Mortelle relique
Date 24-04-2014 12:50:00 | Catégorie : Nouvelles
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Mortelle relique
OGR123 contempla le désordre dans la pièce qu’il venait d’investir ; des cadavres jonchaient le sol sanglant et donnaient une étrange impression de massacre de la Saint Valentin. L’androïde en déduit immédiatement qu’une telle boucherie provenait certainement d’un être humain ; en effet, les Trois Lois de la Robotique interdisaient aux entités synthétiques et dotées d’un cerveau positronique de mettre en danger un homo sapiens et encore plus de le supprimer. Il existait cependant quelques humanoïdes déviants qui s’étaient arrangés pour ajouter une Quatrième Loi dont l’énoncé permettait de contourner cette règle contraignante ; il faisait lui-même partie de cette microscopique élite dont l’instabilité la rendait dangereuse au regard de la société galactique et il avait réussi à cacher cette tare technologique par un simulacre intégré dans son cortex magnétique. « Qu’importe le symptôme, il faut traiter la cause » avait coutume de dire son concepteur avant qu’il ne découvre que son dernier modèle était affecté lui aussi de cette particularité. OGR123 soupira et pensa à la décision extrême qu’il avait pris ce jour-là en envoyant le vieux docteur Asimov rejoindre ses ancêtres dans les steppes éternelles.
Ce fut à ce moment précis qu’une petite fille apparut ; elle sortait de derrière une colonne où elle se cachait depuis quelque temps déjà. — N’ai pas peur ; je ne suis pas l’auteur de ces crimes. — Je le sais ; j’ai vu les meurtriers et ils recherchaient un parchemin dans cette église alors que tout le monde célébrait tranquillement l’office de Pâques. OGR123 regarda l’enfant avec étonnement ; comment un petit bout de chou qui paraissait à peine dix ans pouvait s’exprimer dans un langage de ce niveau et en anglais universel de surcroît ? Il laissa cette question de côté car elle ne représentait pas une priorité immédiate dans la quête de la vérité sur les évènements tragiques qui s’étaient déroulés en ces lieux. De plus, il avait été mandaté pour trouver le rouleau de papier qui avait apparemment généré ce carnage. La relique tant convoitée n’était pourtant pas loin et même juste sous son nez, dans la main de la gamine apeurée. Le robot n’était pas programmé pour avoir des sentiments paternels mais son cerveau positronique lui interdisait de laisser une petite d’homme au contact d’un danger aussi hypothétique fut-il. Il devait en savoir plus et lui soutirer habilement l’objet qu’elle tenait fermement. — Quel est ton nom ? — Je m’appelle Aurélia. — Que faisais tu dans cette église en ruines, Aurélia ? — J’accompagnais mes parents à la messe pascale. — Je croyais que toute pratique religieuse avait été interdite sur cette planète ? — C’est le cas et tous les lieux de culte ont soit été détruits soit abandonnés. Pratiquer sa religion est passible d’une longue peine de prison mais pas d’une exécution. — Je trouve que tu parles bien l’anglais universel pour une enfant de ton âge. Quel est ton secret ? — Il n’y a rien de confidentiel à ce que je vais te dire ; je suis la fille de savants illustres qui se sont réfugiés dans ce monde pour échapper au pouvoir impérial qui leur demandait d’accomplir des prouesses technologiques contraires à leur foi profonde. — J’en déduis que tu es d’une caste élevée, mais de là à parler aussi bien cette langue complexe il y a un parsec. — Mes parents sont généticiens et ils ont mis au point une technique infaillible pour accélérer l’apprentissage dès le stade du fœtus ; j’en suis la preuve vivante. Sache, ami robot, que je parle aussi une cinquantaine de langues mortes et une centaines de dialectes usités dans la galaxie. — Qu’as tu appris d’autre ? — Mes parents m’ont enseigné, dès avant ma naissance, l’Histoire et l’Astronomie ; pour ce qui est des sciences dures, ils ont intelligemment attendus que je me décide entre un devenir de scientifique et une carrière d’artiste. J’ai choisi la voie de la poésie. — Est-ce un de tes poèmes que tu tiens avec tant de volonté dans ta main ? — Non, ce n’en est pas un mais un vieux grimoire que mon père utilisait encore récemment pour un projet scientifique dont il ne parlait jamais par peur de nous attirer des ennuis. — Le risque s’est avéré je suppose, au vu du carnage en ces lieux.
