Moi, Marcel

Date 17-04-2014 19:14:23 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Moi, Marcel

Assis, immobile, je regardai passer des hordes de parents devant la boîte dans laquelle je me trouvais depuis ma création. Certains poussaient un landau, d’autres avançaient, enlacés, en caressant un ventre proéminant, signe d’une naissance imminente. Soudain, une jeune femme blonde s’arrêta et observa dans ma direction. Avec un sourire radieux, elle se saisit de mon emballage et m’emporta jusqu’à la caisse qui émit un bip sonore, résonnant comme un au revoir à mon intention.

Après avoir été trimballé dans le coffre d’une voiture, je découvris la maison de mon acquéreuse, mais pour peu de temps car, une fois emballé d’un papier brillant bleu ciel, je n’ai plus rien vu.

Un jour passé dans la pénombre, un nouveau périple dans le véhicule et la lumière extérieure me parvint à nouveau et éblouit mon regard de plastique. Une douce main vint me retirer de mon cocon de carton pour me déposer à côté d’un nourrisson an annonçant : « C’est de la part de marraine. Tiens, mon petit Nathan. » Voilà donc le prénom de mon nouveau propriétaire. On en profita pour me baptiser moi aussi, ce fut Marcel, comme le chien de la famille que l’on venait d’enterrer.

Dans les premiers temps, Nathan ne faisait que passer ses journées à dormir. Je veillais donc sur son sommeil, lui apportant la douceur de mon pelage pour calmer ses pleurs. Après quelques mois, ses petites mains commencèrent à venir me chatouiller, me triturer, tenter de m’arracher les yeux et sucer mes oreilles. Je n’étais heureusement pas un jouet estampillé « Made in China » et ma norme CE n’était pas galvaudée. Mes frères avaient passé haut la main tous les tests de résistance.

Très vite, je devins l’indispensable, l’inséparable, le doudou officiel, celui que l’on chouchoute, que les parents ne peuvent pas oublier quelque part sous peine de subir une crise interminable et un chagrin inconsolable de la part de leur petit bout. Assis aux côtés de Nathan dans la voiture, la poussette et même l’avion, j’ai voyagé et découvert plusieurs clubs de vacances pour parents avec un jeune enfant. Je suis même tombé dans la piscine de l’hôtel. Nathan, voulant me rattraper, faillit se noyer et nous séchâmes ensemble dans une des salles d’urgence d’un hôpital turc.

Il y eut l’entrée à l’école maternelle. J’attendais dans le petit cartable à l’effigie de Winnie l’ourson, jusqu’à l’heure de la sieste que nous partagions tendrement dans un inconfortable lit de camp.

Quand vint le temps des premières classes primaires, je dû rester à la maison, posé sur le lit. J’étais impatient de voir revenir Nathan. Il avait toujours plein de choses à me raconter. Comment il avait gagné un bon point en comptant sans faute jusque dix ou en parvenant à écrire son patronyme complet comme sur le modèle de la maîtresse. Il n’aimait pas trop cette dernière car elle criait très fort quand on faisait une bêtise. Il me confia que la petite Elsa lui plaisait beaucoup avec ses couettes brunes et ses lunettes rondes, et qu’il avait échangé sa voiture rouge contre un spiderman articulé.

J’étais le complice et le partenaire de tous ses jeux ; de l’attaque pirate de l’île au trésor à l’invasion alien contrecarrée par Buzz l’Eclair. Quelle complicité nous unissait ! Je pensais naÏvement que cela durerait toujours. Mais j’appris que les petits garçons grandissaient et changaient.

Un jour, une console de jeu fut branchée sur la télévision de la chambre. Les personnages qui s’animaient sur l’écran se sont vite retrouvés sur les posters ornant les murs. Même des figurines à leur effigie envahirent les étagères. Je ne participais désormais plus aux combats que Nathan organisait.

Plus de place dans son lit pour moi, je fus relégué dans le placard, à côté des vieilles chaussures malodorantes et vêtements trop petits. La poussière recouvrit peu à peu mon pelage beige, accentuant mon aspect de vieux jouet abandonné. Chaque fois que la porte de ma prison s’ouvrait, j’avais l’espoir fou que Nathan me serre à nouveau contre son cœur et que nous reprenions nos jeux d’avant.

Un jour, la maman de Nathan décida de faire le tri. Elle attrapa mon bras, presque décousu, en me regardant avec un sourire nostalgique avant de me fourrer dans un sac poubelle sombre. Je sentis que je passais sans ménagement d’un lieu à un autre, jusqu’à ce que je fusse accablé par une très forte chaleur. Mon corps commença à prendre feu, je me consumai et mes yeux fondirent lorsque je vis une lumière blanche et douce s’approcher de moi. Dans ce halo apparut une silhouette aux contours imprécis et je sentis que je m’élevais. Dans les flammes se trouvait aussi une poupée. Son esprit voleta vers moi et nous nous donnèrent la main. Une voix s’adressa à nous : « Vous avez rempli votre mission avec succès. » et nous suivirent l’ange de Lumière.

Maintenant, je me trouve dans un lieu sombre et chaud, plus accueillant que ma boîte de carton. J’entends les battements d’un cœur, autre que le mien. Des caresses me proviennent à travers le cocon qui m’entoure et une voix très douce me susurre : « Mon bébé, j’ai hâte de te découvrir. Ton doudou t’attend déjà.».




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