Prologue : Chroniques d'un Enfant des Ages Obscurs ; avant relecture ; Quatrième Partie

Date 01-03-2014 11:46:42 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Essoufflé par ce monologue interminable, mon père s’est alors tu un instant. Je n’étais pas présent, puisqu’il m’avait éjecté de la cuisine peu de temps auparavant. Mais ma mère m’a ensuite raconté la scène – une parmi tant d’autres semblables -, et ses mots, et leurs conséquences plus dramatiques que d’habitude me sont, depuis, resté en mémoire jusqu'à aujourd’hui ; et ils y seront certainement gravés jusqu'à ma mort, je n’en doute pas.
Il a fixé ma mère de ses yeux de braise. Il a hoqueté, répandant son haleine avinée alentours. Son visage blanc comme un linge l’a scruté avec intensité. Ses doigts se sont refermés sur ses paumes, se transformant ainsi en en poings prêts à s’abattre sur elle au moindre faux pas de sa part. Il a fait craquer leurs jointures ; ses bras noueux se sont tendus. Et il a attendu.
Evidemment, comme chaque fois que mon père remâchait ses ressentiments devant elle, qu’il l’invectivait, mais surtout, qu’il nous transformait, mon frère, ma sœur, et moi, en bouc émissaires, celle-ci ne pouvait s’empêcher de laisser de chaudes larmes couler de sa figure. Elle savait parfaitement que son comportement ne l’adoucirait pas. Au contraire, elle était consciente de ce qui allait advenir sous peu. Malgré tout, elle ne parvenait pas à les contrôler.
« Comment… comment ose tu affirmer des choses aussi horribles à propos de tes enfants, a-t-elle répliqué. » Le ton de sa voix était empreint de haine et de dépit. « Comment peux-tu déverser ta bile sur eux. Regarde-toi, quelle image de toi leur montres-tu ? Ils n’ont rien demandé. Si tu as des problèmes avec tes parents, tes frères ou ta sœur, ce n’est pas de leur faute. Si tu ne parviens à dénicher un emploi stable, ils n’y sont pour rien. Quant à moi, j’ai toujours été là pour toi. Depuis le début, j’ai essayé de te soutenir du mieux que je le pouvais. Je t’ai incité à poursuivre tes efforts lorsque tu as suivi ta cure de sevrage à l’encontre de la cocaïne. Tu ne t’en souviens pas ? Eh bien, moi, je m’en rappelle : c’était juste après que nous nous soyons rencontré aux Alcooliques Anonymes. A cette époque, tu avais la rage ; tu désirais t’en sortir par tous les moyens. Tu voulais montrer à tous ceux qui ne croyaient pas en toi – et plus particulièrement Félicien, Victorien et Allondra – qu’ils pouvaient te faire confiance. Qu’après des années de galère, ton séjour dans l’armée t’avait remis les idées en place. Que tu avais décidé de prendre ton avenir en main. Au terme de tes cinq années en tant que militaire, c’est encore moi qui t’ai expliqué que, malgré le fait que tu as réussi à te sortir de la drogue, tu n’en n’avais pas pour autant fini avec ton addiction au whisky ou à la vodka. Et je t’ai toujours encouragé à poursuivre tes efforts afin de t’en défaire…
- Quelles conneries ! A peine trois mois après le début de notre histoire, tu m’annonçais que tu étais enceinte de moi. Et encore, je ne sais même pas si c’est de moi que tu l’étais ! Comment voulais-tu que je surmonte ce nouveau coup du sort. Comment désirais tu que je trouve en moi l’énergie nécessaire à combattre mes propres démons ? D’autant que, quelques jours après, je ne sais pas comment, mais papa et maman l’ont appris. Et ils ont mis leur véto en ce qui concerne la meilleure solution qui s’offrait à nous : que tu avorte. Ils m’ont menacé de me déshériter si, selon eux, tu devenais une meurtrière et si je ne t’épousais pas. Ils m’ont avoué que je serai la honte du Clan Saint-Ycien si je te laissais commettre cet infanticide et que je n’officialisais pas notre liaison. Ils m’ont averti qu’ils ne nous offriraient pas l’hospitalité le temps que nous prenions nos marques et que je trouve un travail, si je devenais le complice d’un assassinat et que tu ne devenais pas ma femme. D’ailleurs, et toi, combien t’ont t’ils offert pour que tu plie à leur exigence. Encore maintenant, je n’en sais rien ; tu n’as jamais voulu me l’avouer.