OGR123 ne disposait certainement pas de la fonction subtilité dans la vaste armada de ses capacités cérébrales ; il ne vit pas venir les pleurs de la petite Aurélia quand il lui rappela la mort de ses parents. Il ne possédait pas non plus de compétences en matière de câlins ce qui le poussa à improviser un geste de tendresse dans le seul objectif de calmer la pleureuse. Il lui tapota sur la tête comme il l’avait vu faire dans un reportage sur les jeunes chiots. Aurélia réagit en petite enfant et lui enserra la jambe très fort tout en pleurant abondamment. OGR123 vérifia la position du parchemin ; ce dernier se trouvait toujours dans la main de l’orpheline qui le froissait copieusement. Le robot décida d’user de diplomatie alors qu’il aurait pu atomiser l’importune détentrice de l’objet convoité par tous les chasseurs de prime de la galaxie et au-delà. Devenir diplomate ne s’improvisait pas et il apprit sur le tas par des erreurs de débutant qui ne coûtent cependant rien quand on se fait la main sur des enfants de dix ans, aussi doués soient-ils. — Il faut que je sécurise la place, en collecte les indices pour que la police soit en mesure d’appréhender les coupables, et enfin que je t’emmène loin de tout ça. — As tu des enfants ? — Les androïdes n’ont pas d’enfants tu le sais bien. — Je voulais dire : t’occupes tu d’enfants là où tu habites ? — Non je ne suis pas programmé pour cela. — Comment vas tu faire avec moi, alors ? — Je vais télécharger un programme d’éducation parentale. — Je ne suis pas une petite fille comme les autres ; je suis une future grande poétesse et la plus grande de l’univers. — Tu m’apprendras la poésie et je m’occuperais des tâches dévouées généralement au père et à la mère. — Tu n’as pas d’amoureuse robotisée ? — Non je ne suis pas programmé pour cela. — Tu parais ne connaitre que cette réponse. — Je ne suis pas programmé pour mentir ou tourner autour du pot. — Aimes tu les enfants au moins ? — Je ne sais pas si c’est le bon terme. Je ne suis pas programmé pour aimer mais les Trois Lois de la Robotique m’obligent à protéger les humains qu’ils soient bébés, en pleine force de l’âge ou vieillards. — Parlent elles d’amour ces fameuses lois ? — Je ne sais pas exactement ; leur énoncé est laconique et il ne mentionne pas ce sentiment abstrait. — As tu déjà lu des romans ou des poèmes traitant de ce sujet ? — J’avoue que cela n’a pas été ma préoccupation première ces cent dernières années. — Je vais te chanter une de mes créations ; elle s’intitule “l’étoile rouge et le nain blanc ”.
