Alerte à Palavas

Date 30-04-2014 20:04:18 | Catégorie : Nouvelles


Alerte à Palavas


Les lumières du port agressaient ses grands yeux. Elle devait s’habituer à ce nouvel environnement, à ce corps étranger, à cette apparence locale qui lui permettait de bien s’intégrer parmi la population. Sa transformation ne datait que de quelques heures et elle en ressentait encore les effets douloureux et dérangeants. Et que dire de ces bouts de tissu trop serrés qu’il lui fallait porter ?

Sa mission nécessitait de trouver un refuge en toute discrétion. Quelque part dans la ville, au milieu de la foule. Elle se rappelait son briefing sur cette civilisation évoluée et barbare, sanguinaire et peureuse, curieuse et puérile. Son commandement lui avait intimé l’ordre de l’infiltrer, à l’instar de milliers d’autres émissaires, sous une forme inoffensive ; une femelle jeune et belle dont personne ne se méfierait. Elle en avait révisé des centaines de documents sur l’anatomie, la sexualité, la psychologie et les rites sociaux de cette humanité. Sur sa planète tout était plus simple. Pas de sexe différent, une seule race polymorphe creuset de variété qui évitait ainsi les guerres intestines. Une enfance uniforme pour tout individu. Libre ensuite à chacun de choisir son destin, une spécialité, une place dans une caste sans notion de privilège. Tout le monde servait à l’ensemble sans nier son individualité. Une puissance collective.

Elle avançait lentement en direction des restaurants et des cafés, des lieux où les humains profitaient de la vie, laissaient tomber leurs peurs, jouaient un rôle plus subtil les uns envers les autres. Elle choisirait un jeune mâle dans un groupe d’amis, le séduirait très vite, rentrerait avec lui et en ferait sa chose. Il s’accrocherait à elle, ne penserait qu’à lui plaire et à la garder pour toujours. Quel que soit le prix à payer. Quelle meilleure manière de s’intégrer dans cette société ? tel était le principe de ses actes à venir.


Le jeune homme se réveilla sans nul souvenir de sa soirée passée. Juste la curieuse sensation d’avoir pris un plaisir qu’il n’avait jusqu’alors jamais pu même rêver. Il regarda à sa droite et vit cette splendeur, cette blonde aux longues jambes, à la poitrine parfaite et au visage sans défaut, dormant à ses côtés comme une princesse dans un conte pour enfants. Comment elle s’appelait il n’en avait cure. Tout ce qui comptait c’était qu’elle ne parte pas, que sa présence devienne le sel de sa pauvre existence et sa seule raison de vivre. Il tombait amoureux. Plus rien désormais ne comptait plus que cette belle inconnue. Il se leva, prit rapidement une douche, prépara un petit déjeuner et l’apporta au lit. Il n’osait toujours pas la réveiller et il croisait les doigts pour qu’elle ouvre les yeux à ce moment précis où il posait le plateau à ses côtés. Et le miracle arriva.

Trois jours plus tard ils habitaient ensemble. Il ne la questionnait pas sur son passé, sa famille ou tout autre élément qui la décrirait mieux. Il préférait penser qu’elle était née pour lui, qu’ils partageaient à deux un mystère moderne, une histoire d’amour sortie de nulle part. Ses amis eux mêmes ne posaient aucune question, trop heureux qu’ils semblaient de le voir si paisible et enfin débarrassé de ses démons anciens. Ils l’avaient très vite intégrée dans leur bande de copains, trop fiers en vérité de pouvoir exhiber une reine de beauté à chaque fois qu’ils sortaient dans leur petite ville. Et elle se fondait bien telle un joyau dans un musée, au sein de cette troupe.


Un soir, peu de minutes après minuit, une tempête occulta le ciel de la cité avec une fureur inhabituelle en cette période de l’été. Selon les rares témoignages, des éclairs bleus et blancs transpercèrent les cieux dans un vacarme assourdissant comme une fin des temps. Plus aucun appareil électrique ne put fonctionner. La ville entière fut isolée du monde et tous les habitants se réfugièrent chez eux. La suite reste hypothèse, basée sur quelques observations et de maigres indices collectés ça et là. La version officielle parle d’exode massif de la population ; une sombre histoire de secte cachée dans les montagnes. On aurait vu, disent ils, des rangées de quidams, des vieux aussi des jeunes, des femmes et des enfants suivre comme un seul homme une superbe femme blonde telle une walkyrie.

Le lendemain matin très tôt, les éléments se calmaient. L’électronique fonctionnait et il redevenait enfin possible de communiquer à nouveau. Le capitaine de la gendarmerie de Palavas prenait comme à son habitude son café rituel dans un estaminet à l’intérieur des terres, loin de tous les touristes et du bruit incessant de la circulation. Il attendait son second qui avait patrouillé tard la nuit en ville avec deux jeunes troufions pour ramasser les poivrots, les habituels fêtards affalés comme souvent dans les ruelles du port. Après une heure de retard il commençait à s’impatienter. Ce n’était pas dans les usages de son subordonné que de rester si longtemps sans lui faire un rapport par voie téléphonique ou tout autre média. Surtout que les moyens de communication, coupés toute la nuit dernière, s’affichaient en pleine forme sur l’écran de son mobile. Il décida de prendre son véhicule de fonction et d’inspecter le bourg en bon militaire qu’il était. Rien ne valait une visite de terrain.

Son rapport fut laconique. Il avait roulé dans une bourgade déserte à la recherche de ses gendarmes, persuadé de les trouver coincés dans quelque traquenard ou en panne de batterie. Et quand il avait vu sur la place leur voiture de service vide de tout passager, ouverte aux quatre portes et surtout en plein milieu de la chaussée, il avait soupçonné une attaque terroriste, l’invasion des chinois ou tout évènement qui sortait illico de ses prérogatives. Sans plus tarder il avait alerté les autorités compétentes, sécurisé la scène supposée du crime, appelé sa femme un brin jalouse et rejoint la guinguette où il buvait son pastis le midi. L’absence du tenancier et de ses clients habituels, les vieux qui tentent de fuir leurs épouses, les matelots remis de leur biture et les jeunes sortis de discothèque, ne le choqua vraiment qu’après un bon quart d’heure passé à méditer sur toute la paperasse qui déjà l’attendait. C’était vraiment bizarre.

Les experts nationaux, les agences de renseignement étrangères, les scientifiques eux mêmes, personne ne sut résoudre ces disparitions mystérieuses. Les quelques rescapés comme le chef des gendarmes, furent envoyés manu militari dans une zone de recherches perdue en plein milieu des plateaux auvergnats. La presse accepta de bonne grâce, moyennant quelques faveurs et des photos truquées, la thèse de la secte. Dans les autres pays où semblable phénomène se produisit le même soir, les gouvernants locaux se comportèrent aussi en petits innocents cachant à leurs administrés et non moins électeurs qu’ils ne comprenaient rien et surtout ne voulaient pas savoir ce qui s’était réellement passé.



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