Prologue : Chroniques d'un Enfant des Ages Obscurs ; avant relecture ; Seconde Partie

Date 27-02-2014 11:13:10 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Que voulez-vous ? Adolescent, Victorien et Allondra, ses parents, ainsi que ses frères et sa sœur, lui ont toujours tout pardonné. Ils l’ont toujours pris sous son aile lorsqu’il se retrouvait confronté à la dure réalité de la vie. Ils l’ont toujours considéré comme le moins doué de la Fratrie, un moins que rien auquel ils se devaient de venir systématiquement en aide. C’est d’ailleurs Félicien, l’ainé des Saint-Ycien, qui, à force de le voir sombrer dans la petite délinquance et de s’adonner aux stupéfiants, lui a suggéré d’entrer dans l’armée. Cela faisait près de trois ans que mon père avait quitté ses études, d’après ce que j’ai appris il y a quinze ans. Il végétait, se cramponnait désespérément à l’argent que lui fournissait discrètement Allondra, mais le claquait en quelques jours : de boites de nuit en virée nocturnes pour se procurer cocaïne ou filles faciles, il lui filait entre les doigts avec une facilité déconcertante. Jusqu’au jour où Félicien, de douze ans plus vieux que lui, a pris les choses en mains. Se substituant à Victorien et Allondra – ils n’étaient alors pas encore décédés et mon père logeait toujours chez eux malgré le fait qu’il approchait de ses vingt-cinq ans -, il a exigé que Donatien réagisse. Ni une ni deux, il l’a emmené lui même au centre de recrutement de l’armée de Besançon ; c'est-à-dire le plus proche de chez eux. Il l’a obligé à signer les documents l’engageant durant cinq ans dans l’armée de Terre. Puis, il l’a planté là avec son paquetage devant un lieutenant médusé par l’attitude de Félicien et le peu de réaction de mon père face à ce dernier.
Personnellement, je suis convaincu que, lors de cet épisode, mon père devait être défoncé. Sinon, il ne se serait pas laissé embarquer dans cette histoire aussi facilement. Sanguin comme il l’est, celui-ci aurait juré ses grands dieux qu’il allait tout essayer pour ne plus succomber à la tentation de la drogue ; et de l’alcool par la même occasion – déjà ! Il aurait dit que, de toute manière, ni mon grand-père, ni ma grand-mère, ni Félicien, ni les autres, ne le comprenaient. Que c’était pour cette raison qu’il sniffait, « pour oublier combien ils lui pourrissaient l’existence. ». Puis, il se serait jeté sur Félicien qui, bien qu’il soit doté d’une forte carrure, aurait eu, à mon avis, beaucoup de mal à le dominer.
Tout cela pour dire que l’homme qui me sert de géniteur n’est vraiment pas ce qui se fait de mieux dans le genre. Car, je viens de vous relater des faits qui se sont déroulés dans un passé plus ou moins lointain. Mais son caractère ne s’est pas amélioré avec le temps. D’un coté, ses problèmes de drogue ont disparu. Par contre, il n’a pas arrêté de boire. Du premier souvenir que j’ai de lui, je le vois se tenant dans un coin situé dans la pénombre de la salle à manger de l’immense demeure de mes grands-parents, à Baume les Dames, avec un verre de whisky à la main. D’après la rumeur, il parait qu’il n’a pas pu honorer ma mère, toute juste épousée, le jour de ses noces, tellement il était saoul. Aujourd’hui encore, s’il n’engloutit pas sa demi-bouteille de vodka au petit-déjeuner, il sera de mauvaise humeur toute la journée.
Car, hélas pour nous, mon père est aussi un individu violent. Oh, il ne s’en prend aucunement aux inconnus. Il traine volontiers dans les bars de nuit de Besançon ou dans les rues mal famées de la vieille ville. Il s’acoquine aisément avec les types louches qui croisent sa route. Il dépense des centaines d’euros au cours de ses virées nocturnes, payant tournées générales sur tournées générales à l’ensemble des soiffards qui ont le « privilège » de croiser son chemin. Je le soupçonne même de se payer les services d’une prostituée de seconde zone de temps en temps. Mais il rentre toujours au domicile conjugal l’aube venue.
Tout le long de mon enfance - après que mes grands-parents aient payés comptant à mon père notre habitation actuelle, et que nous ayons emménagé à Boussières sur le Doubs - et de mon adolescence, Silëus, Ygraine ma mère et moi – qui suis l’ainé -, avons subi son comportement En ce qui concerne ma mère, c’est toujours le cas à l’heure actuelle, bien que nous ayons quitté le domicile familial depuis longtemps.
