Un invité de marque

Date 04-05-2014 10:09:58 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Réponse au défi de Donald : http://www.loree-des-reves.com/module ... hp?topic_id=2246&forum=21

Un invité de marque

Ce matin, je me dirige vers ma boîte aux lettres extérieure, comme à mon habitude, en pantoufles et peignoir bien serré fermé car je suis nue en-dessous. Je suis persuadée que mon voisin d’en face, voyeur à ses heures perdues, reste à l’affut, espérant secrètement que ma ceinture se fasse la malle. Je découvre trois courriers. Il y a une carte postale de ma sœur qui est en vacances à la Réunion. Il me tarde de la rejoindre la semaine prochaine.

L’écriture sur la première enveloppe m’est malheureusement très familière. C’est encore Pierre ! Il ne me lâche plus depuis quelques mois, me suppliant qu’on se revoie, me proposant un rendez-vous dans le restaurant de mon choix. Il me dit qu’il a changé, qu’il a perdu ses mauvaises habitudes comme se prendre une biture tous les vendredis soirs avec ses copains pour revenir cuver toute la journée du samedi. Et le dimanche, c’était juste pour aller manger chez ses parents, les gens les plus ennuyeux du monde ! J’en ai très vite eu marre et il a retrouvé ses valises sur le pas de la porte lors d’un retour de beuverie.

Et puis, il y a une autre lettre qui me paraît étrange car elle provient... du Vatican ! Notre chère Eglise catholique serait-elle à ce point en manque d’ouailles qu’elle doive se résoudre à faire de la publicité personnalisée envers chaque citoyen, à l’instar de nos non moins chers politiciens en campagne électorale ? J’ouvre l’enveloppe cachetée de cire rouge portant la marque de la bague du souverain pontife. À l’intérieur se trouve une lettre qui semble écrite à la plume d’oie et à l’encre de Chine. L’écriture est belle et ronde, parfaitement rectiligne jusqu’à la signature. En voici les termes :

Ma chère fille,
À l’image de Jésus, notre Seigneur, je souhaite me rapprocher de mes concitoyens afin de rester à l’écoute de leur détresse et de leurs idées. Vous avez marqué votre soutien à une action locale en faveur des défavorisés et je vous en remercie. C’est ainsi que vivent les vrais chrétiens.
J’aimerais que nous partagions un moment afin de faire plus amples connaissance. Si cela vous sied, faites-moi part de vos disponibilités.
Catholiquement vôtre, je vous administre ma bénédiction.
F. 1er


Je reste pantoise devant cette lettre surréaliste. Je me souviens avoir signé une pétition et donné cinq euros pour le maintien de l’asile dans ses locaux actuels. Evidemment, sinon ils venaient s’installer devant chez moi ! Ils auraient généré des pannes de courant dans le quartier à cause des séances d’électrocution et pompé toutes nos réserves d’eau avec leurs douches glacées. De plus, je n’avais pas envie de retrouver un jour un mec qui se prend pour un canard, occupé à barboter dans la fontaine artisanale de mon jardin.

Mais cela me semble gros tout de même ! Je me demande si ce n’est pas une blague de Sophie. Peut-être veut-elle se venger de la frousse que je lui ai faite avec une bête araignée en plastique planquée sur sa chaise au bureau. Quel cri elle a poussé ! On était morts de rire. De plus, elle essaie toujours de me caser avec l’un ou l’autre : le gars chauve et boursoufflé de la compta, l’électricien macho ou encore le geek d’informaticien ! Mais le Pape tout de même !

Bon, je décide de jouer le jeu et je vais faire d’une pierre (et même d’un Pierre) deux coups en invitant François et Pierre au même dîner. Un SMS pour le premier et une lettre tapée à l’ordinateur pour le second car mon écriture est illisible pour les autres. Certains disent que c’est le signe d’un esprit vif et intelligent, et d’autres que c’est juste de la fainéantise et un côté bordélique qui s’exprime. Les premiers sont mes amis, les autres, juste des jaloux ! Mes prétendants confirment leur présence.

