enthousiasmer à propos de faits plus concrets, la recherche d’un emploi, le dernier film qu’ils ont vu au cinéma, les plus récents potins mondains de la presse people, ce qu’ils ont mangé au restaurant quelques jours auparavant. Au pire, ils s’en moquent, me jaugeant de haut comme si j’étais un condamné à mort attendant la sentence d’un jury populaire. Ou ils me regardent comme un pestiféré dont la présence les empêche de se gargariser de leur quotidien insipide.
Je sais. Je ne devrais pas juger mon entourage de cette manière. Mais je n’y peux rien, c’est plus fort que moi. Je me sens si seul au sein de cette famille dont la plupart des membres me traitent comme un moins que rien. Ils m’ont si souvent blessé, humilié, trahi ma confiance, dévalorisé, qu’aujourd’hui je les méprise du plus profond de mon âme et de mon cœur. Je suis conscient que ce n’est pas une attitude « normale ». Pourtant, que voulez vous, c’est ainsi.

Prenons mon père par exemple : il se nomme Donatien. Il a soixante-quatre ans ; c’’est le troisième enfant d’une lignée de quatre frères et d’une sœur. Mais il ne les fréquente plus qu’épisodiquement. Il est grand, les cheveux bruns tirant sur le gris foncé. Il a des yeux bleu-acier qui le rend irrésistible selon certaines femmes. Son visage anguleux d’ancien militaire en a fait chavirer plus d’une. Son corps musculeux et noueux, couturé de cicatrices et tatoué aux endroits les plus intimes de sa personne les électrise. « Une donzelle dans chaque port, ainsi qu’il l’aime à dire, c’est le meilleur moyen d’être en paix chez soi. ». Je n’ai jamais compris ce qu’elles lui trouvaient. Malgré tout, tout le long de sa vie – et aujourd’hui encore, alors qu’il est uni à ma mère depuis près de trente ans -, il a accumulé maitresses de longue durée ou amantes d’un soir. Si elles le connaissaient comme je le connais, je suis sûr qu’elles réviseraient leur jugement le concernant. Quant à ma mère – Adryenne ; de deux ans sa cadette -, elle est évidemment au courant des incartades répétées de mon père à leur contrat de mariage. Il y a bien longtemps qu’elle a laissé derrière elle toutes ses illusions. Elle n’est pas dupe. Elle sait parfaitement que son ménage est un fiasco. Et si elle tient à sauver les apparences, c’est surtout pour ne pas se mettre à dos le reste du Clan Saint-Ycien.
Parmi les membres du Clan, tout le monde, ou presque, connaît le tempérament de mon père. C’est un coureur de jupons invétéré. Je l’ai même vu essayer de séduire Lilia, la petite sœur de Sidonie, la seconde épouse de son frère Edmond – qui a deux ans de plus que lui -, le jour de la cérémonie de Pacs de ce dernier. Celle-ci venait tout juste de fêter ses dix-huit ans ; elle était mignonne comme tout dans sa longue robe vermeille, avec ses longs cheveux dorés et sa silhouette fine. Il n’a pas arrêté de discuter avec elle durant le repas de noces. A un moment donné, je l’ai aperçu tenter de lui glisser l’une de ses mains velues aux ongles noircis de terre entre les cuisses. Elle l’a évidemment repoussé. Gentiment, de sa petite voix fluette, le rouge aux joues, elle s’est levée et s’est éloignée pour s’installer à l’autre bout de la table de réception. Pourtant, cela ne l’a pas empêché de la lorgner jusqu'à la fin de la soirée. C’en était tellement gênant que j’ai failli aller lui dire d’être plus discret. Mais je n’ai pas osé, parce que je savais quelle réaction il aurait. Il m’aurait giflé avec force, quitte à m’envoyer au tapis. « Petit con, mêle toi de ce qui te regarde, aurait t’il vociféré. ». Il aurait déclenché un esclandre, déclarant que « si c’était pour être insulté, qui plus est par son propre fils, il ne serait pas venu. ». Ma mère aurait éclaté en sanglots, s’excusant pour lui, expliquant qu’en ce moment, il avait des problèmes avec ses associés. Ses frères et sœurs, ainsi que leurs conjoints, se seraient contenté de hocher la tète silencieusement, avant de retourner à leurs discussions avinées. Et l’incident serait aussitôt passé aux oubliettes.
C’est pour cette raison que, ce jour là, je n’ai rien dit. J’avais alors une dizaine d’années. Mais, déjà, j’avais une idée assez précise du genre d’homme qu’était mon père. Je connaissais son caractère par cœur. Je savais quel comportement il pouvait avoir. Il n’a aucun complexe, se croit supérieur aux autres. Il sait se sortir des situations les plus inconfortables avec aisance. Il désarçonne ses contradicteurs en retournant les fautes qu’ils pourraient lui reprocher contre eux. Il réussit souvent à se faire plaindre en racontant à qui veut l’entendre tous les mauvais coups du sort qu’il a subi au cours de sa vie. Et, le plus souvent, ceux qui l’écoutent oublient qu’il est à l’origine de tel ou tel scandale ; parfois même, dans la foulée, il parvient à attirer dans ses filets l’une des plus séduisantes jeunes femmes présentes : quittant les lieux à son bras, il la raccompagne chez elle, d’où il repart à l’aube, quand il ne la culbute pas directement dans le parking où il a garé sa voiture.




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