- Bien sûr qu’Anthelme est de toi, combien de fois faudra t’il que je te le répète avant que tu l’accepte ? Quant à tes soupçons concernant le fait que Victorien et Allondra m’ont acheté pour garder Anthelme, il n’y a rien à avouer. Ils ne m’ont pas soudoyé. Je n’ai reçu aucune somme d’argent de leur part. Devrais-je insister mille fois avant que tu l’admettes ? Même après toutes ces années de vie commune, alors que nous sommes mariés depuis plus de quinze ans, tu ne veux pas me croire. C’est vrai qu’ils ont fait pression sur moi ; surtout Félicien. Et discrètement. Toujours quand nous nous retrouvions seuls. Ils ne voulaient pas de témoins. Cela aurait écorné leur image de couple quasi-parfait aux yeux de tes frères, de ta sœur, ou de leurs amis. Ils m’ont craché à la figure que c’était une vilénie de tuer un enfant en devenir, que l’on aurait dû être plus prudents, que si la pilule ou les préservatifs existaient, malgré qu’ils les désapprouvent, ce n’était pas pour ne pas les utiliser…
- Tu savais, pourtant, que je ne désirais pas de gamin. Pourquoi n’en n’as-tu pas ensuite fait don à l’assistance publique ? Ainsi, nous n’aurions pas été obligés de nous unir – à l’Eglise en plus ! Je revois encore les yeux de Sylvestre pétiller, lui, le cul-béni de la famille. Nous n’aurions pas été contraints d’habiter chez eux pendant cinq ans ; jusqu'à ce qu’ils se décident de nous payer notre maison ! Avec quel argent, en outre, aurais-je pu te l’offrir ?
- Avec celui que tu ne dépensais pas au bistrot ou aux putes ! C’est certain que si tu n’avais pas jeté tes indemnités de militaire par les fenêtres, une fois ton contrat avec l’armée terminé, nous aurions eu les moyens de nous installer ailleurs que dans le studio destiné à leurs invités. Je ne te parle même pas d’après, et de tes payes d’ouvrier en bâtiment qui fondaient comme neige au Soleil dès le début de chaque mois, à chaque fois que tu réussissais à te faire embaucher sur un chantier. Evidemment, tes contrats n’étaient pas renouvelés puisque, dès ton arrivée sur un chantier, tu étais déjà à moitié ivre. Mais, au moins, c’était de l’argent frais qui rentrait dans le ménage de temps en temps, et qui aurait pu nous servir à nous établir dans un endroit à nous, un endroit où Victorien et Allondra n’auraient eu aucun droit de regard sur la manière dont nous menions notre existence. Surtout, après la naissance, tout d’abord d’Anthelme, puis, alors que nous vivions encore chez eux, de Silëus. Il est vrai qu’avec tous tes salaires qui s’évanouissaient dans la nature je ne sais où, nous n’avions pas les moyens de nous affirmer financièrement face à eux ; ou pire encore, face à Félicien !
- Il n’y avait – il n’y a – que l’alcool qui me permettes d’oublier l’existence misérable à laquelle je suis condamné. Lorsque nous habitions chez papa et maman, tu pense que cela me faisait plaisir de discerner le mépris et le dédain dans leurs yeux, quand ils me regardaient. Tu t’imagine que je n’entendais pas leurs chuchotements une fois que j’avais le dos tourné ; que je ne percevais rien de leurs conversations en aparté avec Félicien ou Edmond. Tu crois que je ne me rendais pas compte de leur gène. Tu as déjà oublié les diners mondains auxquels nous étions obligés de participer : ils avaient du mal à expliquer notre présence à Baume les Dames à leurs convives. Ils détournaient rapidement la conversation sur des sujets autrement plus glorieux : le dernier rachat d’entreprise par le fonds d’investissement de Félicien ; le procès qu’Edmond venait de gagner face à un ténor du barreau ; leur récent voyage aux Bermudes ou en Thaïlande. Il est certain que c’était plus passionnant que de raconter que Donatien était l’ultime rejeton de la Fratrie à leur charge. Que c’était un ancien cocaïnomane alcoolique ; qu’il ne travaillait qu’épisodiquement, et qu’il avait un, puis deux, enfants à charge qu’il était incapable d’assumer ; ou qu’ils l’hébergeaient, lui, son épouse et ses marmots, tout en lui servant de banque par la même occasion.
Sans compter que papa et maman étaient les témoins réguliers de nos disputes conjugales ; ou, lorsqu’ils n’y assistaient pas, ils ne pouvaient pas éviter de les entendre. Malgré la distance séparant le studio dans lequel nous nous entassions et la résidence principale, tes cris et tes pleurs auraient réveillé les pensionnaires de l’ensemble des cimetières de la région. Tu m’étonnes qu’au bout de cinq ans à subir cette situation, ils n’ont pas eu d’autre choix que de nous offrir notre maison. Ils voulaient se débarrasser de nous, oui ! Et de moi en particulier…




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