Ainsi, chaque matin, nous buvions café ou chocolat chaud à la table de la cuisine. Nous voyions alors mon père débouler dans la cuisine. Parfois, il tenait à peu près debout, il parvenait à s’exprimer plus ou moins correctement. D’autres fois, par contre, c’était presque à quatre pattes qu’il apparaissait, et un filet de bave jaunâtre s’écoulait de ses lèvres. Il était obligé de se tenir aux meubles qui avaient le malheur de se trouver sur son passage. Son visage bouffi par le manque de sommeil, les yeux injectés de sang, mal rasé, les joues et le nez couperosés, il s’agrippait tant bien que mal au buffet campagnard installé dans le couloir menant à la cuisine. Il faisait valser la plupart des objets de décorations posés dessus. Combien de vases de babioles, de photos de nous encadrées disposés là, atterrissaient immanquablement sur le sol ? Combien de fois ses chaussures crottées les ont pulvérisés ? Des dizaines, des centaines de fois, peut-être ! Puis, en entrant dans la pièce, il marmonnait des propos incohérents. Aussitôt, son haleine, qui aurait pu faire fuir un putois, investissait les lieux. Et il n’avait pas atteint l’évier qu’un flot nauséabond et verdâtre de bile et d’alcools de toutes sortes se déversait sur le carrelage.
Ensuite, il réussissait le plus souvent à atteindre la première chaise à proximité de lui, et à s’y asseoir. Il nous dévisageait, comme s’il avait du mal à nous reconnaître. Il jetait un œil vers ma mère, en larmes, qui s’était statufié aussitôt qu’elle avait entendu le son si identifiable de ses pas dans le corridor reliant la porte d’entrée à la cuisine. Il l’observait un instant, semblant avoir du mal à se souvenir qui elle était. Finalement, son regard s’éclairait brièvement. Du fin fond de sa mémoire nébuleuse et embrumée par les vapeurs de breuvages indéterminés dont il était imbibé, il parvenait à l’identifier. Il lançait un « Peuh » dédaigneux et plein de mépris vers elle. Et il s’effondrait sur la table, la tète disparaissant au creux de ses bras s’étant étalés sur toute la surface de cette dernière ; dispersant ainsi aux quatre vents nourriture et ustensiles qui y étaient disposés.
Ca, bien entendu, c’était dans le meilleur des cas. Les jours où il était assez lucide pour ne pas terminer sa course pratiquement allongé sur la table de la cuisine, ses ronflements sonores résonnant dans toute la maison, la situation dégénérait. Il pénétrait dans la pièce en nous fixant à tour de rôle. Son regard fiévreux dominé par la hargne et le ressentiment passait de Silëus, à Ygraine et à moi. « Vous n’êtes pas encore à l’école – au collège -, nous disait t’il. Bande de feignants, vous ne valez pas mieux que votre branleuse de mère. Vous finirez tous chômeurs. Et toi, ma fille, insistait t’il, si un idiot ne t’engrosse pas avant, tu suceras des bites jusqu'à ta retraite. ».
Dès lors, Ygraine, qui même quand elle était petite, avait très vite compris ce que ce genre de propos cachait, se mettait à pleurer. Elle se levait précipitamment, et sortait, se réfugiant dans le dressing non loin de la porte donnant sur l’exterieur de la maison. C’était là que nous mettions nos chaussures et nos blousons, avant de nous rendre en classe. C’était surtout là qu’Ygraine pouvait laisser échapper ses sanglots d’incompréhension, de colère et haine. Il faut avouer que, des trois enfants que mon père et ma mère ont eu ensemble, c’est elle la plus sensible. C’est elle qui a toujours vécu cette ambiance détestable le plus durement. Et si, aujourd’hui, elle est régulièrement en dépression, qu’elle effectue des séjours fréquents en maison de repos, ce n’est pas pour rien. Si, de son coté, Silëus, homosexuel refoulé, erre de ville en ville en compagnie d’individus en voie de clochardisation et qu’il en en arrivé à haïr la Société, il n’est pas nécessaire d’aller chercher les raisons très loin. Notre enfance et notre adolescence n’ont pas été des parties de plaisir, loin de là.
Mais, à cette époque, à chaque fois qu’il rentrait saoul, Silëus et moi essayions de faire comme s’il n’était pas là. Nous continuions de prendre notre petit-déjeuner en silence. Nous jetions de temps à autre des coups d’œil apeurés en direction de notre mère. Car nous savions qu’une fois que nous aurions disparu de la pièce, les événements allaient dégénérer. Nous tentions donc de faire durer l’instant le plus longtemps possible. Malgré tout, nous ne pouvions pas nous permettre de trainer. D’une part, parce que le bus qui s’arrêtait à l’angle de notre rue ne nous attendrait pas. D’autre part, parce que c’était Silëus et moi qui risquions de nous attirer les foudres de notre père.




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