Bien que composé d’éléments synthétiques et équipé du cerveau le plus rapide jamais conçu, OGR123 n’eut pas le cœur à refuser la proposition de la poétesse en culotte courte. Il tenta de son mieux de paraître emporté par les rimes parfaites de la fable naïve qu’égrenait Aurélia de sa voix haut perchée et applaudit poliment à la fin du spectacle. — As tu aimé ? — Je ne sais pas si c’est le terme exact car je ne suis qu’un robot ; cependant j’ai trouvé la rythmique fort bien conçue et l’histoire logique. — Je n’insiste pas ; tu n’es qu’un pauvre tas de ferraille déguisé en mannequin pour vêtements de plastique. Comment peux tu parler de logique quand je te chante l’amour ? — Merci. — Ne me remercie pas ; va plutôt assurer notre sécurité et trouver tout ce qui permettra aux autorités d’arrêter les méchants qui ont tué mes parents et les autres croyants. OGR123 ne demanda pas son reste ; il procéda à ses manœuvres de sécurisation habituelles à l’aide du matériel miniaturisé qu’il avait acquis à prix d’or sur BetaPictoris235g. Une fois le champ de force déployé et le système anti-intrusion mis en fonction, il fouilla les cadavres un par un. Les morts semblaient avoir subi la rage d’un animal muni d’un arsenal militaire ; aucun soldat au monde, même fou, n’aurait frappé avec autant de haine et il en voulait pour preuve les corps découpés en plusieurs morceaux en long en large et en travers. L’androïde se mit à penser que la scène de crime lui rappelait quelque chose mais il n’arrivait pas encore à définir précisément la teneur de son souvenir. Il activa en tâche de fond son dispositif d’antémémoire afin de scanner tous les programmes qu’il avait téléchargé durant le siècle, avec des mots clés et des images de référence tirées de la scène de crime. Il revint vers Aurélia car il était temps de partir. — Quittons l’église le plus vite possible ; j’ai établi un plan de vol et nous passerons à travers les mailles du filet policier. — J’ai envie de faire pipi. — D’accord mais fais vite et laisse moi ce bout de papier que tu tords dans tous les sens depuis le début. — Non, je le garde. C’est le dernier cadeau de mon papa. — Ce n’est pas pratique pour pisser et tu n’as pas de poche. — Je le poserai à mes côtés. — Ne fais pas l’enfant ; je ne vais pas le manger ton torchon. — Ce n’est pas un torchon ; il contient des secrets que ton petit cerveau positronique n’est pas capable d’appréhender. — C’est la grande poétesse de l’amour qui me dit ça ? Depuis quand comprends tu la science ? — Tu m’énerves gros tas en fer blanc ; je vais au petit coin et tu n’as pas intérêt à me suivre. Je garde mon grimoire, nananère. — Fais comme tu veux mais accélère le tempo ; nous ne sommes pas à l’abri de voir revenir les sauvages qui ont massacré tous ces gens. A peine avait-il prononcé ces mots que le robot se mordit les lèvres et s’attendit à voir la petite fille s’effondrer au souvenir des évènements récents qui l’avaient vu passer du statut de petit prodige aimé à celui moins enviable d’orpheline perdue dans des ruines chrétiennes. Il ferma les yeux pour ne pas voir ce concert humide et se boucha les oreilles par la même occasion. Quand il ouvrit de nouveau ses écoutilles sensorielles, il constata que l’enfant avait disparu sans un pleur. — Il n’y a pas de papier, cria une voix qu’il ne connaissait que trop. — Je vais regarder comment t’en synthétiser un peu. — Et si j’utilisais le parchemin ? OGR123 resta interdit devant autant d’insouciance ; à ce moment précis, son antémémoire trouva le fragment de souvenir qui correspondait parfaitement avec les mots-clés et les images de référence associées. Son cerveau positronique procéda à une rapide analyse et conclut que tout concordait : il avait résolu l’énigme de ce meurtre barbare. Il s’avança vers l’endroit où Aurélia satisfaisait un besoin naturel. — Tu es gonflé de venir alors que j’ai encore le cul à l’air. — Il est temps de partir. — Laisse moi finir ma grosse commission. As tu apporté du papier ? — Tu n’en auras plus besoin. Sur ces derniers mots en guise d’épitaphe, le robot fracassa la tête de la petite fille, prit le grimoire déposé par l’enfant à côté de la stèle et passa un bon coup de lance-flammes jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus un quark de sa dernière action. Il se dirigea vers son vaisseau, ayant au préalable désactivé tous les dispositifs de surveillance et de protection, d’un pas décidé ; non seulement il avait récupérée la précieuse relique mais en plus il avait élucidé un crime horrible et exécuté son auteur plusieurs fois récidiviste et pas plus humaine que lui. « Putain de Quatrième Loi de la Robotique ! » jura-t-il avant de quitter la planète.
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