Jour J, heure H. Je me suis mise sur mon trente-et-un avec ma plus belle mini-jupe, mon décolleté pigeonnant, semblant me faire gagner deux tailles de bonnet, grâce à des rembourrages astucieusement placés dans les coutures de ma blouse. Un maquillage léger rehausse le bleu de mes yeux et un brushing parfait l’élégance de ma chevelure brune.
Un premier coup de sonnette. C’est Pierre qui me tend un énorme bouquet de roses rouges et me sert son plus beau sourire niais. Je le remercie en parvenant à éviter ses grandes embrassades, et ce, malgré plusieurs tentatives. Pendant que je pars dans la cuisine afin d’installer les fleurs dans un vase, une nouvelle sonnerie retentit et je demande à Pierre de jouer les portiers. J’entends la porte s’ouvrir, puis des bruits de pas feutrés pénétrer dans mon salon. Lorsque j’entre dans la pièce, j’ai un choc : un homme déguisé en pape trône sur mon tapis multicolore, à côté des mes photos de vacances où je pose en bikini brésilien et mon puzzle de mille pièces collé au mur, représentant deux corps nus lovés artistiquement.

Je reste un moment bouche bée. Sophie est tout de même très forte car cet acteur ressemble vachement au vrai Pape, celui qu’on voit à la télé courir le monde et bénir les foules. Habillé avec soutane, pèlerine et calotte blanches, il a même pris un petit accent italien, assez craquant, en m’adressant un « Bonjour ». Il me sourit et j’approche en lui tendant la main avec un air gêné. Là, il me pose sa paume grand ouverte sur le haut de mon crâne, au risque de détruire mon brushing, en disant « Sois bénie, mon enfant ! ». Là, je sens que son cinéma va vite m’énerver et je décide de mettre les choses au point :

« Pouvez-vous cesser de jouer ce rôle ? Je sais très bien que c’est Sophie qui vous a demandé de me piéger. Vous pouvez aller lui dire que je ne ferai plus jamais de mauvaise blague. C’est promis !
- Vous faites bien de vous confessez de la sorte et je vous donne l’absolution pour ce péché. Vous réciterez un Notre Père chaque soir pendant sept jours en expiation.
- Mais je vous dis que vous pouvez arrêter vos salamalecs.
- Vous vous égarez. Les catholiques ne font pas de salamalecs mais des prières. Je ne comprends pas votre réaction. Vous étiez d’accord pour la rencontre.
- Oui, mais je ne cherche pas à ma caser, vous savez. Je n’ai pas encore su me débarrasser de Pierre. Je vous le présente d’ailleurs. »

Les deux hommes se saluent poliment et l’homme en soutane dit :

« Vous savez que Pierre est le premier apôtre et que c’est lui qui détient les clés du Paradis.

Je ne peux m’empêcher de pouffer en disant :

- Ne lui confiez aucune clé, il a la mauvaise habitude de les perdre. Remarque, cela ferait les affaires de la concurrence.

L’homme en blanc continue sur sa lancée en s’adressant toujours à Pierre :

- Vous devez être béni, mon cher, avec un tel prénom.
- Ben pas vraiment. J’ai toujours eu la poisse. Je suis chômeur et mes copines me larguent toutes au bout de quelques mois.

Là, je ne peux m’empêcher d’intervenir à nouveau :

- Tu arrêterais de te pochtronner, ça irait mieux !
- Mes enfants, ne vous disputez pas ! Le conflit n’est pas une solution. Le Seigneur est Amour et c’est par cette voie que nous trouvons le Bonheur. »

Pierre et moi échangeons un regard moqueur. Je propose à mes invités de prendre place à table et je sers le vin.

« Désolée, mais je n’ai pas trouvé de vin de messe. Je vous propose un bon vin de Touraine, recommandé par un ami connaisseur. »

J’apporte ensuite le plateau de saumon fumé et les toasts. Lorsque nous sommes tous servis, François crie solennellement :

« Prions afin de remercier Dieu pour cette nourriture providentielle.
- Ce n’est que du modeste saumon de Norvège. Il a juste de providentiel qu’il était à cinquante pour cent car il périme demain. Pas besoin d’en faire un plat. »

Bon, il insiste. Je commence à me demander si ce n’est pas un des échappés de l’asile que Sophie a embauché. Radine comme elle est, elle lui aura proposé de le payer en pièces en chocolat. On se retrouve donc à se tenir la main en cercle et à répéter le Notre Père en latin.

Je constate que François a bon appétit et le pain vient vite à manquer. Je lui lance, non sans ironie :

« Dites, il n’y aurait pas la possibilité que vous fassiez apparaître quelques toasts supplémentaires. J’ai entendu dire que l’un d’entre vous y était parvenu.
- Notre Seigneur Jésus en effet. Mais je n’en suis pas capable, désolé.
- Je pensais que c’était comme pour les magiciens, que vous vous transmettiez les secrets des tours. »

Soudain, le Pape se lève et se prosterne devant mon buffet en psalmodiant des prières inaudibles. Je m’interroge lorsque je remarque que la petite statuette en verre de la Vierge, un legs de ma grand-mère, pieuse avant de perdre la tête, posée sur mon meuble s’illumine par intermittence. François semble s’adresser à elle :

« Oui, Sainte Mère, délivrez-moi votre message. Je suis tout ouï. »

Je m’approche de cette scène ubuesque et prends mon GSM qui se trouve derrière la statuette. L’écran clignote et une petite voix répète « Ecoute le message… Ecoute le message ». L’homme quasi en transe me regarde, ahuri.

« Désolée, j’ai oublié de le mettre sur silencieux. Il y a bien un message d’une mère, la mienne, mais ce n’est pas pour vous ! »

François, la tête basse, reprend sa place à table et je peux servir mes carbonnades flamandes et ma purée au cumin.
« C’est du bœuf, ne craignez rien. Et je l’ai acheté dans la petite épicerie halal, au bout de ma rue. Vous désirez un essuie pour ne pas vous tacher ?
- Non, merci. Cela ira. »

Pendant le repas, François aborde divers sujets et nous interroge. Concernant la foi, je lui dis que je ne crois que ce que je vois et qu’il devrait poser la question à Ophélie Winter. (https://www.youtube.com/watch?v=vqXETTRZD-U) Il n’a pas ri ou il n’a pas compris mon allusion. Pour la pauvreté, je lui rétorque que s’il hypothéquait la Basilique Saint Pierre, il pourrait nourrir tous les pays en développement pendant au moins un an. Il me demande un conseil pour que les gens repeuplent les églises. Je lui suggère que le vin ne soit plus que pour le prêtre. S’il partageait avec ses ouailles, elles seraient plus nombreuses. De même pour l’hostie qui ne nourrit pas son homme, faudrait prévoir plus grand et plus goûteux. Je lui propose de se renseigner auprès du patron du kebab du coin, il lui donnera des idées pour les fourrer. Et si les prêtres avaient le droit de se marier… là il m’a arrêtée tout de suite. Je n’ai pas insisté. Et une femme papesse ? Pierre ne lui apporte aucune réponse à ses interrogations car il est trop occupé à vider systématiquement toutes les bouteilles de vin que j’amène à table.

Comme dessert, je sers des pets de nonnes, François sourit et se régale. Au moment de partir, il se lève et me remercie pour le repas. Il me bénit de nouveau car l’autre bénédiction doit sûrement perdre de son effet. Lorsqu’il s’approche de Pierre, qui vacille dangereusement dans le couloir, ce dernier lui a dit :

« La prochaine fois, faudra qu’on trouver un Jean … On aura Jean, Pierre, François. »

Et là, le poivrot se met à chanter à tue-tête « Je te survivrai, d’un amour vivant … » (https://www.youtube.com/watch?v=2fGX3nOv0d4)

François propose de le ramener chez lui, me permettant ainsi de m’en débarrasser facilement et m’évite de devoir nettoyer ses inévitables vomissures demain matin.


Le lundi matin, je me dirige vers le bureau de Sophie en disant :

« Très drôle ta blague !
- Quelle blague ? Tu sais qu’on parle de toi dans le journal ?
- Hein ? »

Elle me tend un article intitulé : « Initiative du Vatican, le fiasco ! ». Le journaliste cite mon nom en faisant référence à mon repas de samedi soir. Le lendemain, le Pape a démissionné car ses propositions de réforme ont toutes été rejetées par ses cardinaux : pas de vin ni d’hosties fourrées pour les personnes qui fréquentent la messe, ni d’hypothèque pour nourrir le tiers monde. Avant de partir, il a proposé de nommer une nonne à sa place, sans succès.

Là, mon GSM sonne, c’est Pierre qui veut me voir. Oh, non ! La bénédiction ne fait plus effet, François, reviens !!



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